Le 20 mars prochain, la Cour d’appel de Casablanca va ouvrir le procès en appel de Réda Abakrim pour un homicide commis il y a plusieurs années en France. Mais si l’accusé fait depuis quelques semaines l’actualité sous nos cieux, c’est pour un crime bien plus proche, et autrement plus récent.
En effet, celui que l’on surnomme «Turbo» est désigné comme le principal suspect dans le kidnapping et l’assassinat de Réda Faris, l’époux de la chanteuse Rym Fikri.
Le 8 février, ce dernier avait été enlevé devant son domicile casablancais par des individus encagoulés, avant d’être emmené dans une villa à Mansouria, près de Mohammedia. Sur place, il a été séquestré dans un conteneur, puis torturé jusqu’à ce que mort s’ensuive. Sa dépouille a été ensuite démembrée et placée dans plusieurs sacs en plastique disséminés dans un cours d’eau près de Rabat.
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La macabre affaire, toujours instruite par les enquêteurs et la justice, semble avoir pour principal acteur cet homme au passé lourd et aux nombreux antécédents judiciaires dans l’Hexagone, sa terre natale. Il y avait été notamment condamné pour un crime au mode opératoire similaire, lié à un règlement de comptes entre trafiquants de drogues.
Un délinquant précoce
Flashback. Réda Abakrim voit le jour le 17 juin 1982 dans le quartier Coudray de la petite commune de Poissy, dans le département de l’Ain, de parents marocains. Il est le quatrième d’une fratrie de cinq enfants, dont le père est employé dans une usine de construction automobile.
Enfant déjà difficile, Réda arrive quand même à obtenir son baccalauréat en 2001, mais décroche juste après. Dans les annales de la justice française, on peut voir qu’il a inauguré son passif judiciaire dès ses 13 ans, avec son implication dans un incendie criminel, puis dans des affaires de vol avec violence, de chantage et de refus d’obtempérer. Au total, six inculpations noircissent son casier judiciaire, mais aucune n’avait trait à un trafic de drogues.
Pour s’occuper, il se met à la vente de vêtements, achetés par des voies illégales au Portugal. Il améliore son business en passant au commerce de voitures d’occasion, puis à celui de bijoux et de montres de luxe de seconde main.
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On ne peut déterminer avec exactitude quand il a bifurqué vers le trafic de drogues, mais rapidement, son nom va circuler parmi ceux des «narcos» les plus connus dans sa région. Sa spécialité: les «go fast», ces voitures capables d’acheminer en temps record la drogue vers la France. C’est de là que lui viendra son surnom de «Turbo».
Surtout, en juin 2007, il fait son entrée dans le who’s who des criminels les plus recherchés de France, estampillé «objectif prioritaire» par l’Office anti-stupéfiants français (OFAST).
Et pour cause: Réda Abakrim est suspecté d’avoir enlevé, torturé et assassiné Brahim Hajjaji, un jeune homme qui aurait «égaré» une cargaison de 600 kilogrammes de cannabis lui appartenant. Un ami de la victime s’était présenté devant la police pour déclarer que, le jour de sa disparition, cette dernière lui avait confié qu’elle allait rencontrer «Turbo» et qu’elle «n’avait pas l’esprit tranquille».
Le corps de Brahim Hajjaji n’est pas retrouvé, mais en 2010, les langues commencent à se délier. Surtout celle de Bilal J., trafiquant de drogue d’origine algérienne, qui déclare à la police que le jour du crime, il se trouvait dans la forêt de Coudray et qu’il y avait vu la victime en compagnie de «Turbo» et de deux de ses complices. Toujours d’après son témoignage, Brahim Hajjaji aurait été assassiné par balles et enterré dans ladite forêt. Et selon ses propres aveux, Bilal J. avait déterré le corps de Brahim Hajjaji pour l’enterrer ailleurs et faire chanter «Turbo». Résultat: ce dernier a tenté à maintes reprises de lui réserver le même sort.
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Le corps de la victime est retrouvé, portant les traces de trois balles de 7,65 mm. La famille Hajjaji pouvait enfin porter plainte devant la justice.
Un «exil» aux Émirats
Mais il est déjà trop tard. Prudent, «Turbo» avait quitté le territoire français en 2007, quelques mois après son crime, en direction du Maroc. L’homme a posé ses valises à Casablanca, dans un appartement du quartier Maârif, loué à l’époque à 11.000 dirhams par mois. Une année plus tard, il s’en offre un plus confortable au quartier 2 Mars, payé rubis sur l’ongle 1,5 million de dirhams. Officiellement, il dit travailler dans l’immobilier, mais on ne sait rien de ses autres activités, surtout les illicites.
En 2014, «Turbo», détenteur des passeports marocain et français, doit renouveler son titre de voyage français. Mais l’étau judiciaire se resserrant autour de lui, il active ses relations dans le milieu pour se faire confectionner un faux passeport, portant le nom d’emprunt pittoresque de «Karim Ramadan Chergui». Entre-temps, il avait convolé en justes noces avec une Franco-Marocaine, avec qui il aura cinq enfants.
En 2017, le nouveau M. Chergui décide de s’exiler aux Émirats arabes unis pour une parenthèse qui reste assez obscure. Il n’en revient que le 21 décembre 2020, date à laquelle il est arrêté à l’aéroport Mohammed V de Casablanca à cause de son faux passeport. Placé en détention, il est rattrapé par l’assassinat de Brahim Hajjaji. C’est que, quelques mois plus tôt, en juin 2020, il avait été condamné par contumace, par la cour d’assises de Versailles, en France, à 21 ans de réclusion criminelle, pour «enlèvement et homicide volontaire avec préméditation».
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Poursuivi pour les mêmes chefs d’accusation devant la chambre criminelle de la Cour d’appel de Casablanca, Réda Abakrim est acquitté le 18 avril 2023 pour insuffisance de preuves, après plus d’une année d’instruction et six audiences étalées sur plus de deux ans. «Quand nous avons saisi la justice, nous avons appris que Réda Abakrim avait bénéficié du témoignage de son complice Mohammed, lui-même condamné par contumace à 20 ans de prison en France, et qui avait fui au Maroc. Logiquement, il aurait dû être poursuivi lui aussi», se souvient l’avocat Mohamed Aghnaj, avocat de la famille Hajjaji, dans des déclarations pour Le360.
Un autre enlèvement, un autre meurtre
La famille Hajjaji fait appel et le dossier est rouvert, mais «Turbo» se démène pour éviter un retour devant les juges, «séchant», sous divers prétextes, pas moins de huit audiences. Il ne pourra en faire autant pour la neuvième. «L’accusé a été innocenté en première instance, mais le dossier a été repris par la chambre criminelle près la Cour d’appel de Casablanca. Aujourd’hui, puisqu’il est en détention, il est devenu possible de l’obliger à comparaître et l’affaire devrait connaître un autre tournant», poursuit Me Aghnaj.
Effectivement, depuis le 14 février, il est placé, avec cinq présumés complices, en détention préventive, le groupe étant soupçonné d’avoir orchestré et exécuté l’enlèvement et le meurtre de Réda Faris. Et en attendant les résultats de l’enquête, toujours en cours, Réda Abakrim aura droit à une courte «permission», pour répondre d’un autre enlèvement et d’un autre meurtre, vieux celui-là de 17 ans.