Intolérance au gluten: un chemin de croix pour les malades

Un commerçant en train de ranger des produits alimentaires sans gluten dans un magasin à Casablanca.

Le 19/06/2023 à 08h52

VidéoPrès de 350.000 Marocains doivent suivre un régime alimentaire strict sans gluten. Et même si les points de vente des produits adaptés à leur régime se sont multipliés à travers le Royaume ces dernières années, leurs prix constituent une autre source de souffrance.

Les personnes souffrant d’intolérance au gluten vivent un véritable calvaire, obligés de bannir de leur assiette tous les aliments à base de blé, de seigle, d’avoine, d’orge, d’épeautre ou encore de kamut. Pour elles, manger un petit morceau de biscuit pourrait avoir de lourdes conséquences. L’intolérance au gluten est une maladie auto-immune, caractérisée par une destruction inflammatoire de l’intestin grêle sous l’effet du gluten, entraînant des complications sur l’ensemble de l’organisme.

«Pendant longtemps, on pensait que la maladie cœliaque n’attaquait que les enfants, et qu’elle ne se manifestait qu’avec certains symptômes comme la diarrhée, un ballonnement abdominal et une coupure de la courbe de croissance du poids. Mais ces dernières années, la maladie se manifeste à n’importe quel âge, avec des symptômes très variés, comme une fatigue chronique, une anémie à répétition, des troubles de règles, des aphtes buccaux, des troubles de la mémoire, des avortements à répétition chez la femme», précise, précise Khadija Moussayer, spécialiste en médecine interne et en gériatrie.

«Il arrive même que la personne ait des signes contradictoires: au lieu d’une diarrhée, une constipation, au lieu d’un amaigrissement, une obésité», explique celle qui est également la vice-présidente de l’Association marocaine des intolérants et allergiques au gluten (AMIAG), rappelant que près de 350.000 Marocains sont atteints de cette pathologie. Et le seul remède est de suivre un régime rigoureux.

Des prix hors de portée

Nous nous sommes rendus dans un magasin de vente de produits alimentaires sans gluten afin d’en savoir plus sur leurs prix. Dans ces commerces, l’offre est abondante, tous les produits alimentaires contenant la mention «sans gluten» ou «gluten-free» sont là: riz, maïs, farine, fromage, lait, biscuits, chocolat, bonbons, sucreries, jus, épices... Mais on ne peut s’empêcher de remarquer que la plupart des produits sont importés. La farine de maïs, de riz ou le couscous sont produits localement.

Les pâtes sans gluten se vendent entre 30 à 45 dirhams (400 grammes). La farine mélangée se vend aux alentours de 50 dirhams le kilogramme, la farine de maïs entre 15 et 22 dirhams et le chocolat entre 38 et 85 dirhams selon les marques. Quant aux chips, elles sont proposées autour de 22 dirhams. Des prix très loin de ceux des produits «classiques». Par exemple, le prix de la farine normale ne dépasse pas 10 dirhams le kilogramme.

«Depuis la crise sanitaire, les prix de tous les produits alimentaires sans gluten ne cessent d’augmenter, de 6 dirhams ou plus. Certes, ces prix ne sont pas à la portée de tous les consommateurs, mais les gens n’ont pas d’autre choix. Ils sont obligés de les acheter. La plupart de nos clients achètent les produits importés», témoigne Youssef Yahya, qui tient un magasin de produits sans gluten à Casablanca.

Comment expliquer la cherté de ces produits? «Les produits sans gluten sont souvent élaborés avec un ensemble de matières premières qui, à la base, sont chères, comme le riz, l’amidon de maïs, le sarrasin, le psyllium ou encore la gomme de xantane. Et les prix de ces matières fluctuent en fonction de la bourse mondiale», précise le commerçant.

Nous le laissons pour aller tenter l’expérience dans une grande surface commerciale. Nous repérons une gamme de produits sans gluten exposée dans un pavillon. Mais là encore, sans surprise, la fourchette de prix a de quoi couper l’appétit.

Le marché local «n’est pas encore structuré»

Les prix ne sont pas le seul problème. Selon Jamila Cherif, présidente de l’AMIAG, le marché local des produits sans gluten «n’est pas encore structuré». Elle souligne ainsi que les produits alimentaires de base transformés, comme les laitages (yaourts, fromages, beurres, glaces), les confitures, les sauces, les confiseries (chocolats, bonbons), ou encore les viandes transformés, n’indiquent pas l’ensemble des ingrédients qui les composent.

«Souvent le gluten présent est indiqué sous une autre dénomination compliquée à déchiffrer pour les consommateurs cœliaques. Le marché local est tellement confus qu’il existe une grande variété d’étiquettes sans gluten sur les produits alimentaires. Et cela déroute naturellement les gens», avertit-elle.

D’après Jamila Cherif, les produits sans gluten proposés par la plupart des industriels marocains ne respectent pas le nouveau processus de certification du label «Sans gluten» aujourd’hui disponible au Maroc. «Les industriels marocains utilisent leurs propres logos pour garantir la qualité de leurs produits sans justificatifs ou un test reconnu auprès de laboratoires agréés et de bout en bout de la chaîne de production. Ce qui peut constituer un grand danger pour les cœliaques», déplore la présidente de l’AMIAG.

Cette dernière insiste, par ailleurs, sur le fait que produire des bons produits «Sans gluten» pour les malades ne peut être obtenu qu’avec un programme de certification correctement appliqué par un organisme marocain reconnu. Dans ce sens, l’AMIAG avait collaboré plus d’une année avec l’Institut marocain de normalisation (IMANOR) pour signer un partenariat début 2023 et élaborer un cahier des charges pour les industriels marocains qui souhaitent certifier leurs produits sans gluten.

Afin d’instaurer un cadre normatif unifié au niveau national, la procédure de labellisation «Sans gluten» mise en œuvre par l’IMANOR en concertation avec l’AMIAG, conformément aux dispositions de la loi 12-06, consiste à réaliser des audits et des analyses, afin de valider l’aptitude du fabricant à maintenir un seuil de gluten résiduel inférieur à 20 mg/kg.

Plus particulièrement, les audits porteront sur la maîtrise des risques de contamination par le gluten au cours de la fabrication des produits, et sur les bonnes pratiques d’hygiène et de fabrication. Toutefois, l’entrée en vigueur de cette procédure de labellisation au Maroc a été souvent «repoussée» et plusieurs industriels ne sont pas prêts, déplore Jamila Cherif.

Face à la cherté des produits alimentaires sans gluten, l’AMIAG avait proposé également une prise en charge de ce groupe d’aliments par les organismes de prévoyance sociale ainsi que le remboursement par l’AMO des produits achetés.

Les temps changent et les supermarchés du Maroc d’aujourd’hui sont différents de ce qu’ils étaient il y a dix ans, proposant des rayons de produits sans gluten. Toutefois, la situation est très disparate selon les villes et les régions. «À Casablanca, nous pouvons trouver quelques revendeurs spécialisés qui aident énormément les consommateurs cœliaques avec une large gamme de produits et de tarifs. Tanger également est une ville qui bénéficie d’un bon nombre de points de ventes de par sa proximité avec l’Espagne, pays très actif dans le sans gluten à des prix raisonnables. Par contre, les villes du Sud et les petites villes excentrées sont fragiles, et souvent les consommateurs font appel à leurs familles vivant à Casablanca pour leur envoyer les produits sans gluten», conclut Jamila Cherif.

Par Ihssane El Zaar et Said Bouchrit
Le 19/06/2023 à 08h52