Êtes-vous prêts à vivre dans l’Intelligence Artificielle?

Tahar Ben Jelloun.

Tahar Ben Jelloun.

ChroniqueNous appartenons à nos appareils (téléphone, ordinateur, etc.) et non le contraire. Je suis l’esclave de mon iPhone. C’est lui qui m’a pris toute ma mémoire. Je ne connais pas les numéros de téléphone de mes enfants. C’est lui qui les appelle. Si je le perds, je suis perdu.

Le 13/02/2023 à 11h03

Je me suis mis à la page, ou pour être plus précis, j’essaie de me mettre à la page des nouveaux outils de communication et de travail. J’ai lu un livre et plusieurs articles sur l’IA, l’intelligence artificielle. C’est fabuleux, vertigineux. Mais, mon bon sens me dit: avons-nous exploré et exploité tout ce qui est possible avec l’intelligence naturelle, rationnelle et logique, celle de tout individu normalement constitué?

Le robot conversationnel «ChatGpt» est capable d’écrire un article sur n’importe quel sujet, de répondre avec une précision impressionnante à toutes les questions, de rédiger les devoirs des étudiants, d’écrire un essai sur la biologie ou sur l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, bref, cet appareil est en train de «remplacer» l’homme et cela n’est pas une bonne nouvelle.

Il y a ceux qui vont vite, plus vite que tout le monde et ceux qui suivent leur propre rythme. Moi, je fais partie de la deuxième catégorie.

J’imagine ces petits surdoués dans les caves de la Silicon Valley, avec des lunettes de myopes, les cheveux, comme chantait Jacques Brel, avec des carottes sur la tête. Je les imagine englués dans un monde tellement virtuel et impalpable, qu’ils finissent par être engloutis par lui. Il paraît que des génies marocains y ont trouvé asile et bon accueil. Ils font de la recherche, poussent les frontières de la raison et du possible humain jusqu’à l’infini. Ils sont déjà dans le prochain siècle.

Je ne suis pas le bon client pour ce genre de progrès. J’ai déjà du mal avec mon traitement de texte et j’ai de l’angoisse de perdre les pages que j’ai écrites. Ça m’est arrivé plus d’une fois. Pas moyen de les retrouver malgré l’intervention d’informaticiens chevronnés.

Mes premiers livres ont tous été écrits dans de grands cahiers, avec un stylo à encre, un buvard sous la main.

Quand mon éditeur m’a obligé de passer à l’ordinateur, j’avoue avoir été contrarié. Je me disais, il faut faire comme tout le monde. Mais ma résistance a eu le dessus et je continuais d’écrire à la main, je recopiais ensuite le texte sur l’ordinateur. J’étais rassuré et n’avais plus peur de perdre mon texte suite à une mauvaise manipulation.

L’IA n’est pas qu’un outil scientifique pour le progrès de l’Humanité. Comme tous les outils à portée de l’homme, il vient d’être adopté par les arnaqueurs, les magouilleurs, les voleurs et autres individus sans morale ni respect des lois.

Ainsi, des fausses nouvelles, émanant de journaux réputés sérieux, circulent. Le temps de vérifier leur authenticité, le mal est déjà fait. Le faux imite et dépasse en véracité le vrai.

C’est ainsi que des petits malins se sont mis à arnaquer des personnes naïves à travers des mails extrêmement bien ficelés au nom de sociétés connues et sérieuses afin de soutirer de l’argent et de ruiner ceux qui tombent dans le panneau.

Le pire c’est la substitution d’identité. On vous vole votre identité avec tous les paramètres les plus précis et justes. Ainsi, certains ont vidé le compte en banque d’un père de famille qui, du jour au lendemain, s’est retrouvé sans le sou, jeté dans la rue, car même sa maison avait été vendue à son insu. La télévision en a parlé. Mais le plus dramatique dans cette affaire c’est que les impôts le poursuivent pour payer ce qu’il leur doit même s’il a prouvé qu’il a été cruellement volé. Les papiers étaient refaits avec une précision diabolique.

C’est, parmi autre chose, ce dont est capable l’IA.

Mais on ne va pas l’accuser. Ce qu’il faut, c’est lutter avec force contre la cybercriminalité. Redoubler de vigilance, et savoir qu’on vit dans un monde où il n’y a plus de secret ni de vie privée. Nous appartenons à nos appareils (téléphone, ordinateur etc.) et non le contraire. Je suis l’esclave de mon iPhone. C’est lui qui m’a pris toute ma mémoire. Je ne connais pas les numéros de téléphone de mes enfants. C’est lui qui les appelle. Si je le perds, je suis perdu.

Si vous recevez un coup de téléphone d’une soi-disant société, fermez tout de suite votre appareil. Il en est de même des mails. Ne les ouvrez pas. Changez souvent de mot de passe et si vous en avez les moyens, changez aussi d’ordinateur. Car les petits malins sont capables d’ouvrir toutes les portes et entrer dans votre monde sans faire de bruit.

La révolution informatique a surpris le monde entier. Mais ce qu’elle a apporté à la planète n’est pas que du bonheur. Elle a permis aussi aux malveillants d’utiliser ses outils pour commettre des crimes, restés souvent impunis. A présent, ils agissent avec des drones.

Le progrès n’arrive jamais seul. Il se fait accompagner par son revers. Il suffit de le savoir, d’être attentif et très vigilant.

Le robot aurait pu écrire cette chronique et effacer mes réticences et critiques. Il est capable de tout, de tout sauf d’écrire la moindre strophe d’un poème de Mahmoud Darwich ou d’Arthur Rimbaud. La poésie est, heureusement, un territoire où il ne peut pas s’aventurer. Seule la poésie nous sauvera. Seule la poésie sauvera le monde. Notre besoin de poésie est insatiable. C’est notre arme massive face aux dérives de l’IA.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 13/02/2023 à 11h03