Le constructeur chinois de batteries, de bus, de camions et de voitures électriques BYD vient de renoncer à construire une usine dans le nord du Maroc. Le motif invoqué serait le peu d’enthousiasme manifesté par les villes marocaines à s’équiper en bus électriques. Si cette attitude concertée des différentes villes du Royaume existe bel et bien, elle ne constitue pas l’unique cause de l’irritation des dirigeants de l’entreprise chinoise. Certes, l’enjeu financier de ce seul marché n’est pas négligeable, se montant à quelques milliards de dirhams, vu que les besoins actuels du pays sont estimés à 3.000 bus et, à titre de rappel, BYD n’a pas hésité à investir 110 millions de dirhams dans une usine en France pour construire 200 bus par an. Le motif principal du retrait serait en réalité motivé par la résignation de ce grand producteur de véhicules électrifiés (il est leader mondial du secteur) à marquer une pause dans sa stratégie d’inclure le Maroc parmi les plateformes de conquête des marchés mondiaux, découragé par le protectionnisme multiforme européen.
Il faut reconnaître que les Chinois ont fait preuve d’une certaine naïveté en croyant que les Européens allaient leur permettre de les manger tous crus dans un domaine aussi stratégique par ses enjeux technologiques et financiers que le secteur automobile. Le déploiement par l’Union européenne de tout un arsenal protectionniste contre les produits automobiles chinois, sous la pression de la France qui veut récupérer sur son territoire tout ce qui bouge dans le domaine industriel, et ce, malgré les protestations de l’Allemagne, partisane de plus d’ouverture à l’égard des Chinois, le marché chinois demeurant intéressant pour eux dans le segment électrique moyen et haut de gamme, commence à produire son effet. Le constructeurs chinois, résignés et réalistes, envisagent d’avantager une installation directe de leurs usines au sein de l’Union européenne.
La même «naïveté» a été partagée par nombre de responsables marocains du secteur automobile qui ont cru que les accords de libre-échange conclus avec l’UE allaient permettre un accès libre des produits industriels chinois fabriqués au Maroc au marché européen. Alliant menaces de retrait des usines françaises installées au Maroc, barrières non tarifaires (cf. jantes en aluminium), pressions diplomatiques de l’UE qui redécouvre le Maroc comme l’allié stratégique incontournable (récente déclaration du très direct Josep Borell), visites de ministres français en nombre (cinq au dernier décompte), les Européens, sous l’impulsion française, bougent. Trop, au goût de certains observateurs, légitimement agacés par des égoïsmes qui ont la peau dure.
En fait, il ne s’agit pas pour les Européens de fermer la porte aux produits chinois, il s’agit de les «contraindre» à produire en Europe et de préférence en France, où les ouvertures d’usines de batteries pour véhicules électriques se multiplient sans poser de problèmes existentiels. Dans cette affaire, le Maroc qui joue le jeu d’un accord de libre-échange avec l’UE depuis longtemps, au détriment de milliers de PME passées à la trappe avec leurs emplois, doit réellement se poser les bonnes questions sur l’avenir à long terme de ce partenariat un tantinet eurocentriste, pour rester dans l’urbanité.
La ligne directrice des constructeurs européens au Maroc n’a pas changé. Ils souhaitent rester seuls maîtres à bord dans ce secteur, mettant en avant les investissements réalisés, en contrepartie de vagues promesses d’accroître la production de voitures à moteur thermique. Le ministre de l’Industrie avance l’objectif très optimiste de 1,5 million de véhicules à l’horizon 2026. Rappelons que financièrement, tout l’écosystème automobile est verrouillé, puisque le capital national n’a pas voix au chapitre. Pour l’avenir, l’option d’un passage à la production de véhicules électriques en quantité semble difficilement envisageable, les usines européennes robotisées répondront aux besoins. La production au Maroc pourrait constituer un hypothétique appoint. Pour la production des véhicules à moteur thermique, dont la commercialisation au sein de l’UE s’arrêtera en 2035, il y aurait le marché africain dont la taille et l’évolution demeurent incertaines.
Face à un écosystème automobile déjà installé, disposant de ses débouchés et puissamment soutenu par les partenaires européens, et une installation chinoise future, sans marchés garantis bien que technologiquement attrayante, le gouvernement marocain semble avoir fait le choix du «réalisme politico-économique». Au détriment du long terme, où la voiture électrique sera dominante.
Le gouvernement avait-il d’autres alternatives? Au vu des équilibres géo-économiques actuels dans la région, la réponse est a priori non. Doit-on en rester là? C’est ici que l’imagination politique et économique devrait être mise à contribution. Est-il réaliste de laisser l’écosystème automobile dans sa presque totalité entre les mains d’un actionnariat étranger, nécessairement volatile? N’est-il pas temps de capitaliser sur la présence de cet écosystème pour trouver une implication plus poussée du capital national dans ce secteur? Le taux d’intégration devenant un enjeu majeur pour pénétrer le marché européen sans droits de douane, conformément aux accords de libre-échange, n’est-il pas temps d’encourager un écosystème parallèle constitué de producteurs nationaux capables de fournir le maximum d’intrants pour d’autres marques installées ou à l’étranger?
Dernier point et non des moindres, n’est-il pas plus pertinent de profiter de la commande projetée par les villes (voire supra) pour créer un nouvel écosystème de fabrication de bus et de véhicules utilitaires électriques, en capitalisant sur notre expérience dans l’automobile? Pourquoi laisser les villes commander des bus à moteur thermique polluants, nuisibles à la santé et contreproductifs économiquement? Des fois, il y a manifestement des questions à se poser sur certains choix et leur degré de cohérence avec les orientations globales du pays.