Depuis l’avènement de YouTube et des réseaux sociaux au Maroc, on voit et on entend de tout. La plateforme d'hébergement de vidéos, qui a sorti de l’ombre des inconnus, donné la parole à ceux qui ne l’avaient pas et même à ceux qui n’ont rien à dire, ouvert les portes de la richesse à des businessmen d’un nouveau genre et permis la naissance de nouveaux influenceurs d’opinions, a aussi créé, dans toute cette galerie de profils en tous genres, des monstres.
Au Maroc, pour se tenir informé de l’actualité, certains ont pour coutume de consulter YouTube. Abonnés à des chaînes tenues par de parfaits inconnus ou des individus surfant sur la vague d’une notoriété acquise sur fonds de démêlés avec la justice marocaine, mais qui se démarquent tous autant qu’ils sont par leur pseudo-liberté d’expression, ils boivent avidement les paroles de ces nouveaux «analystes» de l’actualité marocaine qui commentent, du fond de leur canapé, les derniers faits et polémiques en date avec une touche de complotisme dont on raffole.
Experts en tout ce qui touche au Maroc, un pays honni mais qui les nourritFhamator, l’homme qui jamais n’a tort, chantait Hoba Hoba Spirit, groupe culte de nos belles années. Il ne croyait pas si bien dire. Politique, économie, finances publiques, droits humains, santé, éducation, corruption, affaires de mœurs… Si les journalistes se cantonnent à des spécialités afin de ne pas s’égarer sur des chemins qu’ils ne connaissent pas, a contrario, absolument aucun domaine n’échappe à l’attention de ces «experts», donnant ainsi l’illusion d’une maîtrise absolue de tous les sujets qui font le quotidien de leur pays d’origine. Un pays qu’ils ont quitté, dont ils renient les valeurs et les institutions, mais qui constitue en fait leur principal gagne-pain.
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Parmi eux, des femmes, des hommes, des jeunes, des moins jeunes, des hétérosexuels, des homosexuels, des dissidents politiques, des anciens journalistes à la fois aigris et désabusés, des ménagères qui s’emmerdent chez elles, des gens qui se rachètent une vie plus propre que propre sous d’autres cieux après avoir eu affaire à la justice marocaine…
Et pour vendre leur soupe, les mises en scène sont rondement ficelées. Plateaux dignes de ceux des JT des chaînes officielles pour ceux qui se débrouillent le mieux, montages dernier cri pour captiver les spectateurs avec une trame et un suspens permettant de les garder en ligne pendant une trentaine de minutes et, enfin, vidéos tournées en live afin de garantir un sentiment d’authenticité et de véracité.
Pour leurs abonnés, en quête d’une liberté de ton qu’ils ne reconnaissent pas à la presse nationale, taxée de partisane, ces youtubeurs qui dénoncent, critiquent, insultent les institutions marocaines, la monarchie ou le gouvernement représentent aujourd’hui la version 2.0 de la liberté d’expression. Des solutions aux problèmes qu’ils dénoncent, ils n’en ont pas, car leur métier, c’est la critique, peu importe qu’elle soit constructive ou même avérée. L’essentiel étant d’obtenir le plus grand nombre de likes afin de rendre lucratif ce petit business confortable. Mais ça, on a tôt fait de l’oublier, aveuglés par l’écran de fumée qui se dresse entre ces pseudo-chantres de la vérité et nous.
Après tout, pourquoi ne pas être séduits par leurs chants de sirènes? «Ils disent haut et fort ce que personne n’ose dire!», arguent certains. «Ils sont très bien documentés, mieux que la presse», «ils n’ont pas de lignes rouges à respecter et parlent sans tabous», «ils sont tellement courageux, ils n’ont pas peur de se mettre en danger pour dire ce qu’ils pensent»… Voilà les arguments de leurs abonnés qui de facto comprennent parfaitement, et parfois envient, le fait que ceux qui se vendent comme des journalistes/enquêteurs, se sacrifiant pour leur quête de vérité, vivent souvent à l’étranger.
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Toute cette petite machine est bien huilée. Son principal carburant, ce sont les polémiques qui éclatent au Maroc ou qui concernent le Maroc et, bien entendu, les théories du complot. L’utilisation de l’argent des impôts, les raisons de l’inflation, le pourquoi du comment les prix à la pompe ne baissent pas, les injustices sociales qui font que les riches s’enrichissent et les pauvres s’appauvrissent, etc. sont du pain béni pour ces youtubeurs. Mais leur mets de prédilection, ce sont les affaires qui impliquent les institutions de l’Etat et la justice, les arcanes du pouvoir et tout ce qui se cache dans l’ombre des puissants.
