Aujourd’hui, les revendications du féminisme marocain se coagulent sur une principale demande. Tel un galet qui ricoche sur l’eau, la même doléance est reprise ici et là. Ce féminisme peu créatif aspire à ôter aux pères la tutelle civile sur les enfants et le foyer.
En quoi consiste la tutelle? Il s’agit du représentant légal chargé de veiller sur l’enfant mineur et sur les biens de celui-ci. L’article 235 du Code de la famille apporte des précisions sur les obligations du tuteur: «le représentant légal veille sur les affaires personnelles de l’interdit (le mineur) en lui assurant une éducation religieuse et une formation, et en le préparant à la vie, comme il se charge de la gestion courante de ses biens […] Le représentant légal est soumis, dans l’exercice de ses missions à la surveillance judiciaire».
En résumé, le tuteur doit répondre juridiquement de l’enfant, à la fois veiller sur la personne du mineur et sur ses biens. Il a un rôle prépondérant en matière d’éducation, d’enseignement, de soins médicaux et de mariage du mineur. Le consentement du tuteur est toujours requis pour que l’enfant mineur puisse quitter le territoire marocain.
Précisons d’abord le cadre juridique de cette requête. Ce que ne font pas nos consœurs qui gesticulent en ce moment. La tutelle civile est partagée par le mari et l’épouse tant que ces derniers sont unis par le mariage: «le mariage est un pacte [...] pour la fondation d’une famille stable sous la direction des deux époux, conformément aux dispositions du présent Code» (article 4, Code de la famille). Durant le mariage, l’épouse et son mari sont appelés à s’entendre sur les décisions à prendre pour leurs enfants. C’est démocratique. C’est juste. Pour décider quoi que ce soit pour les enfants, les époux doivent se consulter: parler ensemble, peser le pour et le contre, prendre une décision à deux avant de passer à sa concrétisation. Mais on découvre, dans le chapitre réservé à la représentation légale, que dénoncent les associations et les féministes en ce moment, une hiérarchie dans la prise de décision familiale: «on entend par représentant légal, au sens du présent livre: le tuteur légal: le père, la mère ou le juge» (article 230).
Le père est précité à la mère, et les deux sont prioritaires au juge qui n’intervient que si les parents sont décédés ou inaptes à gérer un foyer. Cette hiérarchie est appuyée dans l’article 231 du Code de la famille: «la représentation légale est assurée par: 1) le père majeur; 2) la mère majeure, à défaut du père ou par suite de la perte de la capacité de ce dernier; 3) le tuteur testamentaire désigné par le père; 4) le tuteur testamentaire désigné par la mère ; 5) le juge; 6) le tuteur datif désigné par le juge».
Ce sont ces articles que dénoncent les femmes pour devenir les uniques ayants droit de la tutelle sur les enfants et le foyer.
Plusieurs raisons justifient la priorité du père sur la mère. La plus importante est que le père est chargé juridiquement de l’entretien de l’enfant. Il est responsable de ce qu’il peut donner (ou pas) financièrement et semble, par conséquent, le plus apte à décider du train de vie pour son enfant. Étant donné que l’épouse n’est pas sollicitée, officiellement, dans le Code de la famille, à entretenir cette relation pécuniaire, il parait normal qu’elle ne soit pas un pôle juridique de décision. Bien entendu, cela n’exclut pas que les parents se consultent pour les finances du foyer, mais dans la hiérarchisation le dernier mot revient au père. Il est comptable devant la justice de ce point névralgique. On peut imaginer des couples qui se chamaillent sur les questions financières, avec une épouse qui conteste les décisions d’argent et qui imposerait –si la tutelle lui revenait exclusivement- des choix subjectifs sans tenir compte de la situation bancaire de son mari. L’homme est obligé de travailler pour nourrir sa famille, tandis que la femme ne l’est pas. Dans beaucoup de familles, celle-ci reste au foyer.
