Je suis soulagée pour la pauvre fillette, devenue mère à 12 ans. Elle et sa famille vont pouvoir enfin panser leurs plaies.
Je suis fière de vivre dans un Maroc où la liberté d’expression m’a permis de publier cette lettre ouverte au ministre de la Justice pour dénoncer, en toute quiétude, une injustice. Cette même liberté a permis à la société civile et à l’opinion publique de se mobiliser intensément pour exprimer leur indignation et revendiquer des réformes.
Je rends hommage aux associations qui se sont fortement impliquées et à INSAF qui a soutenu la fillette dès son agression.
Je suis satisfaite de la réactivité et de la célérité des instances de la justice qui ont désigné un magistrat capable d’appliquer la loi en toute équité.
Ce verdict ne doit pas être considéré comme la victoire sur un scandale qui a tenu en haleine toute une population, mais comme la nécessité de renforcer la protection de l’enfance.
Outre l’application stricte des lois, la prise en charge institutionnelle efficace des enfants victimes de violences sexuelles doit être entièrement restructurée afin de garantir une réelle protection en toute confidentialité.
Les verdicts relatifs à ces violences doivent faire l’objet d’un contrôle régulier et être partagés en toute transparence avec le public sur la plateforme digitale du ministère de la Justice.
Tout le corps judiciaire doit considérer le viol comme un crime excluant toute circonstance atténuante.
Le cas de Sanae n’est pas unique. Les viols existent, mais ne constituent nullement un fléau.
La sortie des filles de leurs foyers et la mixité favorisent la hausse des agressions sexuelles. Quand les fillettes étaient enfermées, mariées enfants ou adolescentes, les viols étaient moins nombreux.
Les familles étouffaient ces drames, dont étaient victimes leurs filles et même leurs garçons, à cause de la peur de chouha, de lafdiha (scandale), de lahchouma (honte).
Les filles sont toujours considérées comme responsables: elles n’avaient pas à se trouver là, elles portaient des habits qui ont attisé le désir des hommes… La femme est une Ève potentielle qui empêche l’homme de maîtriser ses pulsions, et ce même dans les pays développés.
Une association américaine a exposé, sous le thème «Que portais-tu ce jour-là?», 18 tenues de femmes violées. Il n’y avait ni mini-jupe, ni short, ni tenue sexy. Donc l’habit ne fait pas le viol!
En 2007 fut lancée, par une travailleuse sociale afro-américaine, la campagne «Me Too», devenue un mouvement social universel en 2017 pour briser le silence et dénoncer les violeurs. Depuis, de nombreux scandales ont éclaboussé des personnalités.
En France, en 2017, naît la campagne «Balance ton porc» qui a encouragé des dizaines de femmes à dénoncer leurs violeurs.
Toujours en France, ce n’est que récemment que le scandale de la pédophilie dans les églises par des religieux a éclaté.
Au Maroc, les familles osent de plus en plus dénoncer les violeurs. Mais combien ne le font pas?
Souvent, les familles étouffent le scandale, même en cas d’inceste, pour préserver l’unité de la famille et éviter d’envoyer un des leurs en prison. C’est toujours l’intérêt de la famille qui prime, au détriment de l’intérêt suprême de l’enfant!
La peur du regard des autres est si forte que des parents peuvent prendre des décisions aux conséquences graves. En 2012, Amina, violée à 15 ans, s’est suicidée quand ses parents l’ont forcée à épouser son violeur. Sa mère m’a avoué: «Les dires des gens sont plus douloureux que la souffrance de notre fille!»
Le père de Sanae a dit: «Ils nous ont détruits. Je ne peux même plus voir ma famille!» Il parlait de sa grande famille. Quelle cruauté!
Les ruraux n’ont pas les moyens pour payer le transport pour aller en ville pour les procédures judiciaires. Ils ne comprennent pas les différentes étapes, ne peuvent payer les avocats… Souvent, ils laissent tomber.
Souvent, le violeur propose de l’argent à la famille de la victime pour ne pas déposer plainte. La famille peut être tentée ou obligée d’accepter quand la famille du coupable fait intervenir des personnes respectées de tous.
Il est fréquent que des filles victimes de violences sexuelles n’informent pas leurs parents. Ce sont surtout des filles de la campagne ou des villages, habitant loin de leur famille pour des raisons de scolarité ou de travail. Informés, les parents retiennent leurs filles à domicile. Il est difficile pour une jeune fille rurale de retourner vivre à la campagne, dans des conditions pénibles, isolée, sans loisirs, loin du confort citadin.
J’ai le cas d’une adolescente de 16 ans, dont les parents habitent à la campagne: «Ma tante chez qui j’habite n’a qu’une chambre. La nuit, son mari me caresse les seins». Elle refuse mon aide: «Si mon père le savait, il me ramènerait au bled et mes études seraient interrompues». Elle refuse que j’en parle à son bourreau: «Il va me chasser et mon rêve de devenir gendarme se brisera!»
S’il nous semble que les viols augmentent, c’est aussi parce que le tabou et en train de se briser: les médias en parlent et les réseaux sociaux informent la population, y compris celle qui est analphabète ou à peine lettrée, grâce aux vidéos.
Malheureusement, à travers le monde, il a fallu des sacrifices de victimes pour que les lois changent. C’est grâce au suicide d’Amina que l’article 475 du Code pénal, qui permettait au violeur d’épouser sa victime pour éviter la prison, a été abrogé.
La souffrance de Sanae ne sera certainement pas inutile. Grâce à elle, la protection de nos enfants sera consolidée.
Pareille injustice ne se reproduira plus. J’ai confiance en la justice de mon pays.