Vulgarité

Tahar Ben Jelloun.

ChroniqueQue s’est-il passé pour que la France déraille au point où les syndicats sont passés maîtres dans le chantage avec des grèves, des blocages, des manifestations à répétition, où le pouvoir refuse de discuter avec eux, et où finalement personne n’aime personne?

Le 20/03/2023 à 12h02

Cela fait longtemps que je vis en France. C’est la première fois que j’ai un sentiment de rejet: la vulgarité, cette «infirmité de l’âme» comme la définissait Guy Bedos, est partout: dans certaines émissions de télévision, dans l’Assemblée nationale, dans les rapports entre les pouvoirs politiques et la population, dans les trottoirs où trônent les poubelles non ramassées depuis plus de dix jours, dans l’arrivée massive des rats qui se régalent dans Paris, dans l’agressivité entre les gens, dans la violence de la contestation, dans l’air pollué qu’on respire…

Voilà ce que Maurice Martin du Gard appelait «la pire des décadences», cette vulgarité qui se répand à tous les niveaux et qui alerte le pays sur son niveau de déclin.

Que s’est-il passé pour que ce pays déraille au point où les syndicats sont passés maîtres dans le chantage avec des grèves, des blocages, des manifestations à répétition, où le pouvoir refuse de discuter avec eux, et où finalement personne n’aime personne?

Oui, les Français sont fâchés avec eux-mêmes. Ils ne s’aiment pas.

Alors que tous les pays européens ont accepté de prendre leur retraite à l’âge de 67 ans, la France se déchire depuis des mois parce que le gouvernement leur demande de passer l’âge de la retraite de 62 à 64 ans.

Il a fallu que la Première ministre fasse jouer l’article 49 alinéa 3 pour passer en force cette loi.

À l’Assemblée, la vulgarité a pris des formes inédites: hurlements, insultes, pancartes levées comme si on était dans une manifestation, cris de haine et en plus un ministre fait trois bras d’honneur en pleine séance houleuse.

Cette France-là est nouvelle. Elle est pathétique et les violences continuent dans la société (tous les trois jours, un mari ou un compagnon tue sa femme), une émission qui jouit d’une grande audience met en scène des personnages non seulement vulgaires, mais hideux et méchants. L’animateur est souvent rappelé à l’ordre, mais il poursuit son cirque, parce que ça rapporte en publicité et c’est ça qui l’intéresse.

Le niveau de décence ne cesse de baisser.

À chaque manifestation, on brûle les portraits du chef de l’État. La haine est partout. L’air est vraiment irrespirable.

J’ai vu l’autre jour de pauvres touristes se lamenter parce que le métro était en grève et il n’y avait pas de taxis. Ils ne savaient où aller avec leurs valises.

Et ce pays continue malgré tout à recevoir chaque année 90 millions de touristes!

Le chef de l’État résiste, voyage, ne répond à personne, persévère dans son attitude et cela énerve tout le monde.

Il ne fait plus de concession parce qu’il ne se représentera pas pour un troisième mandat.

J’entends de plus en plus des gens évoquer l’hypothèse sérieuse d’avoir Marine Le Pen présidente de la République.

La droite traditionnelle est divisée et n’existe plus sur l’échiquier politique; il en est de même de la gauche. Reste Mélenchon et Le Pen qui seront probablement face à face.

Il n’y a pas de quoi être rassuré.

En mauvais termes avec l’Algérie, le Maroc et la Tunisie, Macron poursuit sa route et ne sait pas comment se réconcilier avec les uns et les autres.

En ces jours où la vulgarité se banalise, la France aurait besoin d’un électro-choc pour faire redémarrer la démocratie qui a été si maltraitée par la rue et aussi par son havre naturel, l’Assemblée nationale.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 20/03/2023 à 12h02