La vérité derrière les écrans de fuméeMais depuis quelques semaines, un grain de sable est venu enrayer cette machine propagandiste qui ne dit pas son nom et le petit monde des youtubeurs marocains s’en retrouve sens dessus dessous. Des dissidences ont éclaté dans les rangs de ces soldats de l’information numérique et c’est à une véritable guerre fratricide que se livrent aujourd’hui certains d’entre eux. A mesure qu’ils se déchirent, par canaux interposés, la vérité apparaît enfin, bien laide, et signe la fin des illusions pour ceux qui buvaient leurs paroles.
L’homme par qui vient le scandale est un personnage pour le moins atypique. Nor Zino, c’est son nom de scène dira-t-on, le pseudo qu’il utilise sur sa chaîne. De son vrai nom Anouar Dahmani, ce jeune homme a quitté il y a quelques années le Maroc pour se réfugier en Espagne, et élire domicile à Malaga. Pourquoi fuir le Maroc? A cause, explique-t-il dans bon nombre de ces vidéos, de son homosexualité et de la difficulté de vivre dans un pays où celle-ci est considérée comme illégale, bien que tolérée. Depuis la Costa del Sol où il travaille dans l’hôtellerie, Nor Zino a acquis une certaine célébrité sur YouTube en dézinguant tout ce qui bouge, et surtout au Maroc. Pendant un temps, ses cibles favorites étaient les hautes institutions du Maroc, ce pays contre lequel il semble nourrir une solide rancœur, du roi Mohammed VI à Abdellatif Hammouchi, patron du pôle DGSN-DGST. Sous les vidéos que Dahmani poste, les internautes l’insultent copieusement, tandis que d’autres le félicitent, le tout dans un déchaînement de commentaires passionnés et de violence.
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Puis, un coup de théâtre s'est produit il y a quelques semaines. Nor Zino a décidé de retourner sa veste, de s’expliquer et de présenter ses excuses au Maroc, aux Marocains et aux institutions et personnalités du pays qui faisaient l’objet de ses critiques. Du côté de ses fans et de ses détracteurs, l’heure est à la stupeur. Commence alors sur sa chaîne un travail de réhabilitation d’une toute autre vérité, qui, pour la peine, vaut la peine d’être entendue.
Dahmani explique ainsi avoir été influencé, manipulé et payé par plusieurs personnes, dont il va peu à peu dévoiler les noms, afin de critiquer le Maroc, surtout ses institutions, et donner son avis sur des affaires judiciaires en cours (et pas n’importe lesquelles). Ce qui aurait attiré l’attention de ces gens de l’ombre sur lui? La rancœur qu’il nourrissait pour son pays et son homosexualité brimée, deux puissants leviers boostés par son aisance face caméra et les likes qu’il génère.
Les bonnes pages d’un mauvais polarLes révélations explosives de Dahmani ne sont pas sans intérêt, car aux manettes de la manipulation dont il dit, preuves à l’appui, avoir fait l’objet, se profile une galerie de personnages haute en couleurs. A commencer par Mohamed Ziane, ancien bâtonnier et ex-ministre des Droits de l’homme au Maroc, emprisonné depuis le 21 novembre après avoir été condamné en appel à trois ans de prison ferme et avoir comparu pour onze chefs d’accusation, dont ceux d’«outrage à des fonctionnaires publics et à la justice», «injure contre un corps constitué», «diffamation», «adultère» ou encore «harcèlement sexuel».
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Il y a aussi le couple formé par Adnane et Dounia Filali, actifs sur YouTube, naguère pro-monarchie marocaine, aujourd’hui louchement contre, dépendamment de leurs intérêts du moment, qui ont quitté le Maroc suite à plusieurs plaintes déposées à leur encontre par les victimes de leur business frauduleux, pour s'installer en Chine pendant un temps avant de s’exiler en France, où ils résident et espèrent décrocher un statut de réfugié politique.
On retrouve aussi, non sans surprise, Wahiba Kharchich, ancienne officier de police qui accusait ses supérieurs de harcèlement sexuel et qui a quitté le territoire marocain illégalement pour s’exiler aux Etats-Unis alors qu’une enquête était en cours en rapport avec sa plainte. Pour rappel, celle-ci était représentée dans cette affaire par Me Ziane.
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Enfin, parmi les anciens soutiens de Nor Zino, on pourra citer Zakaria Moumni, qui s’est illustré dans des combats dans des cages, réfugié au Canada et connu pour la rancœur qu’il nourrit à l’encontre du Royaume, inconsolable qu’il est depuis que son chantage à 4 millions d’euros pour ouvrir un club d’arts martiaux en France n’a pas abouti. Dans le sillage de Nor Zino, on trouve le salafiste Mohamed Hajib, ex-détenu accusé de financement du terrorisme et d'appartenance à une organisation criminelle, arrêté au Pakistan où il comptait rejoindre les résidus d’Al Qaeda en Afghanistan, réfugié en Allemagne, pays dont il détient désormais la nationalité, et qui a récemment appelé les Marocains désireux de se suicider à commettre des attentats au Royaume, afin de «ne pas perdre la vie inutilement»…
Voici donc les principaux personnages de cette saga qui, avouons-le, pourrait faire le succès d’un polar. Tous sont accusés par Anouar Dahmani de s’être constitués en réseau afin d’influencer le contenu produit par des youtubeurs comme lui et orienter leur discours. Autrement dit, les vidéos de Nor Zino dans lesquelles celui-ci proférait insultes et pseudo-révélations portant atteinte à des personnalités de l’Etat marocain, à l’appareil judiciaire du pays, étaient des commandes, de surcroît rémunérées.
