Ismail Snabi, jet-skieur arrêté par les garde-côtes algériens, raconte comment il a été torturé

Ismail Snabi, l'un des quatre vacanciers marocains pris en chasse par la marine algérienne le 29 août 2023, et qui a passé un an dans les geôles algériennes.

Revenu chez lui en France, après avoir purgé une peine d’un an de prison ferme en Algérie, le Franco-marocain Ismail Snabi a livré son terrible témoignage au quotidien «Le Monde». Un récit cauchemardesque qui illustre la monstruosité du régime d’Alger et la haine viscérale qu’il voue au Maroc et aux Marocains.

Le 29/11/2024 à 13h36

De retour chez lui depuis le 5 septembre, c’est un homme brisé qui a accepté de confier son histoire au quotidien Le Monde. Dans un article publié le 28 novembre, Ismail Snabi, franco-marocain de 28 ans résidant en France, à Clichy-sous-Bois, raconte son calvaire, traumatisé par les souvenirs qui le submergent.

Nous sommes le 29 août 2023, il est 17h00, le ciel est encore bleu et «la mer plate comme un lac», décrit-on dans le récit fait de cette journée de vacances idéale. Le jeune homme est accompagné de ses amis Bilal Kissi, Mohammed, le frère de ce dernier, et Abdelali Mchiouer. À bord de trois jet-skis, ils se rendent au Cap-de-l’Eau, village de pêcheurs situé à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Saïdia, afin de s’y restaurer les pieds dans l’eau. Une fois leur repas terminé, il est temps de rentrer, car il se fait déjà tard. Les quatre hommes enfourchent leurs véhicules, le troisième étant partagé par Bilal Kissi et Abdelali Mchiouer.

Une journée qui avait si bien commencé…

«On fait des tours, des Snapchat», se rappelle Ismail. «Puis, la nuit tombe, la brume se lève», poursuit-il, plongé dans ce souvenir encore vivace. Les quatre amis, qui pensent se diriger vers la marina de Saïdia, commencent à douter de leur itinéraire en se rendant compte que le chemin de retour est excessivement long. «Je m’arrête et je dis à Mohamed qu’on s’est trompés. On voit juste un truc blanc au loin. Il n’y a pas de panneau en mer», raconte ce père de trois garçons, âgés de 3, 4 et 6 ans.

Il est près de 20h00. C’est alors que surgit de la brume un bateau qui fonce sur eux à toute vitesse, en zigzaguant entre les jet-skis, comme pour les séparer. À bord, des garde-côtes algériens. Au départ, explique Ismail Snabi, «je suis content de les voir. Je me dis qu’ils vont nous aider, nous indiquer la route». Le jeune homme s’adresse à eux en arabe, encore confiant, et leur lance: «On s’est trompés, on vient du Maroc». Mais pour seule réponse, les militaires hurlent un «Foutez le camp! Le Maroc, c’est là-bas». Les quatre hommes ne se le font pas répéter deux fois et font immédiatement demi-tour.

Les crimes (encore) impunis de l’armée algérienne

En livrant son précieux témoignage, l’homme place la pièce qui manquait au puzzle, permettant ainsi de reconstituer fidèlement la scène. Alors que les quatre amis se dirigent désormais vers les côtes marocaines, ils entendent des bruits qui ressemblent à des tirs d’armes à feu. Pris de panique, il se jette à l’eau. «Je me mets à ‘chahed’ comme si mon heure était arrivée, et là j’entends: “T’es juif, pourquoi tu ‘chahed’?”», raconte-t-il. Rapidement repêché par les militaires algériens, il se retrouve plaqué au fond du bateau, pieds et mains attachés «comme un agneau». «J’ai une botte sur la joue, on me frappe, et on me demande si je suis allé en Israël», poursuit-il.

À ce stade, Ismail ne sait pas encore ce qu’il est advenu de ses amis. Il ne le saura que bien plus tard. Si le jeune homme est emmené par les militaires, direction l’Algérie, ce n’est pas le cas de ses amis. Bilal Kissi, Franco-Marocain de 28 ans, et Abdelali Mchiouer, Marocain de 40 ans installé en banlieue parisienne, sont froidement tués ce soir-là par les militaires algériens. Seul autre rescapé de cette tuerie, Mohamed Kissi, 33 ans, parvient à regagner la côte marocaine et à témoigner du massacre commis par les militaires algériens.

Cette journée, qui avait si bien commencé, est devenue l’«enfer» dans lequel vit Ismail Snabi, un souvenir qu’il ressasse au point d’en devenir «fou». Car l’homme est loin d’être au bout de ses peines. Son cauchemar ne fait que commencer…

Au pays des bottes noires et de la torture

Au terme de son périple au fond du bateau, où les militaires le plaquent au sol, Ismail se retrouve en Algérie, enfermé dans un préfabriqué. «Je n’avais que mon gilet de sauvetage, mon short de bain bleu, une montre, mon téléphone et une petite sacoche avec de l’argent», relate-t-il. Commence alors un interrogatoire dont la nature des questions interpelle et rappelle, si cela était encore nécessaire, l’antisémitisme profond qui anime la junte militaire au pouvoir. «On me redemande si je suis allé en Israël, si je bois de l’alcool, si je peux réciter telle ou telle sourate du Coran. Je répète que je suis français», se remémore-t-il Ismail Snabi, qui ne détient pas de passeport marocain.

