À l’époque des «années de plomb», je me rendais souvent en Grèce. Un jour, un ami m’a demandé «pourquoi la Grèce?» Ma réponse l’a surpris: «Parce que la Grèce, c’est le Maroc moins l’angoisse».
Il faut dire que durant ces années, le Maroc était sous l’état d’exception. Tout pouvait arriver. La répression allait bon train et nombre de mes amis étaient en prison, pour délit d’opinion. Chaque fois que je me présentais à la police des frontières à Tanger ou à Casablanca, j’avais la trouille. Je me disais: «et si l’agent en face de moi ne me rendait pas mon passeport?»
Évidemment, je parle d’un temps que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître. En ces temps-là, le Maroc réglait ses problèmes de sécurité intérieure et se trompait d’ennemi. La preuve, les deux coups d’État ont été commis par des militaires.
Enfin, heureusement, cette époque est révolue, mais de temps en temps, ce serait bien que les jeunes apprennent un peu de l’histoire récente de leur pays.
Aujourd’hui, je suis de nouveau en Grèce, mais pas pour compenser un séjour éventuel chez moi. Je suis venu en tant qu’ancien mentor en littérature, dans le programme de la société Rolex, «Mentor et Protégé», qui fêtait son vingtième anniversaire et le départ de celle qui en fut la cheville ouvrière et l’âme, Rebecca Irwin, une dame de haute qualité.
La Grèce s’est développée. Elle a grossi. Elle a toujours moins de onze millions d’habitants, et autant à l’extérieur. C’est un pays qui a connu une guerre civile atroce entre 1946 et 1949, suivie par plusieurs années de dictature, de répression et de mauvaise gestion. Le pays qu’on appelle «le berceau de la civilisation occidentale», celui qui a donné naissance à la démocratie a été sauvé par l’Europe.
La Grèce a de tout temps été un pays très visité. Le tourisme l’a un peu déformée, mais il reste un de ses revenus importants. Athènes a toujours été une ville chaotique, sans logique urbanistique, bref, laide. Mais dès qu’on en sort, on est subjugué par son millier d’îles.
La Grèce a donné de grands poètes: Kavafi, Georges Seferis, Yanis Ritsos, Odyssos Elytis (ces trois derniers poètes ont reçu le Nobel de littérature); de grands romanciers: Nicos Kazantzakis, Vassili Dimoula, Vassilis Alexakis, etc.
La comparaison avec le Maroc se situe au niveau de certaines traditions populaires: le sens de la famille, le sens de l’hospitalité, la célébration de la culture. Nous avons les traditions méditerranéennes en commun.
Aujourd’hui, la démocratie grecque est bien installée. On est loin du film «Z», de Costa Gavras (1965, tourné en Algérie). L’économie a été sauvée par les milliards européens. Le tourisme est de nouveau en pleine expansion.
Ce qui nous différencie avec la Grèce c’est la qualité des services. Le taux des retours des touristes dans ce pays est bien supérieur à celui du Maroc. Les Grecs ont tout de suite compris qu’il fallait avoir une politique touristique efficace, ouverte et tolérante.
Chez nous, on demande encore à un couple qui se présente à l’hôtel si la femme qui l’accompagne est légitime, et de le prouver en exhibant l’acte de mariage. Cette stupide loi est là. Elle s’applique surtout aux nationaux. Mais rien n’empêche un agent hôtelier de la faire appliquer à un couple étranger. C’est arrivé l’année dernière à un couple suisse dont je suis l’ami et que j’avais vivement encouragé à visiter mon pays.
Cela m’est arrivé une fois en Égypte, et une autre fois dans un grand hôtel à Casablanca. Un directeur d’hôtel m’a assuré récemment que c’est la police qui exige l’application de cette loi anachronique. Il est temps de l’abroger et laisser les gens vivre en paix. La prostitution est ailleurs et se pratique dans des lieux faits pour ça.
Le tourisme reprend et le Maroc n’est pas tout à fait prêt pour accueillir les millions de personnes attirées par son soleil et sa stabilité.
Le dernier attentat à Djerba a donné un coup d’arrêt immédiat au tourisme dont ce pays a grandement besoin. L’Algérie n’a jamais ouvert ses portes au tourisme. Le Maroc est actuellement le pays ayant des chances de récupérer les touristes des pays problématiques.
Durant les dernières vacances de Pâques, Marrakech était pleine à craquer. Pas une chambre de libre. Le ministère du Tourisme devrait mettre les bouchées doubles pour répondre à la demande mondiale. Le Maroc est à la mode. Soyons à la hauteur de cette attente et surtout, améliorons la qualité de service.