Jeunes, travailleurs et pères de familles: qui sont les quatre victimes des tirs de la marine algérienne près de Saïdia?

De gauche à droite: Mohamed Kissi, Abdelali Mchiouer, Bilal Kissi et Ismaïl Snabi.

Le 01/09/2023 à 15h29

VidéoMembres d’une seule famille ou amis proches, Bilal et Mohamed Kissi, Ismaïl Snabi et Abdelali Mchiouer sont respectivement trois Franco-Marocains et un Marocain résidant depuis 30 ans en France. D’honorables jeunes citoyens sans histoires et tous pères de familles, les quatre ont fait l’objet, mardi 29 août, de tirs nourris de la part des garde-côtes algériens alors qu’ils s’étaient perdus en mer à bord de leurs jet-skis, dans l’espace maritime algérien limitrophe de la côte marocaine, près de Saïdia. Abattu par l’armée algérienne, Bilal Kissi a été enterré chez lui à Bni Drar (province d’Oujda), alors que son frère a eu la vie sauve. Le sort du corps d’Abdelali Mchiouer, également tué, et de Ismaïl Snabi, pris en captif, demeure inconnu. Voici leurs profils.

Ils s’appellent Bilal et Mohamed Kissi, Abdelali Mchiouer et Ismaïl Snabi. Ils ont en commun d’être d’origine marocaine -trois d’entre eux ont la nationalité française et le quatrième est détenteur d’une carte de séjour. Ils sont des entrepreneurs ou des salariés respectés et des pères de familles amoureux de leur pays d’origine, où ils revenaient passer leurs vacances chaque été. Mais ce qui devait être une sortie en mer en jet-ski à Saïdia, à la frontière avec l’Algérie, s’est transformé en cauchemar, pour eux comme pour leurs familles et proches. Il aura suffi qu’ils s’égarent, mardi 29 août, à la nuit tombée dans les eaux territoriales algériennes pour que l’armée du «voisin» leur tire dessus, sans aucune sommation et alors qu’il s’agissait de toute évidence de civils en détresse. Bilan: Bilal Kissi et Abdelali Mchiouer sont tombés sous les tirs nourris algériens, tandis que Mohamed Kissi a miraculeusement réussi à se sauver et regagner Saïdia. Ismaïl Snabi, lui, est en captivité en Algérie. Qui étaient-ils?

Bilal et Mohamed Kissi: une histoire de famille

Né en France et âgé de 29 ans, Bilal Kissi est le portrait type du gentil jeune homme «rangé». Commerçant, marié et père de deux enfants (une fille de 2 ans à peine et une autre encore bébé, âgée de deux mois), il était le benjamin d’une famille de 8 enfants (cinq sœurs et trois frères). «Nous sommes nés à Vaujours, une commune française située dans le département de la Seine-Saint-Denis, en région Île-de-France», explique Mohamed Kissi, le seul rescapé rentré sain et sauf de ce qu’il qualifie lui-même de «chasse».

Mohamed Kissi est né en 1990, et il travaille pour Fedex, une multinationale de livraison et d’expédition opérant, entre autres, depuis les aéroports de Paris. Lui aussi est père de deux filles, âgées respectivement de 4 et 6 ans. Avec leurs familles, les deux frères avaient de fortes attaches avec le Maroc, où ils se rendaient au moins deux fois par an. Ils sont également cousins avec Abdelkrim Qissi, acteur et boxeur belgo-marocain, connu du grand public pour ses rôles de méchant dans certains films de Jean-Claude Van Damme. On retiendra notamment son personnage de Tong Po dans «Kickboxer», un film d’arts martiaux culte des années 1980, aux côtés du même Van Damme.

Sur Facebook -un post supprimé depuis-, Abdelkrim Qissi ne cachait pas son désarroi et sa rage face à la perte de son petit cousin. Et c’est loin d’être un cas unique dans la famille puisque «plusieurs membres de (sa) famille ont été tués par la police frontalière algérienne». Et pour cause, son village se situe «malheureusement» près de la frontière. «Ma famille a payé et paye encore un lourd tribut dû à cette haine», déplorait-il dans ce message.

Abdelali Mchiouer: les siens réclament le corps

Autre victime ayant rendu l’âme suite à cet assassinat, Abdelali Mchiouer était âgé de 40 ans. Originaire d’Oujda, il est arrivé en France alors qu’il avait 10 ans. Détenteur d’une carte de séjour en France, il travaillait en tant que commerçant au marché de Montfermeil, toujours à Seine-Saint-Denis. Abdelali Mchiouer avait un enfant, Oussama, âgé d’à peine 5 ans. «Tout ce que nous voulons, c’est pouvoir récupérer son corps pour faire son deuil dignement. Les autorités algériennes tardent encore à réagir. En attendant, son père et sa mère sont dans un état de chagrin tel que leur propre vie est en jeu. Ils ne supportent pas de rester sans nouvelles de la dépouille de leur enfant et sont meurtris par le doute qu’entretient le voisin quant à la possibilité de son rapatriement», explique Hamad Kassi, un membre de la famille.


Ismaïl Snabi: un sort toujours méconnu

Âgé de 33 ans, Ismaïl Snabi a été pris en captif et est toujours en détention chez les autorités algériennes. Contrôleur technique, il est marié à une Algérienne et a trois enfants, de 8 et 6 ans pour les aînés ainsi qu’un nourrisson. Ses proches disent être sans nouvelles de lui. «Une fois arrêté, il a été accusé de recel d’un jet-ski volé avant d’être soupçonné de trafic de cannabis. Condamné à trois mois de prison ferme, un avocat a été chargé de prendre sa défense. Il a un short pour seul vêtement et nous n’arrivons toujours pas à entrer en contact avec lui, ne serait-ce que pour lui faire parvenir des habits», souligne Hamad Kassi.

Par Tarik Qattab
Le 01/09/2023 à 15h29