"Daret": la tontine, ce mode d’épargne collectif qui peut s'avérer risqué

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Si elle permet à certains d'arrondir leurs fins de mois, d'améliorer leur quotidien ou encore de faire des épargnes, "Daret", ou la tontine à la marocaine, risque de mal tourner, surtout quand la confiance, condition sine qua non du fonctionnement de ce mode d'épargne traditionnel, fait défaut.

Le 29/01/2020 à 14h09

Parce qu’aucun cadre juridique ne vient réglementer le mode de fonctionnement de "Daret", la tontine, cette association collective d’épargne, peut très bien devenir le terreau fertile des magouilles et des escroqueries.

L'arrestation dernièrement, à Casablanca, d'un présumé escroc qui aurait soutiré des centaines de millions de dirhams à plusieurs commerçants du marché de Lakreâ en est la preuve. La personne en question organisait des opérations d'épargne collectives au profit des commerçants de prêt-à-porter.

Selon des informations concordantes rapportées par les médias, une trentaine de commerçants participait à Daret, en cotisant, pour chacun, une somme de 20.000 dirhams, ce qui a permis au mis en cause de collecter près de 600.000 dirhams avant de prendre la fuite.

La Direction générale de la sûreté nationale (DGSN) a indiqué, le dimanche 19 janvier dernier, dans un communiqué, que les marchands ont affirmé dans leur plainte avoir été victimes d'une escroquerie de la part du prévenu. Selon la DGSN, le suspect a, entre autres, géré des opérations d'épargne collectives au profit des commerçants, des "Daret", donc. Après leur avoir soutiré leur cotisation, la personne en question a disparu des écrans radars avant qu’être arrêtée.

A la lumière de cette affaire où la confiance était vraisemblablement la garantie de toutes les transactions entreprises par le suspect, la question de la réglementation du mode de fonctionnement de Daret se pose avec acuité.

D’ailleurs, Daret, même Bank Al Maghrib (BAM) en avait parlé! Dans son rapport annuel de 2018 sur "les infrastructures des marchés financiers et les moyens de paiement", la banque centrale a critiqué une forte utilisation des services financiers informels, un facteur qui freine l’inclusion financière. Selon BAM, 26% des Marocains optent pour des solutions de financement, dont 88% ont recours à des services informels, notamment Daret. Il s’agit d’un mode d'épargne non sécurisé, mais aussi d’un phénomène qui empêche l'intégration des liquidités dans le système bancaire et économique.

En effet, nul ne peut nier que la tontine à la marocaine est purement et simplement une pratique informelle. Pour Mehdi Lahlou, chercheur et économiste de l’Institut national de statistique et d'économie appliquée (INSEA) "cette technique est fondée sur un contrat moral, à savoir une confiance inhérente liant les membres d’une même société, d’une administration, d'un même quartier ou appartenant à la même famille".

Un entre-soi qui fait que l’identification du fonctionnement économique de Daret est difficile. "Aucun document juridique n'existe pour noter les montants versés par les participants. Aucun acte n’atteste de la circulation d’un fonds d'argent. Au cas où quelqu'un ne paie pas sa cotisation ou en cas de détournement de la caisse, les autres membres ne pourront pas avoir recours à la loi. C'est une cause perdue", précise Mehdi Lahlou.

Sachant que l'échange d'argent se fait en vertu d’une valeur morale dans le cadre de Daret, la loi, par définition ne s’opposant pas aux accords tacites, ne s’y immisce donc pas.

"L’intervention de l’Etat pour les petits budgets est compliquée, tandis que pour les grandes cagnottes c’est possible", affirme Mehdi Lahlou, qui appelle à une intervention de l’Etat dans le mode de fonctionnement de Daret”, notamment si celle-ci "se transforme en un cadre pécuniaire à hauts intérêts, si quelqu’un s’enrichit à l'aide de cette technique ou s'il y a risque de détournement d'une très grande cagnotte". Et de renchérir: "l’Etat ne peut encourager un secteur informel susceptible de provoquer des ennuis".

Par ailleurs, comme alternative à Daret, Mehdi Lahlou propose "d’asseoir un système financier permettant aux plus démunis d'accéder à des crédits à taux réduits".

De son côté, Ali Chaâbani, ancien professeur de sociologie à l'Université Mohammed V de Rabat, estime que la tontine à la marocaine demeure un foyer de solidarité et d’entraide. Il énumère ainsi ses avantages: "les «Dartistes» se comptent sur les doigts de la main. La durée de la tontine est limitée dans le temps. Quant aux participants, il s'agit d'employés de la même administration, de voisins, de membres de la même famille, d'amis... Ce sont des groupes de confiance en principe incorruptible", clarifie-t-il.

La difficulté des procédures administratives bancaires, les taux d'intérêts élevés pour les crédits et les revenus faibles ou modestes ont poussé les Marocains à penser à "une alternative" pour subvenir à leurs besoins, le tout dans un cadre d'aide mutuelle, explique ce professeur universitaire.

"Daret n’est pas coûteuse, permet de régler quelques dépenses, petites ou moyennes, et il y a une garantie basée sur la confiance et la parole d'honneur", estime le sociologue, qui met en avant le fait que Daret "rapproche les uns des autres, consolide leurs relations et élargit leur entourage. Il ne s’agit pas uniquement d'un gain financier, mais de l'établissement de valeurs sociales et humaines au sein d'une communauté".

Entre les pour et les contre, faut-il vraiment prendre le taureau par les cornes? Faut-il mettre en place un cadre juridique pour le fonctionnement de Daret pour protéger ses adeptes? Ou faut-il s'abstenir de réglementer cette pratique ancestrale? En tout cas, il est utile de rester vigilant à l'égard des escrocs qui ne manquent pas de manœuvres pour induire en erreur leurs victimes.

Par Adil Chadli (MAP)
Le 29/01/2020 à 14h09