Entre Fnideq et Sebta, le travail de forçat des «femmes-mulets»

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Au point de passage entre Fnideq et Sebta, des milliers de femmes marchent le dos plié sous le poids de leurs ballots de marchandises, forçats d'un commerce structuré et prospère.

Le 06/10/2017 à 15h08

On les appelle les "hamalates" (porteuses). De l'autre côté de la frontière les "mujeres mulas" (femmes-mulets), en raison des colis, parfois plus lourds qu'elles, qu'elles transportent.

Il fait encore nuit quand une file disciplinée se forme devant le petit poste-frontière réservé aux passeurs piétons, sur une colline qui domine les eaux de la Méditerranée, entre Fnideq et Sebta, qui jouit d'un statut de "port franc". Au petit matin, après les contrôles de routine, les porteuses entrent. "C'est la première fois que je fais ce travail!" souffle Fatima, la trentaine.

Le chemin mène à une zone commerciale construite en 2004 près de la douane pour désengorger le centre-ville, autrefois embouteillé par les milliers de commerçants marocains qui venaient là quotidiennement pour s'approvisionner. D'immenses hangars de tôles ondulées abritent toutes sortes de marchandises: vêtements importés de Chine, produits ménagers et alimentaires, objets de décoration... Les prix sont affichés en euros, mais tout se paye en dirhams.

A l'entrée de chaque hangar, des dizaines de "femmes-mulets" suivent les instructions: elles ne sont pas là pour choisir la marchandise ou négocier, seulement pour la transporter. Elles chargent d'imposants sacs rectangulaires accrochés à l'aide de cordes, puis récupèrent un ticket mentionnant le montant qu'elles encaisseront une fois leur mission accomplie.

"La corde me fait mal (...), le sac est très lourd, on m'a dit qu'il pèse 50 kilos mais je ne peux pas vérifier", se lamente Fatima, le dos plié sous le poids. Fatima et les autres prennent le chemin du retour, livrent à Fnideq la marchandise, qui n'est soumise à aucune taxe contrairement à celle transportée par des véhicules via le poste-frontière officiel, et récupèrent leur dû: quelques dizaines d'euros en fonction du poids et de la nature des produits.

Elles seraient 15.000 à exercer ce travail, même si moins du tiers passe chaque jour, Sebta ayant établi début 2017 un quota quotidien de transit de 4.000 porteurs. Des ONG marocaines et espagnoles dénoncent régulièrement la "situation humiliante et dégradante" de ces femmes qui travaillent au péril de leur vie. Depuis le début de l'année, au moins quatre sont mortes, piétinées dans des bousculades.

Ce commerce transfrontalier génère un autre trafic: celui des certificats de résidence. En vertu d'un accord entre le Maroc et l'Espagne, les Marocains résidant dans les villes proches (Fnideq, M'diq, Martil et Tetouan) n'ont pas besoin de visa pour accéder à Sebta. Or, 65% des femmes porteuses ne résident pas dans les villes exemptées de visa. Les autorités sanctionnent régulièrement certains fonctionnaires pour ces pratiques, mais le sujet reste sensible.

Le 06/10/2017 à 15h08