Dans notre culture, rater le Bac est un drame. Pour le concerné et pour sa tribu, c’est à dire sa famille et ses voisins. Pourquoi? Parce que le Bac est assimilé à un passage à l’âge d’adulte. Quand un adolescent s’époumone devant vous, et que ses réflexions vous agacent, vous lui dites: «Passe ton Bac d’abord, et viens me voir plus tard».
Passe ton Bac, cela veut dire fais tes preuves. Sois un homme, sois une femme!
Et ce n’est pas tout. Le Bac sanctionne aussi la famille, à commencer par les parents. Derrière chaque bachelier, il y a un papa et une maman. Quand le petit ou la petite décrochent le Bac, c’est la preuve que maman et papa ont fait du bon travail. Vous imaginez: des parents qui passent leur temps à culpabiliser, à craindre le pire, et auxquels on dit enfin, au bout du bout du compte: «Bravo, vous avez réussi!».
Décrocher le Bac, c’est la preuve que, quelque part, les choses ont été bien faites. Dans l’éducation des gamins, bien sûr, et dans tout le reste. Les retombées rejaillissent même sur les voisins, le quartier, le derb, la grande tribu.
Inversement, et dramatiquement, rater le Bac, cela veut dire qu’il y a un ver dans le fruit. Que quelque chose ne tourne pas rond. Le péché originel. Une damnation. Une malédiction. Une colère divine, forcément juste et méritée.
Laissez-moi vous raconter un souvenir personnel. Dans le derb, à la fin des années 1970, quand les noms des heureux bacheliers étaient publiés par les principaux quotidiens du pays, je me souviens de la fête extraordinaire qui a été organisé par un voisin quand il a lu le nom de son fils sur le journal.
Ce voisin avait mauvaise réputation. Le Bac de son fils lui offrait une nouvelle virginité, une deuxième chance dans la vie, une renaissance. Certains mettaient la réussite du fils sur le compte de la «Tawba» (rédemption, retour au droit chemin) du père. Ils disaient: «Malgré tout, le père devait faire ses devoirs religieux en cachette, c’est pour cela que Dieu l’a récompensé!».
Vous imaginez la consécration? La reconnaissance? L’incroyable bond en avant pour le voisin et toute sa famille? Le conte de fées aussi soudain que spectaculaire?
Le soir de la fête, on disait, en évoquant ce retournement de situation: «Il (le voisin) ne lui reste plus qu’à effectuer un pèlerinage à la Mecque pour sceller dans le marbre sa réconciliation avec Dieu!».
Coup de théâtre, deux jours après, quand on a appris qu’il y a eu méprise. Ce n’est pas le fils du voisin qui a eu le Bac mais un parfait homonyme. Le fils a été recalé. La logique, divine si vous voulez, a été bel et bien respectée…
Inutile de vous décrire la portée du drame. Une ambiance de deuil régnait chez le voisin. Pire que le jour où il avait perdu plusieurs membres de sa famille dans un accident de voiture…
Et je ne vous parle même pas de celui ou celle qui (re)passe le Bac pour la 20ème ou 30ème fois. Ils sont déjà installés dans la vie, mais ils ont besoin de ce sacré diplôme, ils ont encore et toujours quelque chose à prouver. Peut-être à eux-mêmes, pour commencer. Le Bac, ce Graal…
Retour au présent. C’est peu dire que le «geste» de l’adolescente de Safi a du sens. Pour ceux qui ont grandi dans une ambiance «collective», au milieu des autres, les voisins et les proches, où chaque réussite ou échec prennent des proportions monstrueuses, folles, ils savent de quoi il retourne.
Et, comme dit la chanson, God only knows. Seul lui sait!