Derrière la liberté d’expression affichée, le pouvoir de nuisanceDahmani évoque ainsi l’affaire de l’agression sexuelle commise par le journaliste Soulaimane Raissouni sur la personne d’Adam Muhammad. Il affirme avoir été manipulé par Mohamed Ziane afin de désavouer la victime, homosexuelle comme lui, et jeter ainsi le discrédit sur son témoignage, dans cette affaire où Raissouni apparaît aux yeux d’une certaine presse occidentale et d’organisations droits-de-l'hommistes, à l’instar d’Amnesty International ou Human Rights Watch, comme la victime d’un pouvoir qui veut museler les voix libres des «vrais» journalistes.
Le jeune homme ne tarit pas de révélations au sujet de Ziane, qui aurait pris contact avec lui afin de lui signifier son admiration pour sa liberté de ton et son courage. C’est à l’ex-bâtonnier qu’il doit ainsi sa rencontre avec Wahiba Kharchich, car, poursuit-il, c’est bien l’avocat qui l’aurait aidée à fuir le pays en passant par l’Espagne. Affirmant disposer de preuves, actuellement aux mains des autorités marocaines pour examen, le youtubeur révèle ainsi avoir été le premier contact sur le sol espagnol de l’ex-policière en cavale, à la demande de son avocat, Me Ziane.
Dès lors, Anouar Dahmani aurait noué une relation privilégiée avec Wahiba Kharchich, étayée de nombreux appels téléphoniques, messages et audios entre l’Espagne et les Etats-Unis, tous enregistrés et précieusement conservés par le youtubeur qui aurait ainsi pris ses précautions au cas où le vent viendrait à tourner.
L’affaire prenant de l’ampleur, celui-ci s’est alors fait représenter par l’avocat marocain Abdelfattah Zahrach et a pu se rendre au Maroc pour y témoigner lors d’une conférence de presse organisée le 22 décembre 2022 à Rabat. Depuis, les révélations se poursuivent sur sa chaîne YouTube, où, lors de lives, il fait écouter à ses abonnés, comme il l’a fait précédemment face à la presse marocaine, des extraits de ses conversations avec Kharchich, où, à titre d’exemple, l’on entend distinctement celle-ci lui dicter le contenu de plusieurs vidéos, dont l’une qui devra porter atteinte à la personne du roi Mohammed VI.
A ce sujet, le youtubeur affirme haut et fort que l’ancienne policière est en contact avec Saïd Bensedira, porte-voix de l’aile de la junte algérienne représentée par Khaled Nezzar et Mohamed Mediène, dit Toufik.
En somme, ce que nous explique aujourd’hui Anouar Dahmani, qui dit profondément regretter ses propos tenus par le passé, c’est de se méfier de l’eau qui dort et de ne pas prendre pour argent comptant les pseudo-vérités dérangeantes énoncées contre le Maroc sur YouTube. Car selon lui, si Wahiba Kharchich a brillé par son absence sur les réseaux sociaux et YouTube au cours de l’année 2022, elle n’a eu de cesse de tirer les ficelles de la manipulation du contenu vidéo, hostile au Royaume, posté sur la plateforme par des youtubeurs marocains, dont il fait partie.
Cette toile dissidente qui se serait tissée, selon lui, à travers le monde relierait ainsi les personnages précédemment cités, tous en contact les uns avec les autres, afin de se soutenir sur leurs chaînes respectives et prêcher pour la même paroisse par le truchement d’un même discours obéissant à des agendas hostiles aux intérêts du Royaume et rémunéré par des officines étrangères. Sans quoi, comment expliquer que l’ancien détenu et figure du salafisme Mohamed Hajib ait fait l’éloge sur sa chaîne YouTube de Nor Zino, homosexuel assumé et représentant tout ce que le premier est supposé abhorrer? C'est la question que pose ce dernier, amusé par ce paradoxe «contre nature».
Pour l’heure, comme l’ont annoncé Me Zahrach et son client, les preuves fournies par ce dernier sont entre les mains des autorités marocaines et font l’objet d’un examen. Si ce qui est avancé par Anouar Dahmani, qui martèle «n’avoir plus rien à perdre», s’avère vrai, nul doute que cette affaire prendra une tournure qui apportera un nouvel éclairage sur les scandales dans lesquels sont impliquées les différentes personnes épinglées par le youtubeur.