Être Syrien au Maroc: fierté retrouvée, espoir mais très improbable retour

الجالية السورية بالمغرب: ممتنون للمملكة وفيها سنبقى

Des membres de la communauté syrienne au Maroc. (A.Gadrouz/Le360)

Le 17/12/2024 à 11h14

VidéoComptant un peu plus 5.400 ressortissants, les Syriens installés au Maroc brillent tant par leur parfaite intégration au tissu social national que par un attachement sincère au Royaume. Aujourd’hui, le temps est au soulagement et à la joie de voir leur pays libéré du joug d’une longue et féroce dictature. Mais de là à quitter le Maroc, où ils se sont reconstruits et ont retrouvé une vie sereine, l’hésitation est grande. Réfugiés, étudiants, travailleurs, ayant choisi le Maroc depuis fort longtemps ou nouvellement installés, Le360 est allé à leur rencontre. Voici leurs témoignages.

De quoi ces sourires, éclats de joie et exclamations qui ont fait frémir les grandes villes du Maroc le lundi 9 décembre étaient-ils le nom? En réalité, l’origine de ces échos de liesse se situe loin dans le Proche-Orient. Après des années de guerre civile et plusieurs décennies de dictature d’une rare violence, le régime de Bachar Al-Assad tombe, le dimanche 8 décembre 2024, marquant un tournant historique par la Syrie et ses quelque 22 millions de ressortissants, dont plus de la moitié est aujourd’hui hors du pays. Parmi eux, plus de 5.400 ont choisi le Maroc.

Pour ces derniers, ce moment tant attendu de la fin du dictateur a fédéré la communauté syrienne de Casablanca, Rabat, Tanger, Marrakech, entre autres villes. Une communauté qui a fièrement inondé les réseaux sociaux avec des messages de joie et les rues du Maroc avec des drapeaux, autant syriens que marocains. À Casablanca, ville d’accueil pour une partie de ces exilés, Le360 est allé à la rencontre de cinq profils divers.

L’un d’eux est Yasser Salim, 55 ans, et «Président de la communauté syrienne au Royaume du Maroc», un titre officiel qui lui a été accordé en mars 2023 par le ministère des Affaires extérieures de Syrie. Installé au Royaume depuis une vingtaine d’années, Yasser Salim a appris à apprécier les Marocains et se sent bien dans «son» pays. Il voit dans le Maroc une terre d’accueil et d’opportunités et va jusqu’à le qualifier de «la Suisse du monde arabe». Il affirme que son choix d’y établir sa vie, et surtout d’y demeurer, tient à la vie douce et calme dans le pays, en comparaison avec la Syrie qui a connu plusieurs décennies de troubles. Il évoque aussi les nombreuses opportunités professionnelles qu’il y a trouvées.

Yasser Salim vante également les mérites d’un pays qui a su intégrer la communauté syrienne dès les années 70, avec des quartiers et des mosquées portant des dénominations évocatrices telles que le Quartier des Syriens où s’élève la célèbre «Mosquée Souriyines» (des Syriens), à Tanger.

La Mosquée des Syriens, un édifice religieux emblématique au cœur de la ville de Tanger, au Maroc. (Saïd Kadry/Le360).

Pour de nombreux Syriens interrogés, le Maroc est devenu plus qu’un pays d’accueil, mais un véritable foyer où ils ont pu se reconstruire, retrouvé goût à la vie, avoir un travail et fonder une famille, après bien des souffrances et autres douleurs. Tous sont reconnaissants envers un peuple chaleureux et un Roi aimant, «un chef d’État qui s’est déplacé dans les camps des réfugiés pour les Syriens, qui a été à notre chevet», comme le précise Alice Madani, 27 ans, étudiante syrienne en journalisme et média. Rabii, 35 ans, chef cuisinier, père de deux enfants qu’il présente fièrement comme «Marocains», nous a accueillis sur son lieu de travail. Il témoigne de l’hospitalité marocaine et du sentiment de facilité qu’il ressent dans le pays: «Je ne me suis jamais senti comme un étranger... Les Marocains sont comme les Syriens dans leur façon de vivre et dans leurs rapports les uns avec les autres».

Résilience

Malgré quelques obstacles, comme la barrière de la langue évoquée par Rabii, il y a un consensus sur la douceur et la facilité de vivre au Maroc. Il faut dire que leurs chemins à tous sont marqués par une grande résilience, le grand sens de l’adaptation et l’envie d’aller de l’avant.

Nombre de Syriens ont pu développer des projets professionnels et offrir une vie meilleure à leurs familles. Leur intégration au Maroc passe souvent par l’exercice de métiers et de fonctions liés au service, notamment la restauration. Mahmoud, 32 ans, lui aussi actif dans ce secteur, raconte: «Je travaille dur, mais le Maroc me le rend bien. Mon avenir est ici.»

Si la vie dans le Royaume est aujourd’hui sereine, le chemin pour y parvenir n’a pas été simple pour nombre d’entre eux. Alice Madani revient longuement sur les conditions de vie en Syrie. «En Syrie, nous étions même privés d’électricité. Tout était rationné et distribué selon les humeurs des dirigeants», se souvient-elle. Mahmoud Ibn Marjaâ, lui, a dû traverser un véritable chemin de croix avant d’atteindre le Maroc. «Après un séjour d’une année en Mauritanie, je suis rentré illégalement au Maroc en traversant le désert du Mali et en passant par l’Algérie», nous avoue-t-il.

Rester

Aujourd’hui, l’espoir renaît. Le renversement de Bachar Al-Assad fait consensus auprès de nos interlocuteurs. Il laisse entrevoir des jours meilleurs pour leur pays d’origine. Ce n’est pas pour rien que leurs célébrations au Maroc, le 9 décembre, ont fait le tour du monde sur les médias et les réseaux sociaux.

Alice Madani parle d’une «grande victoire pour le peuple syrien», et toute la région. Elle explique que le régime déchu leur a tout pris en tant que nation, sauf l’amour du pays. Cet attachement va de pair avec une ferme détermination à aider à l’effort de reconstruction. Cela étant, le Maroc est et restera le point d’ancrage. Bachir Kamal, jeune restaurateur, arrivé au Maroc à ses 8 ans, en 2014, refuse de quitter ses repères: «Ma sœur me demande de revenir en Syrie, mais je ne veux pas. Ma vie ne sera jamais aussi belle qu’ici».

Le regard est tourné vers la Syrie, avec l’espoir d’une reconstruction prochaine. Mais en attendant, le Maroc continue de représenter pour eux une valeur refuge et un pays de paix, de stabilité et d’opportunités.

Par Camilia Serraj et Adil Gadrouz
Le 17/12/2024 à 11h14