L’herbe n’est plus verte à Casablanca

Zineb Ibnouzahir.

ChroniqueEst-ce que la chasse aux véhicules à traction animale était une priorité dans la course à la modernité et au progrès de cette ville? Une question qui nous laisse dubitatifs tant l’ampleur des progrès à réaliser en matière de réflexion sur les infrastructures et l’espace urbain est encore grande.

Le 26/11/2023 à 14h15

L’interdiction des charrettes à traction animale à Casablanca marque la fin d’une époque et d’une certaine image du Maroc, un pays à cheval entre modernité et ruralisation des villes. À vrai dire, nous sommes tous assez mitigés face à cette annonce et on ne peut être insensible au désarroi des propriétaires de ces charrettes et de ces animaux, qui représentaient leur principal gagne-pain.

Qu’adviendra-t-il d’eux? Par quoi les autorités de la ville entendent-elles compenser leur perte d’activité? C’est la question qu’ils se posent et qu’on se pose tous, en espérant, soufflent de nombreuses voix, que les charrettes ne seront pas remplacées par des triporteurs. En matière d’anarchie sur les routes, on n’a pas vu pire (si ce n’est les coursiers à moto), et question écologie, il faudra repasser.

Au-delà de ce désarroi d’une partie de la population qui craint de basculer complètement dans la précarité sans cette source de revenu, c’est une page de l’histoire de cette ville qui se tourne, non sans un pincement au cœur.

Cette carte postale atypique d’une capitale économique bourrée de contrastes, qui prêtaient parfois à sourire, ne sera plus. Bientôt, on ne verra plus se côtoyer au même feu rouge les rutilantes sportives à centaines de chevaux sous le capot et la charrette à quatre roues et quatre pattes qui affichait parfois, non sans un humour typiquement marocain, une plaque d’immatriculation et un logo de voiture de luxe, sans oublier le siège de voiture sur lequel trônait du haut de sa charrette, le fouet à la main, le conducteur.

Terminé aussi les légumiers ambulants qui passent sous nos fenêtres en chantant ses slogans publicitaires où felfla rime avec matecha. Ils rejoindront bientôt ces autres métiers qui ont disparu des quartiers résidentiels de la ville dont le quotidien était rythmé par le défilé des vendeurs d’œufs, de menthe, de bidons de javel, dont chacun avait un chant bien spécifique, qui résonne encore dans nos souvenirs d’enfance.

Ce que l’on appelle la ruralisation de la ville, ce nouveau fléau contre lequel il faut désormais lutter pour afficher l’image sans tache de la modernité et du progrès à l’approche de la tenue de la Coupe du monde de football en 2030, faisait partie intégrante de Casablanca. C’est ce qui lui apportait un cachet spécial, c’est ce qui faisait vivre au quotidien ce petit bout de campagne dans la ville, c’est, certes, ce qui nous différenciait, entre autres choses, des grandes capitales occidentales.

D’un autre côté, la nostalgie laisse place à un soulagement certain, celui de ne plus assister au quotidien à des scènes de maltraitance animale face auxquelles nous étions impuissants. Car si nombreux étaient les propriétaires de charrette à prendre soin de leurs animaux, tout aussi nombreux étaient ceux qui se comportaient en véritables monstres de cruauté, maniant le bâton et le fouet avec rage et trainant sur le bitume les pauvres carcasses décharnées de leurs montures. Qu’adviendra-t-il d’ailleurs de ces animaux réquisitionnés? Vendus aux enchères, peut-on lire, lorsqu’ils seront saisis. Mais à qui, et pour quoi faire? On n’ose regarder en direction des associations de protection des animaux au Maroc qui croulent déjà sous le nombre d’animaux et peinent à joindre les deux bouts financièrement.

Est-ce que la chasse aux véhicules à traction était une priorité dans la course à la modernité et au progrès de cette ville? Une question qui nous laisse dubitatifs tant l’ampleur des progrès à réaliser en matière de réflexion sur les infrastructures et l’espace urbain est encore grande. Nous manquons cruellement d’espaces verts, ravagés au fil des ans pour laisser place à du béton, nous manquons d’avenues boisées depuis que l’on déracine à coups de pelleteuses les arbres pour replanter à tout va des palmiers et des panneaux publicitaires. À vitesse grand V, la nature est chassée de cette ville et on ne peut que s’en attrister, avant de se résoudre à rejoindre le large flux de l’exode des Casablancais qui fuient leur ville, pour s’établir un peu plus loin sur le littoral, là où l’herbe est encore verte, et où la nature animale et végétale cohabite encore avec la modernité.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 26/11/2023 à 14h15