Il y a une quarantaine d’années, Henry Kissinger, l’ancien secrétaire d’État américain aux affaires étrangères, avait publié un long article dans un magazine américain où il prévoyait ce qui se passe aujourd’hui dans le monde arabe: divisions, guerres civiles, affrontements entre tribus, bref, le tableau idéal pour qu’Israël puisse dormir sur ses deux oreilles.
Visionnaire, certes, et surtout stratège.
Si le monde arabe (qui n’a jamais vraiment existé) est aujourd’hui à l’hôpital, c’est que Kissinger ainsi que ses dirigeants ont contribué pas mal à sa détérioration. Pour Kissinger, c’était son métier, l’intérêt de son pays. Pour les dirigeants arabes, ce fut leur destin.
Aucun chef d’État du Proche-Orient ne s’était méfié de lui. Lui, il trouvait que le syrien Hafez al Assad, grand criminel, tueur de son peuple, était un homme intelligent. Il lui avait fait des compliments sur la manière dont il tenait son pays. Sur son fils, Bachar, il me semble qu’il n’ait rien dit.
En grand politicien, il a manipulé tout le monde. Et les Arabes sont tombés dans ses pièges, à commencer par les Palestiniens.
1- L’affaire soudanaise me donne la nausée. Deux généraux de deux armées différentes se font la guerre en tuant des civils pour prendre le pouvoir. Que peut-on espérer de ces deux individus méprisables, passibles du Tribunal pénal international pour crimes contre l’humanité? Quel que soit le discours que le vainqueur tiendra, cet individu devrait être arrêté et jugé.
On rêve d’une instance forte et sans pitié intervenant au Soudan, elle arrêterait les généraux et mettrait fin à cette guerre d’un genre nouveau. Il y a certes la Libye où deux chefs de tribus se battent pour le pouvoir. Et l’on ne voit pas l’issue de cette bataille commencée sur la dépouille de Kadhafi et ouvrant un territoire inespéré pour Daech et ses sbires.
2- Avec persévérance et sans honte, l’assassin du peuple syrien, Bachar al Assad, est en train d’être réhabilité. On efface la liste des crimes qu’il a commis et on lui donne la considération qu’il avait perdue. Le chef d’État iranien a fait une visite d’État de deux jours à Damas. Mais entre l’Iran et la Syrie officielle, il n’y eut jamais de rupture, au contraire, des soldats du Hezbollah libanais, qui sont à la solde de l’Iran, ont participé aux massacres des populations civiles en Syrie durant plusieurs années. Il en fut de même de l’armée russe.
Un film, «Les âmes perdues», réalisé par Stéphane Malterre et Garance Le Caisne, vient de sortir en France. En 2014, un photographe, du nom de César, avait filmé les milliers de victimes de la torture et de la mort dans les prisons syriennes. Il a réussi à déserter et a présenté ces preuves au monde entier pour montrer combien le régime syrien est bien un régime atroce. La réponse du criminel Bachar: c’est de la propagande! Ce qu’on voit dans le film est insoutenable.
Les Européens seraient prêts à préférer l’oubli à la justice. Il y aurait tant de choses à reconstruire dans un pays en ruines. Les intérêts d’abord.
3- Un militant palestinien vient de mourir dans les prisons israéliennes suite à une grève de la faim entamée en février dernier. Mort horrible. Le cynisme des autorités israéliennes est légendaire. Surtout qu’avec le nouveau gouvernement extrémiste de Netanyahu, aucun signe de paix n’est visible à l’horizon.
On peut continuer ainsi cette litanie. Ça ne servira à rien.
Au Maroc, le Proche-Orient est loin. La cause palestinienne n’est plus aussi vive qu’avant. Après tout, notre pays se concentre sur ses projets fondamentaux pour qu’on devienne un pays émergent sur le plan économique et social. Le conflit avec l’Algérie est loin d’être éteint. La junte militaire en a besoin pour pouvoir poursuivre sa besogne.
Le fait que, de tous les pays arabes, seul le Maroc semble s’en sortir, et cela grâce à la vigilance et l’intelligence du Souverain, ne plaît pas à tout le monde. Ce serait là l’une des origines de la brouille avec la France.
Avec ce tableau, il est évident qu’il serait plus juste de ne plus parler de «monde arabe», tant ses divisions, ses déchirures, ses guerres ont fini par le disloquer et le disperser dans un monde confus et de plus en plus violent.
L’identité arabo-berbère du Maroc s’impose aujourd’hui comme une entité spécifique, multilingue, multiculturelle, ouverte sur le monde tout en célébrant ses valeurs fondamentales. Je sais, ce n’est pas parfait, car tant de choses sont à régler sur le plan social, dans le domaine de la santé, de l’éducation et de la justice.
Le plan de Kissinger a été presque réalisé dans sa totalité. Israël peut dormir sur ses deux oreilles. Aucun État arabe ne le menace. Quant à la résistance du Hamas, elle est piégée, car chaque fois que ce mouvement lance des roquettes, il donne à l’armée israélienne l’occasion de bombarder des quartiers entiers à Gaza, faisant à chaque fois, des dizaines de morts et blessés. Et ce sera ainsi à l’infini, hélas.





