Canicules à répétition: l’architecture marocaine à l’épreuve du climat

Un dessin d'architecture en conception. (Photo d'illustration)

Alors que le Maroc a enregistré des températures record au cours des deux dernières semaines, frôlant voire dépassant les 48°C dans certaines régions, la question de l’adaptation du bâti aux canicules devient urgente. Isolation thermique, choix des matériaux, intégration de la végétation urbaine: face à un modèle de construction souvent inadapté au climat local, des voix s’élèvent pour repenser l’architecture marocaine.

Le 08/07/2025 à 10h49

Alors que le Maroc suffoque sous des vagues de chaleur de plus en plus fréquentes et intenses, la question de l’adaptation du bâti revient comme un leitmotiv. Conçue dans un autre temps, selon des logiques économiques ou esthétiques déconnectées du climat local, la construction immobilière doit aujourd’hui opérer sa transition.

Deux professionnels du secteur dressent un état des lieux sans détour et esquissent les contours d’une architecture marocaine enfin alignée avec les enjeux climatiques.

«Notre manière de construire doit aujourd’hui évoluer pour s’adapter aux nouveaux défis climatiques», pose d’emblée Driss Guessous. L’architecte rappelle que l’architecture traditionnelle marocaine, avec ses murs épais, ses patios intérieurs ou ses ruelles ombragées, était pensée pour tirer parti du climat, pas pour le subir. Le problème? Ces logiques ont été progressivement abandonnées au profit de modèles modernes importés et standardisés, peu compatibles avec les réalités thermiques locales.

Nada Oudghiri, architecte-urbaniste, dresse le même constat: «Malheureusement, dans de nombreux cas, notre manière de construire n’est plus en phase avec les réalités climatiques actuelles. Le modèle dominant reste trop souvent celui d’une architecture standardisée, pensée pour une rentabilité à court terme, au détriment du confort thermique et de la durabilité.»

Si certains projets d’aménagement récents s’inspirent à nouveau des principes vernaculaires (orientation réfléchie, circulation naturelle de l’air, intégration végétale), ces démarches restent encore marginales dans le paysage immobilier marocain. «Heureusement, une nouvelle génération de projets intègre désormais cette réalité dès la conception», tempère Driss Guessous.

Repenser les techniques et les matériaux

Pour améliorer le confort thermique, les deux professionnels convergent vers un même mot d’ordre: repenser les matériaux, les techniques de construction et l’enveloppe des bâtiments. Isolation par l’extérieur, matériaux biosourcés ou à forte inertie, dispositifs de ventilation naturelle... Autant d’outils à disposition, encore trop peu généralisés.

«Le recours à la terre crue, au pisé, à la pierre ou à des bétons allégés biosourcés est à privilégier», estime Driss Guessous, citant l’exemple de villas dans la région de Taroudant utilisant la terre stabilisée pour ses propriétés thermiques. Nada Oudghiri, elle, évoque la laine de bois, le liège ou encore les toitures végétalisées et les brise-soleil orientables.

Mais ces techniques ne concernent pas que la structure. L’architecture intérieure joue aussi un rôle dans la gestion thermique: «Utilisation de rideaux thermiques, de plafonds ventilés, de matériaux comme le rotin ou la terre cuite… Cela participe à la régulation thermique sans dépendre de la climatisation», souligne Driss Guessous, citant même des projets au Portugal ou au Maroc qui misent sur ces choix.

Du vert, du vert, toujours plus de vert

Dans une ville écrasée par la chaleur, la nature devient un rempart. «La végétation est une véritable alliée contre la chaleur en milieu urbain. Elle permet de réduire l’effet d’îlot de chaleur, d’abaisser la température ambiante, de filtrer les particules polluantes», rappelle le professionnel. Il évoque le cas du projet Casa Anfa à Casablanca, où les espaces verts ont été pensés comme des éléments structurants du confort climatique.

Nada Oudghiri va plus loin encore: «Une ville minérale, sans arbres ni sols perméables, accumule et restitue massivement la chaleur, rendant l’espace public invivable.» Pour elle, la végétalisation doit s’imposer comme une priorité dans les politiques urbaines, via des plantations réfléchies et adaptées aux contraintes locales.

L’intérieur des bâtiments n’est pas en reste. Le design biophilique, ou l’art de reconnecter les espaces à la nature, s’impose de plus en plus comme une réponse aux canicules urbaines. Murs végétalisés, patios intérieurs, mobilier végétal… autant d’éléments qui participent à rafraîchir naturellement les espaces de vie.

Une réglementation présente… mais contournée

Depuis 2015, le Maroc s’est doté d’un Règlement thermique de construction (RTCM), qui fixe des seuils d’isolation pour les toitures, façades ou vitrages. Une avancée indéniable… mais peu appliquée.

«Son application reste partielle, notamment en dehors des marchés publics», regrette Driss Guessous. Nada Oudghiri confirme: «Le respect de ces normes dépend largement de la volonté du maître d’ouvrage, de la conscience environnementale des acteurs et du niveau de contrôle exercé par les communes.»

Le problème ne vient pas uniquement du manque de rigueur administrative, mais aussi de pratiques opportunistes. Les deux architectes évoquent des cas fréquents de contournement: doubles cloisons sans isolant, remplacement du double vitrage par du simple, décorations imitant l’épaisseur thermique. Pour Guessous, «il est essentiel de renforcer les contrôles en amont, lors de l’instruction des permis, mais aussi sur chantier.»

L’urbaniste propose, quant à elle, des pistes pour inverser la tendance: audits rigoureux, labels de performance énergétique, formation des professionnels et sensibilisation des acheteurs. «Les usagers doivent être informés de leurs droits et des critères d’un logement confortable, économe et sain», plaide-t-elle.

Mise en œuvre timide

Le Plan national d’efficacité énergétique vise à réduire de 20% la consommation énergétique du bâtiment d’ici 2030. Mais entre ambitions politiques et réalités du terrain, le décalage persiste.

«Le secteur public donne de plus en plus l’exemple, mais il est urgent d’étendre ces efforts au secteur privé», alerte-t-elle. Elle pointe le manque de financements, de dispositifs incitatifs clairs et de compétences techniques suffisantes.

Driss Guessous, lui, cite des exemples positifs à Chefchaouen ou dans certains projets de bureaux à Casablanca, intégrant capteurs de luminosité, stores motorisés, éclairage LED intelligent, mais reconnaît que ces démarches restent encore l’exception.

Face à l’aggravation annoncée des canicules, les deux architectes appellent à une transformation radicale de nos villes. Compactes mais respirantes, intégrant couloirs de ventilation, toitures végétalisées, façades réfléchissantes. Ces villes du futur ne sont pas forcément high-tech, mais surtout mieux pensées.

«Il ne s’agit pas de copier des modèles étrangers», insiste Driss Guessous, qui préfère puiser dans le patrimoine marocain. «Les médinas offrent déjà des leçons de résilience: patios, ruelles étroites, jeux d’ombre.»

Nada Oudghiri abonde: «Une ville bien pensée placerait l’humain et son confort au cœur des décisions, en réduisant les surfaces minérales, en favorisant la marche, en assurant l’accès équitable à des logements bien conçus thermiquement.»

Car au fond, le défi architectural posé par la crise climatique ne se limite pas à la technique. Il engage aussi une vision plus large: une façon d’habiter, de penser le collectif, de vivre avec son climat plutôt que contre lui.

Par Camilia Serraj
Le 08/07/2025 à 10h49