J’apprends par la presse que quatre magistrats et deux substituts du procureur du Roi sont en détention pour motif de corruption. Ils sont évidemment présumés innocents jusqu’à ce que la justice se prononce sur leur cas.
Comme moi, j’imagine, vous vous posez la question suivante: comment un magistrat peut-il succomber à la corruption, sachant que ce fléau est combattu et que l’éthique liée à sa profession le lui interdit de manière claire. La fonction de magistrat a quelque chose de noble. On ne peut pas la salir en cédant à des gains illégaux.
On ne va pas les juger sur la place publique. Mais cela nous amène à chercher où se niche la faille, où se cache la soif du mal, où et comment un homme respectable se trouve-t-il mêlé à une affaire qui sent très mauvais?
On me dira: la corruption existe dans tous les pays du monde. Sans doute, mais est-ce une raison pour y succomber et se déshonorer? Est-ce une raison pour renoncer à sa dignité de haut fonctionnaire de l’État et accepter quelques liasses de billets?
La justice est un sujet très sensible. Les citoyens qui ont eu affaire à la justice le savent. Certains ont suivi la filière tracée par des intermédiaires qui leur font payer un rendez-vous, une clémence, voire un acquittement.
L’intermédiaire a une typologie qui ne trompe pas. Je vous le décris: il est jeune, entre trente et quarante ans; il est mince, sec, sans état d’âme, fume beaucoup, il est nerveux, le regard incertain, il vous sourit, vous met en confiance, vous fait savoir qu’il va vous rendre service par bonté naturelle, pour l’amour de l’humanité et de la justice. Il est beau parleur. Il a l’œil sur la porte au cas où entrerait un policier en civil.
Il vous donne rendez-vous dans le café du coin. Paie l’addition, et vous glisse à l’oreille ce que l’intervention va vous coûter. Ses grandes mains ont l’agilité d’un magicien qui fait disparaître une colombe.
Ce genre d’imposteur hante les tribunaux. Leur proie préférée est le paysan, descendu de la campagne pour régler son affaire. Dès qu’il débarque, l’intermédiaire le repère et se présente à lui comme un sauveur, un bienfaiteur qui va lui faciliter la circulation dans cette jungle que constitue le hall du tribunal. Pire que cela, le paysan en question, avant de réclamer ses droits, se met à la recherche de l’homme qui lui ouvrira les portes. Il est arrivé muni d’enveloppes et se demande à qui les donner?
La confiance en la justice a été éliminée par tant de pratiques honteuses.
Dans ce domaine, résister, tenir à son intégrité ne garantit pas une issue favorable et juste. Je le sais d’expérience. Tout le monde me disait: «Malheureux! Tu dois jouer le jeu, sinon tu vas perdre ton procès». Et je perdis mon procès.
J’ai vécu la même expérience pour la délivrance de la carte grise d’un véhicule que j’avais fait entrer de France. J’avais refusé systématiquement de «boire le café de la corruption». On dit «café», simplement. Et tout le monde comprend. J’ai tenu bon et j’ai réussi à obtenir la carte grise au bout de cinq semaines de combat.
J’ai raconté mes déboires dans une chronique il y a quelques années. Le fait de dénoncer ces pratiques ne suffit plus. La lutte est difficile, complexe, harassante. L’instance de lutte contre la corruption fait ce qu’elle peut.
En fait, tant que l’argent en espèces circule encore et qu’il est accepté dans les banques, cette lutte est inutile et inefficace.
Reste l’éducation. Dès l’école primaire, des cours de civisme et de refus de la corruption devraient être institués. Il faut insuffler dans l’esprit des enfants le rejet de ce qui corrompt.
Il y a l’école, la famille et les médias. Si chacun combat avec ses moyens ce fléau, on peut espérer arriver à le rendre moins présent, à lui faire échec. Cependant, je reste persuadé que la fin de l’argent liquide serait le meilleur moyen de couper l’herbe sous les pieds du corrupteur et du corrompu.
En Europe, au-delà de la somme de mille euros, un achat doit être réglé par carte, chèque ou virement bancaire.