Notre justice est-elle irréformable? «Rien n’est irréformable, mais la justice reste un pilier de la démocratie et de l’État de droit», répond Me Omar Mahmoud Bendjelloun, qui évoque la nécessité de préserver les équilibres institutionnels et de prendre en compte les divergences en matière de courants de pensée ainsi que le poids des corporatismes intervenant dans ce champ.
Selon le juriste, «il y a eu des réponses positives à l’appel populaire, depuis des décennies, du mouvement des droits de l’Homme, des partis progressistes issus du Mouvement national sur de grands principes comme l’indépendance de la justice et l’État de droit. Les différentes constitutions ont repris cela, notamment la Constitution de 2011, qui a plus ou moins confirmé cette idée d’indépendance de la justice par la création d’un pouvoir judiciaire».
Mais même avec ces acquis, d’autres questions se posent. «Est-ce que nous avions vraiment besoin d’une indépendance du ministère public qui applique la politique pénale qui est une politique publique, à l’instar de la politique économique, de la politique sociale, de la politique culturelle ou de la politique extérieure?», s’interroge Me Bendjelloun.
En matière de politique pénale, le juriste affirme qu’on en connaît les grandes directives, «mais personne ne sait quelle est la direction de la politique pénale».
«Apartheid judiciaire»
Le Maroc vit-il actuellement au rythme d’une opération «Mains propres», avec la série de poursuites lancées contre de hauts responsables, des parlementaires et des édiles locaux? Me Bendjelloun estime que «c’est une bonne chose, parce qu’il faut rassurer et donner des garanties à l’économie et à l’investissement», tout en appelant à l’institutionnalisation d’une telle approche, et toujours dans le respect de la séparation des pouvoirs pour éviter toute «confusion des genres».
Lire aussi : Nouveau décompte: en tout, 30 parlementaires poursuivis par la justice
Quid alors des peines alternatives, dont le projet de loi vient d’être adopté au Parlement? «Cela ne doit pas être un îlot d’espérance au sein d’un système qui ne triomphe pas forcément à la même idée de justice», répond le juriste, qui appelle à une réforme globale. Il préconise de faire jouer le mécanisme de ces peines alternatives du début à la fin et, pas seulement quand l’affaire est jugée.
Il émet aussi des réserves sur le principe de l’amende journalière, qui consiste à payer un montant pécuniaire pour éviter une journée en prison. Pour Me Bendjelloun, «cela risque de déboucher sur une justice pour les riches», voire un «Apartheid judiciaire». Il pointe encore une fois le rôle prépondérant du ministère public qui décide de la détention en dernier lieu.
Vite, des magistrats!
La réforme de la justice demande aussi des moyens financiers et humains, une bonne formation des professionnels du secteur… Actuellement, le Maroc dispose de 4.000 magistrats et c’est loin, très loin, de correspondre à la norme internationale.
Lire aussi : Peines alternatives: ce qu’il faut savoir sur le projet de loi adopté par la Chambre des représentants
«C’est une honte de ne compter que 4.000 juges pour 35 millions d’habitants (…) Un procureur ou un substitut du procureur dans un tribunal d’une grande ville peut traiter jusqu’à 1.200 dossiers par an», s’étonne le juriste.
Ce dernier soulève aussi le problème de la carte judiciaire, donnant l’un des exemples les plus parlants: Salé. Cette ville, deuxième du pays de par la population et le taux de criminalité, n’a pas de Cour d’appel et donc pas de chambre criminelle. Résultat, les dossiers sont envoyés devant la Cour d’appel de Rabat, ce qui représente une charge colossale pour les magistrats de la capitale.