La chaudière est tombée en panne. J’appelle la société avec laquelle j’ai un contrat d’entretien pour qu’elle envoie un technicien la réparer.
Quelques jours plus tard -nous sommes à Paris-, un agent en blouse bleue, portant le logo de la société, arrive. Il est sénégalais. Je lui propose un café. Il me dit: non, pas pendant le travail.
Il ouvre la chaudière et repère tout de suite la pièce défaillante. Il me dit: il faut changer cette petite pièce; elle coûte 29 euros.
Je lui demande d’installer une pièce neuve.
Il me dit: non Monsieur, ce que je viens de faire, c’est un constat. Je dois ensuite rendre compte à ma société de ce constat et puis le service technique prendra rendez-vous avec vous pour changer la pièce et vous enverra un devis.
Je lui demande: un devis pour si peu de choses?
– Oui, Monsieur.
Après un instant de réflexion, je lui suggère: mais faites-le vous-même!
Sa réponse m’a laissé sans voix:
– Mais Monsieur, nous ne sommes pas en Afrique ici!
J’ai vu qu’il n’y avait pas moyen de nous arranger, je le remercie.
Le lendemain, je reçois un devis pour la réparation d’un montant de 198 euros. Détail du devis: prix de la pièce, déplacement du technicien, taux horaire de la main-d’œuvre, TVA, etc.
Comment ne pas penser à la même scène chez nous? En supposant que le technicien marocain soit aussi compétent que le sénégalais, l’affaire aurait coûté au maximum 500 dirhams. Ni taux horaire ni TVA, de l’argent en espèces et puis la chaudière est réparée.
Ça, c’est ce qu’on appelle l’informel! Que serait le Maroc sans cette économie parallèle, vivante, pas du tout clandestine, ni souterraine?
Je suis allé l’autre jour à Casa Barata à Tanger. Chaque ville à sa Joutia, son marché entièrement informel. À Tanger, Casa Barata est le marché où l’on trouve de tout, aussi bien des produits de contrebande que des choses produites au Maroc.
Il y a des boutiques de tissus, d’autres de produits ménagers, d’autres de fruits secs, de jouets pour enfants venus de Chine, de téléviseurs, de machines à laver, de meubles, de matelas ou de figues de barbarie. Il y a aussi des restaurants où l’on vous sert un bol de bissara pour dix dirhams, des oculistes, des réparateurs de tout et de rien, etc.
Mais le plus impressionnant, c’est le coin de l’informatique. Là, vous avez affaire à des jeunes dont certains savent à peine lire, mais qui réparent des ordinateurs ou des téléphones, qui jonglent avec les pièges informatiques. On dirait des étudiants sortis de la Silicon Valley sans diplômes.
Ils vendent aussi toutes sortes d’appareils. Certains sont d’origine au prix fort (à marchander); d’autres produits d’occasion ou d’imitation. Ils vous le disent. À vous de choisir. J’ai remarqué qu’il n’y a pas d’arnaque, du moins chaque fois que je me suis procuré quelque chose dans ce marché.
Tout se paye en espèces. Il n’y a pas de facture. Ce qui la remplace, c’est la parole donnée. Ils vous le disent: «S’il y a un problème, revenez, tout se règle, mon nom est Ali, voici mon numéro de portable». Ici, c’est du sérieux.
Dans cette économie informelle, je n’inclus pas le trafic de drogues. Là, il s’agit de la clandestinité absolue et de l’illégalité totale.
Ainsi le secteur informel au Maroc représente une part non négligeable du Produit intérieur brut (PIB).
Sociologiquement, il est à considérer comme une donnée faisant partie non seulement de l’économie du pays, mais aussi de ses habitudes et de sa mentalité. On a beau interdire le dépôt de grosses sommes d’argent en liquide, les banques continuent de les accepter. Il est des citoyens qui ne croient ni au chèque ni à la carte bancaire. Ils aiment palper leur argent, le voir, le compter et le mettre à l’abri.
Le jour où, par baguette magique, on fera disparaître le commerce informel, le pays connaîtra une grave crise. L’informel fait vivre des millions de personnes. En même temps, les revenus de ces commerçants ne sont pas, de manière technique et efficace, soumis à l’impôt sur le revenu ou alors ils sont taxés au forfait. Les boutiques ayant pignon sur rue payent l’impôt. Les autres font partie des «invisibles», notamment ceux qui jonchent les trottoirs de leurs produits chinois.
Là, personne n’a voulu m’en parler. Quelqu’un m’a dit: ici, l’important c’est d’avoir ses dix mètres carrés pour travailler. Et le mètre carré est très cher, rien à voir avec le prix de l’immobilier en ville. Ici, c’est de l’or. Et l’or, ça va aller chercher très loin.
Un mot pour dire «Merci!»:
Un immense merci, et un immense Bravo à Soufiane El Bakkali. Cet homme d’exception n’a pu réaliser cette performance internationale sur les 3.000 mètres steeple que parce qu’il a passé des années à s’entraîner, à travailler son corps, à garder une hygiène de vie stricte et suivie par des médecins et par son entraîneur.
On n’arrive pas au sommet d’une compétition par hasard ni par la seule ambition de gagner. Là, à la base, nous retrouvons le concept fondamental du sérieux. Le sérieux et la volonté de fer de se consacrer à ce travail unique et très difficile, parce qu’il s’agit de se mesurer à des champions mondiaux rompus à courir et à gagner.
Soufiane El Bakkali donne une leçon à tous les Marocains qui veulent entreprendre et réaliser des projets. Travail acharné, sérieux inébranlable, volonté profonde et non négociable. Ce succès est possible dans tous les domaines, à condition qu’on observe quasi religieusement la volonté du sérieux, du travail bien fait, et aussi de notre hygiène de vie et de comportement.
Merci à toi, cher Soufiane.