Vos fatwas ne passeront plus!

Karim Boukhari.

ChroniqueLes islamistes veulent nous ramener en arrière? Profitons-en pour aller de l’avant!

Le 30/09/2023 à 09h05

Le PJD a récemment publié un communiqué pour expliquer les causes profondes du séisme qui a frappé le Maroc. Dans sa teneur, comme dans sa formulation, ce document est assez incroyable. L’ex-parti préféré des Marocains, qui a dominé la scène politique au moment des «printemps» arabes, impute le séisme à une colère divine, rien d’autre.

En substance, le communiqué nous dit que si le Haouz a sombré dans le chaos, c’est qu’il a quelque chose à se reprocher. Il a «péché», moralement et politiquement.

Pour le péché politique, on peut déduire que le PJD reproche au Haouz de ne pas avoir voté pour le parti en 2021. Et pour le péché moral, quel serait-il alors? Quelqu’un peut-il se donner la peine de nous l’expliquer?

Voyez donc où tout cela nous emmène. Au ras des pâquerettes.

On a du mal à croire que ce parti a gouverné le pays il n’y a pas si longtemps. Qu’il représentait une soi-disant alternative. Et qu’il incarne, aujourd’hui même, une «opposition». Opposition à qui, à quoi, me demanderiez-vous? Peut-être au bon sens.

Pour connaître certains cadres et militants sincères de ce parti, j’ai personnellement du mal à imaginer comment des gens responsables ont pu pondre un tel document. C’est-à-dire un jus de crâne, non filtré, non pasteurisé, tout droit sorti des fantasmes d’un faqih salafiste du Moyen Âge.

S’il était encore vivant, le sinistre Ibn Taymiyya (ce personnage est l’une des pires calamités qui soient arrivées à l’histoire multiséculaire de l’islam politique) ne ferait pas mieux. Ou pire, je ne sais plus.

La solution au drame du Haouz, selon Ibn Taymiyya, pardon, selon Benkirane et ses nouveaux amis, est de revenir à la voie de Dieu. Et de voter PJD!

Pas besoin de s’aider d’architectes, d’ingénieurs BTP, de démocratie sociale et tutti quanti. Des balivernes, tout ça!

Ce qu’il faut, c’est une grande «tawba» (rédemption) collective. C’est ce que recommandait déjà Ibn Taymiyya en son temps : soit la «tawba lillah», soit une mise à mort (les fameux «houdoud»).

En réalité, ce n’est pas un communiqué que le PJD vient de pondre, mais une fatwa. Ce qu’il y a de plus rétrograde. Si un imam proférait un tel discours, il serait radié des mosquées. Mais là, nous sommes face à un parti politique. Et un parti de tout premier plan, qui plus est.

Donc on ne va pas seulement condamner cette ignominie, mais on va faire l’effort de la comprendre. Un tant soit peu. De lui donner un sens, un cadre.

Parce qu’il y a bien sûr un calcul politique derrière tout cela.

Depuis leur dernière défaite électorale, les islamistes marocains ont battu le rappel du «bulldozer» Benkirane avec l’objectif de se refaire une virginité politique. Ils ont établi leur diagnostic en se disant : si on a perdu, c’est qu’on s’est éloigné de notre base électorale (stop: à un moment donné, il va bien falloir se pencher sur la piètre idée que les islamistes se font du QI de leur soi-disant base électorale).

En faisant plutôt appel à l’un de ses jeunes cadres, le PJD aurait sans doute poursuivi sa normalisation, sa laïcisation, pour se positionner aujourd’hui en grand parti de droite, conservateur mais ouvert et moderne. Ce n’est pas la voie qu’il a choisie. Le PJD a opté pour un retour à Benkirane, c’est-à-dire un retour au passé, au temps des fatwas et du populisme avec des ficelles grosses comme ça.

Depuis ce virage mal négocié, Benkirane a fait du Benkirane et le PJD a retrouvé sa violence verbale, mais pas sa base populaire. Parce que le soufflet du printemps arabe est bien retombé.

Ils nous ont déjà pondu une fatwa contre Israël qui leur a valu un rappel à l’ordre du Palais. Et la fatwa du séisme ressemble comme une sœur jumelle à celle d’Israël. Une nouvelle tentative désespérée de renouer avec une base électorale qui leur a tourné le dos. C’est l’expression d’un parti en crise, qui racle les fonds de tiroir pour produire un semblant de pensée politique.

La meilleure réponse vient peut-être, encore une fois, du Palais, avec cette demande express d’amender la Moudawana. La cause est noble, le timing parfait. L’initiative du Souverain sonne comme une réponse du berger à la bergère. Les islamistes veulent nous ramener en arrière? Profitons-en pour aller de l’avant!

Etant donné les circonstances, c’est la meilleure des réponses possibles.

Par Karim Boukhari
Le 30/09/2023 à 09h05