Portrait. Aziz El Badraoui, déchets et déchéance

Aziz El Badraoui, fondateur du groupe Ozone, et en arrière-plan, Mohamed Karimine, ancien maire de Bouznika.

Parti de rien, comme nombre d’hommes d’affaires marocains, Aziz El Badraoui s’est construit un petit empire dans le business de la gestion des déchets ménagers, et s’est fait un nom en devenant l’éphémère président du Raja de Casablanca. Avant d’être entraîné dans sa chute par Mohamed Karimine, l’ancien maire de Bouznika. Voici son parcours.

Le 21/02/2024 à 08h09

Sa vie est digne d’un roman, chronique d’une irrésistible ascension qui s’achève sur une subite descente aux enfers. Aziz El Badraoui a commencé petit, très petit, avant de décrocher la lune, puis atterrir dans une cellule de la prison casablancaise de Oukacha. Le fondateur du groupe Ozone, spécialisé dans la gestion des déchets ménagers, y est placé en détention provisoire, poursuivi, avec l’Istiqlalien Mohamed Karimine, ancien président de la commune de Bouznika, dans une affaire de corruption et de marchés publics truqués.

Aziz El Badraoui a vu le jour à Rabat, dans le quartier populaire de Takaddoum, au sein d’une famille de condition modeste. La mère est femme au foyer, le père, ancien soldat de l’Armée française ayant combattu en Indochine, est intégré dans les rangs de la Garde royale. Comme tous les enfants du quartier, il s’essaie au football, mais sans aller plus loin que les terrains en terre battue du voisinage. Il montre davantage d’endurance sur les bancs des établissements scolaires de la capitale, décrochant son baccalauréat, suivi d’un master en gestion de l’environnement, à la faculté des sciences de l’Université de Fès. C’est que, avouant une sensibilité écologique, le jeune homme se rêve une carrière dans l’environnement, filière qu’il flaire déjà comme une industrie d’avenir.

La filière des déchets

Dont acte. Diplôme en poche, Aziz El Badraoui fait son entrée dans le secteur de l’assainissement et de la gestion des déchets ménagers en se faisant embaucher chez la filiale fassie de Suez, puis celle de Véolia, deux références en la matière. C’est là qu’il fait ses classes, assimilant la science des balais, des poubelles, des bennes à ordures et des décharges. Et il faut croire que l’élève est doué: en 2008, il décide de se mettre à son compte en créant Ozone, entreprise née à Aïn Sebaâ, à Casablanca… avec un capital de départ de vingt petits milliers de dirhams et quatre employés.

Intégrant ainsi le cercle fermé des sociétés de collecte de déchets ménagers et de nettoyage public en général, Ozone tente crânement sa chance face à des mastodontes déjà bien établis sur le marché. Contre toute attente, la jeune et modeste entreprise décroche un premier grand marché, celui de la commune de Bouznika, alors présidée de longue date par Mohamed Karimine. El Badraoui ne se doutait probablement pas que celui qui lui avait mis le pied à l’étrier allait aussi précipiter sa chute des années plus tard…

Toutefois, le groupe Ozone ne prend véritablement son envol qu’en 2011, quand il remporte l’appel d’offres pour la gestion de la collecte des déchets ménagers de la ville de Fès. Paraphé par le sémillant Hamid Chabat, qui cumulait à l’époque les fauteuils de maire, de député, de secrétaire général de l’Istiqlal et de chef de file de l’Union générale des travailleurs au Maroc (UGTM), le contrat court sur une période de 7 ans, pour un montant annuel de 150 millions de dirhams. «Voilà qui était inhabituel: généralement, la durée de ce type de marchés ne va jamais au-delà de quatre ans», s’étonne un professionnel du secteur.

De là à penser que Hamid Chabat a donné un coup de pouce inespéré, voire intéressé, à Aziz El Badraoui, il y a un pas que certaines sources franchissent allègrement. «Était-ce un pur hasard que le groupe Ozone remporte pratiquement tous les marchés des communes dirigées par des Istiqlaliens?», s’interroge même un ancien cadre du parti de la Balance. Toujours est-il qu’après une «pause» de 5 ans (entre 2018 et 2023), c’est sous la présidence de Abdeslam El Bekkali, étiqueté Rassemblement national des indépendants (RNI), que la commune de Fès a renoué avec le groupe Ozone, via l’attribution d’un nouveau marché en 2023.

