C’est un prix Goncourt, pas moins, qui me dit ceci:
- Je garderai un excellent souvenir de ce premier séjour dans ton pays. Partout des gens souriants, prévenants, des infrastructures modernes, un climat agréable. Mais…
Jean-Baptiste hésite un peu.
- Je peux être franc?
- Bien sûr. Dis-moi.
- Tous ces types qui fument dans les restaurants, ça fait un peu sous-développé. Vous valez mieux que ça.
Je ne peux qu’être d’accord avec lui. Cela fait bien une ou deux décennies que je ronchonne contre cette aberration. Comment peut-on encore accepter, dans un pays évolué, qu’un butor ou une andouille empestent le voisinage parce qu’ils veulent en griller une?
- S’ils veulent s’envoyer des saloperies dans les poumons, renchérit N., écrivain palestinien qui partage nos agapes, faut-il qu’ils polluent aussi les nôtres?
Nous sommes à Rabat pour ce Salon du Livre qui fait l’unanimité pour la richesse de sa programmation et la qualité de son organisation.
Le lendemain, je me retrouve dans le même restaurant d’hôtel pour le déjeuner. Cette fois-ci, je suis seul: Jean-Baptiste et son épouse sont rentrés chez eux et N. a une séance de dédicaces. N’étant pas d’humeur à supporter une fois de plus que ma salade soit mêlée de nicotine ou que mon steak ait un goût de goudron, je demande au maître d’hôtel de bien vouloir faire respecter la loi: ni cigare ni cigarette dans un lieu public.
Cinq minutes plus tard, arrive un freluquet sapé comme un milord, le portable collé à l’oreille, qui pépie avec l’accent parisien version bourgeois-bohème. Il s’installe d’autor’ à la table jouxtant la mienne tout en continuant de raconter à son interlocuteur invisible, d’une voix haut perchée, ses aventures de Tintin au pays des Berbères.
- Alors hier, on est allé au souk, y avait d’ces tapis…
Et il pose un paquet de cigarettes sur la table. Le maître d’hôtel, devinant mes pulsions homicides, se précipite et lui propose de dresser pour lui une table à l’extérieur, près de la piscine. Et il lui glisse quelques mots dans l’oreille.
Le faquin se tourne vers moi, hautain, querelleur:
- Ça vous dérange, que je fume?
Je le considère d’un regard tellement froid qu’il en frissonne; et je lui réponds ceci:
- Ce qui me dérange, c’est que vous osiez me poser cette question au lieu d’obtempérer. Ce qui me dérange, c’est que vous manquiez de respect à vos voisins. Ce qui me dérange, c’est que vous veniez à Rabat enfumer l’indigène alors que vous ne fumez pas dans les restaurants de Paris.
Il hausse les épaules, contrarié.
- Oh, ça va…
Et il débarrasse le plancher.
Jusqu’à quand allons-nous devoir éduquer des adultes qui ne veulent pas comprendre que l’odeur du tabac est nauséabonde aux non-fumeurs et que le tabagisme passif tue chaque année des millions de gens de par le monde? Jusqu’à quand allons-nous donner l’image d’un pays arriéré en permettant à des malotrus d’empuantir nos restaurants? Jusqu’à quand allons-nous devoir faire la police nous-mêmes parce que les responsables ne font pas respecter la loi?