Et de poursuivre le récit de son calvaire: «Je reçois des coups, on me met la tête dans un seau d’eau. Je suis torturé, quoi». Un agent lui passe la flamme d’un briquet sous sa barbe. «À cet instant, j’ai tellement peur que je n’ai pas mal», se souvient-il. Mais les militaires ne vont pas s’arrêter en si bon chemin. À leurs actes de torture, ils décident d’ajouter une dose de perversité en prenant en photo le jeune homme aux côtés de son jet-ski criblé de balles, tel «un trophée» de chasse. C’est en voyant l’état de l’engin qu’Ismail Snabi comprend ce qui est arrivé, que les bruits entendus avant de se jeter à l’eau étaient bien des détonations d’armes à feu, et que les militaires les ont effectivement ciblés, ses amis et lui.

Une parodie de procès

Au lendemain de son arrestation, le jeune homme passe en comparution immédiate, avec pour seul vêtement son short de bain, explique-t-on dans l’article du Monde. Il est condamné dans un premier temps à trois mois de prison ferme pour «entrée illégale» et pour «délit de contrebande d’un véhicule». Le 6 septembre, sa peine passe à six mois de prison ferme et à une amende de 15 millions de dinars, soit 100.000 euros. Une somme qui correspond à cinq fois la valeur du jet-ski, dixit les douanes algériennes, qui se sont portées partie civile. Et le 1er octobre, ce simulacre de système judiciaire le condamne cette fois-ci à un an de prison ferme.

Selon la version du ministère de la Défense algérien, sous le feu des critiques et des accusations des familles, les quatre hommes auraient été «sommés de s’arrêter», mais ils auraient pris la fuite. Les garde-côtes auraient donc constaté un «refus d’obtempérer» et «compte tenu que cette région maritime frontalière enregistre une activité accrue des bandes de narcotrafic et du crime organisé (…), des coups de feu ont été tirés, contraignant un des jet-skis à s’immobiliser, alors que les deux autres ont pris la fuite», expliquait le ministère en question dans un communiqué.

Une version catégoriquement démentie par l’autre survivant, Mohamed Kissi, et désormais par Ismail Snabi, lesquels relatent les faits de manière identique. «Comme on était sur la réserve de carburant, on est repartis à bas régime. On ne pouvait pas s’enfuir, c’est comme si on était en trottinette et eux à moto. Tout a basculé en quelques secondes», se remémore Ismail Snabi.

Au terme de ces trois procès expéditifs, le Franco-marocain est incarcéré, tout à tour, dans quatre prisons différentes. Le récit fait par Le Monde de son quotidien est glaçant. Il «dort sur des couvertures humides, (…) perd 30 kilos -il en pesait 120-, le sommeil, la raison». Pour le torturer encore un peu plus, un mois après son incarcération, un policier lui tend son téléphone. Sur l’écran, il aperçoit la photo de son ami, Abdelali Mchiouer, «allongé»… mort. C’est ce même corps que l’Algérie a refusé de restituer à sa famille au Maroc, pendant plus de quatre mois. Une terrible parenthèse durant laquelle, malgré les supplications des proches, les démarches judiciaires et administratives entreprises depuis le Maroc, la restitution du corps a fait l’objet d’un odieux chantage. De ses autres amis, on ne lui dira rien. C’est lors d’une visite de son frère Jamal, quelques semaines plus tard, qu’il apprendra la mort de Bilal Kissi. «Fallait encore gérer ça. J’en ai pleuré jusqu’à épuisement», souffle-t-il, «j’ai perdu deux frères pour rien».

Chantage, prise d’otage et menaces… le vrai visage du régime d’Alger

Sa peine touche alors bientôt à sa fin, sa libération étant fixée à la date du 28 août 2024. Mais avant cela, il faudra encore payer son amende, exorbitante, de 100.000 euros, sans quoi, «c’était quelques années de plus», explique Le Monde. Pour réunir cette somme, Ismail Snabi, garagiste de profession à Seine-Saint-Denis, avec un salaire de 1.700 euros, dit s’être endetté auprès de ses proches. «J’ai payé une rançon, j’étais otage», résume-t-il.

À sa sortie de prison, au bout d’un an de cauchemar, le jeune homme est interpellé par un policier algérien, qui lui conseille, en guise de menace à peine voilée, «de mettre son histoire de côté, de ne pas évoquer son affaire en France [car] si tu parles, n’oublies pas que tu as de la famille en Algérie».

La raison d’un tel acharnement? Ismail et sa famille peinent encore à la comprendre, mais assurément, se l’expliquent par sa double nationalité marocaine. «C’est parce qu’il est aussi marocain qu’il a été en prison?», s’interroge son épouse algérienne, à qui les autorités de son propre pays ont refusé d’accorder un visa, sous prétexte qu’elle présentait des papiers français.

Désormais suivi par un psychiatre, Ismail Snabi sera entendu prochainement par la police française, rapporte Le Monde, dans le cadre d’une plainte contre X déposée par la famille Kissi, pour homicides volontaires.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 29/11/2024 à 13h36