Casablanca, Casalcutta, Casalona?

Fouad Laroui.

ChroniqueD’accord pour la barcelonisation de Casablanca; mais Casalona devrait devenir une ville de culture où le livre est révéré, pas dévoré.

Le 23/07/2025 à 11h04

Je crois que c’est le fameux Driss B. qui l’a dit un jour, du temps qu’il était wali du grand Casablanca, il y a quelques lustres:

- C’est simple: nous devons décider si le futur de Casablanca est d’être Calcutta ou Barcelone.

Une sorte de to be or not to be, en somme, asséné par un homme plus proche d’un Horatio sain d’esprit que d’un Hamlet halluciné, même s’il y avait de la méthode dans la folie de ce dernier.

Casalcutta ou Casalona? Il doit bien se trouver quelque ami du chaos, quelque rappeur ayant fumé la zerbia, quelque zadiste égaré chez nous pour préférer le chaos de la capitale du Bengale-Occidental et ses vingt millions d’habitants au bel ordonnancement de la ville de Gaudí, de Miró et de l’inoubliable Montserrat Caballé. (Et comme j’écris ce texte sous un parasol de plage et que j’aperçois là-bas au loin Zakaria Boualem en train de taper dans un ballon, j’ajoute: la ville de Cruyff, de Pep Guardiola et de Messi.)

(Et avant que l’ambassadeur de l’Inde à Rabat ne décroche son téléphone pour protester auprès du directeur du Le360, je m’empresse d’ajouter que Calcutta (qui se nomme officiellement Kolkata aujourd’hui) a également donné naissance à des gens de grande valeur comme le prix Nobel de littérature Rabindranath Tagore, le subtil cinéaste Satyajit Ray ainsi que Ravi Shankar, dont la musique fit le tour du monde et inspira jusqu’aux Beatles.)

En dépit de toutes ces restrictions mentales et ces précautions oratoires, on aura compris que Driss B., ses successeurs et la plupart des Casablancais (j’en suis un, ayant passé dix ans de ma vie dans un internat du boulevard Ziraoui) ne se posent la question que de façon rhétorique puisqu’il est évident que la réponse est: Casalona!

Depuis quelques années et en prévision de la Coupe du monde 2030, la barcelonisation de Casablanca s’est accélérée et, à mon humble avis, c’est une bonne chose. Mais…

Mais mon cousin Azzedine vient de m’envoyer une photo qui m’a profondément troublé. Ça se passe au marché qui se trouve derrière l’hôtel Hyatt Regency. On y voit des bulldozers détruire des boutiques de bouquinistes. Livres et bouquins sont pris dans les mâchoires des machines et jetés avec les gravats dans des camions à benne. Ça m’a rappelé Fahrenheit 451, le chef-d’œuvre de Ray Bradbury porté à l’écran par Truffaut. Publié en 1953 aux États-Unis, ce roman dystopique décrit une société où les livres sont tout simplement interdits: des pompiers impitoyables brûlent tous ceux qu’ils trouvent. Ça m’a également rappelé les autodafés de livres jugés non allemands (parmi lesquels ceux de Freud, de Marx, de Zweig…) commis par les nazis à partir de l’année 1933.

On ne devrait pas détruire des livres, d’autant plus qu’ils constituent le seul capital de ces pauvres bouquinistes. Franchement, il n’y avait pas moyen de procéder autrement?

Je ne pense pas qu’on fasse des autodafés de livres à Barcelone. Après tout, c’est dans cette ville que ‘notre’ Juan Goytisolo est né, en 1931. Le grand écrivain a passé plusieurs décennies au Maroc et il y a été enterré, conformément à ses vœux, au cimetière marin de Larache en 2017, à côté de Jean Genet. Il aurait sans doute été aussi horrifié que moi de voir des bulldozers déchiqueter des bouquins…

D’accord, mille fois d’accord pour la barcelonisation de Casablanca; mais Casalona devrait devenir une ville de culture où le livre est révéré, pas dévoré.

Par Fouad Laroui
Le 23/07/2025 à 11h04