Les femmes qui aspirent à devenir cotutrices légales doivent demander l’abolition des lois de l’entretien du mari de son épouse, et demander aussi à devenir juridiquement partie prenante de l’entretien des enfants. Une réclamation que nous n’avons vue nulle part dans les doléances des associations depuis vingt ans... Comprenons donc que les épouses qui montent au créneau aujourd’hui souhaitent décider seules des finances de leurs enfants... mais avec l’argent de leurs maris! Cela fait une belle jambe d’organiser colloques internationaux et d’effectuer des sorties médiatiques grossières sur la tutelle en perdant la mémoire sur le volet de l’entretien.
Par ailleurs, le père tuteur est de facto responsable devant le juge de tout ce qui concerne l’enfant mineur. On imagine mal, ici aussi, les mères au foyer s’occuper des affaires du tribunal. Elles sont parfois sollicitées pendant plusieurs années à tomber enceintes ou, disons-le clairement, elles ne sortent pas souvent, pour des raisons culturelles, des domiciles traditionnels. Dans quelques décennies, peut-être, lorsque la majorité des femmes s’émancipera elle-même des conditions de vie qui l’emprisonne dans le genre, accède au savoir et à l’autonomie totale, cette demande deviendra légitime.
La troisième raison qui donne raison au législateur de confier la tutelle au père est d’ordre anthropologique. C’est le père qui introduit l’enfant au réel, et non la mère. Et même lorsque le père est absent dans une famille monoparentale, l’enfant se débrouille inconsciemment pour remplacer son père biologique par un père de substitution, dit symbolique: un oncle, un grand frère, un maitre d’école, qui joueront dans sa croissance psychique le rôle échu de l’identification œdipienne, et de l’accès au monde des adultes. Il suffit de relire Freud et toute la littérature psychanalytique pour s’en assurer.
À la rigueur, il est possible d’entendre une cotutelle entre le mari et l’épouse sur leurs enfants, mais là encore il faut faire attention. Une hiérarchisation du pouvoir décisionnel est nécessaire. Il est connu que le pire qui puisse arriver aux petits de la maison, est d’entendre «oui» d’un parent et «non» de l’autre parent. Lorsque les deux parents ne sont pas d’accord sur une décision à prendre, les enfants sont perturbés, désapprennent l’autorité, deviennent insolents et ne se construisent pas. Il est important, dit-on, que le père et la mère véhiculent le même jugement et laissent apparaitre une unité autoritaire.
Dans l’intérêt des enfants, notamment lorsque le couple n’est pas homogène, il faut une seule parole qui décide. C’est pourquoi les meilleurs parents sont ceux qui ne montrent pas de hiatus, ils se concertent ensemble sur le «oui» ou le «non», se mettent d’accord sur la voie à prendre avant d’en aviser leurs enfants. Dans ce sens, la hiérarchisation est opportune. En cas de mésentente ou de dissonance parentale, il faut qu’une unique personne tranche. En l’occurrence, le père, pour toutes les raisons invoquées plus haut.
Dans les faits, il faut aussi rappeler qu’officieusement, et quoi qu’en disent les textes du Code, la mère marocaine joue un rôle de premier plan dans la tutelle de ses enfants et du foyer. Elle est la «ministre de l’Intérieur» comme aiment à l’appeler les hommes du Royaume. Un qualificatif étonnant qui lui donne des prérogatives dans l’éducation, la courroie financière, le mariage des enfants, etc. En général cet attribut est suivi d’un rire de connivence et de satisfaction des hommes lorsque ces derniers parlent de leurs foyers.
Les associations des droits des femmes doivent se rendre à l’évidence. Lorsqu’on demande un amendement aussi important que celui de la tutelle de l’enfant, il ne s’agit pas d’omettre l’intérêt suprême de la famille. Comme dit la sagesse du griot africain: la gazelle a beau avoir quatre pattes, elle ne peut emprunter deux chemins à la fois.