Parfaitement rodée, la stratégie du groupe Ozone consistait à viser les petites villes, laissant les grandes agglomérations aux «majors», généralement affiliés à des multinationales. À ce jour, le groupe compte pas moins d’une soixantaine de filiales, basées entre autres à Saïdia, Essaouira, Salé et Laâyoune. Mieux, depuis quelques années, le groupe a mis le cap sur différents pays africains, dont le Libéria, où Aziz El Badraoui a été reçu en 2018 par le président George Weah en personne.

«Nous allons tout chambouler!»

Au faîte de sa gloire, Aziz El Badraoui nourrissait toutefois l’ambition d’accrocher une grande ville à son tableau de chasse. Et, pourquoi pas, la plus grande de toutes: Casablanca. Pour se faire une place sous le soleil si convoité de la métropole, il se choisit comme cheval de Troie le football, en convoitant la présidence du Raja. Ayant le sens du timing, il profite de la disgrâce de Mohamed Boudrika pour lancer une véritable OPA sur les Verts. Bien qu’inconnu au bataillon du ballon rond, il se fraie un chemin jusqu’à la tête du club, avec des arguments sonnants et trébuchants, diront les mauvaises langues. Le 16 juin 2022, Aziz El Badraoui est élu président du Raja Club Athlétic, et s’autorise, en guise de cri de victoire, un mémorable «Ghadi nbelblouha» («Nous allons tout chambouler»). Il ne croyait pas si bien dire…

L’homme démarre son mandat tambour battant, et pas toujours sur les terrains. Dans les médias, il clashe sans ménagement ses détracteurs à gauche et à droite, et promet surtout monts et merveilles aux supporters des Verts. Grâce à ses finances florissantes, il n’hésite pas à mettre la main à la poche pour augmenter les primes de ses joueurs, en débaucher d’autres dans les clubs rivaux ou changer d’entraîneur comme on change de gandoura.

Mais la lune de miel ne dure qu’un temps. Faute de résultats, la désillusion chez les fans du Raja finit par prendre le dessus. La crise financière pointe déjà, et au sein du bureau dirigeant du club, on critique les manières et les méthodes du nouveau président, qui s’est aussi fait de moins en moins généreux. Chahuté de partout, accusé même de chercher à couler le club, le sauveur est devenu indésirable. Le 26 mai 2023, moins d’un an après son intronisation, la page rajaouie d’El Badraoui est tournée. Et avec elle s’évanouit l’espoir d’un éventuel contrat casablancais.

Le fondateur d’Ozone, qui aime qu’on l’appelle Docteur (il assure être titulaire d’un doctorat en gestion de l’environnement, obtenu à l’université de Bayreuth en Allemagne), est revenu se consacrer à ses affaires, à plein temps. Installé à Benslimane, il s’était entre-temps lancé dans l’élevage bovin. Une autre simple coïncidence, quand on sait que son ami Mohamed Karimine dirige la fédération interprofessionnelle des viandes rouges? Avec le même Karimine, il est aussi associé dans l’exploitation de plusieurs carrières de la région.

Le mécène de Benslimane

«Militant écologique», Aziz El Badraoui s’est aussi imposé comme un grand mécène avec la création de la Fondation Zazia des oeuvres caritatives. Il ne jure que par la «responsabilité sociétale des entreprises» (RSE) et donne l’exemple en se faisant proche de ses milliers de salariés. Le groupe Ozone peut se targuer d’avoir été l’une des rares sociétés de son secteur à avoir scellé un pacte social avec ses employés, affiliés en majorité à l’UGTM.

Pour des raisons inconnues, Aziz El Badraoui a démissionné, l’été dernier, du poste de PDG du groupe Ozone. Avait-il senti le vent tourner et venir les tracas judiciaires, quand les enquêteurs ont commencé à auditionner Mohamed Karimine? On en saura plus avec le début du procès.

Par Hassan El Attafi et Mohammed Boudarham
Le 21/02/2024 à 08h09