Tindouf et Oued Edahab (Rio de Oro) tels que documentés en 1888 par la «Société normande de géographie»

Karim Serraj.

ChroniqueÀ Rouen, les archives de la «Société normande de géographie» recèlent un document important sur le Sahara «occidental», écrit par le voyageur de grand renom Camille Douls, apportant un témoignage historique sur Tindouf à l’Est, et la région de Oued Edahab (Rio de Oro) au Sud. L’autorité méridionale du Sultan du Maroc s’exerce alors «jusqu’au Tropique du Cancer», dit l’auteur.

Le 04/08/2024 à 10h59

En janvier 1888, le célèbre Camille Douls, qui signe ses écrits du qualificatif d’«explorateur», tient une conférence à l’Hôtel-de-Ville de Rouen, en France, organisée par la «Société normande de géographie» sur son voyage au Maroc. L’homme extravagant, dont Nadar a immortalisé le portrait dans des accoutrements «sahariens», a appris l’arabe, appris des sourates du Coran et s’est fait circoncire. Il raconte devant les aimables sociétaires son exploration d’un an du Sud marocain qu’il a réussi à rejoindre depuis les îles Canaries: «Ayant formé le projet de pénétrer dans le Sud marocain, je quittai la France à la fin de l’année 1886, à destination des îles Canaries» (p.3, «Voyages dans le Sahara occidental et le Sud marocain», 1888, publication de la Société normande de géographie, BNF).

Il compte gagner le Maroc directement depuis les îles Canaries où «les relations ont lieu toutes les semaines au moyen d’un voilier qui fait le trajet en douze heures» (p.4), un trafic maritime coutumier entre les deux rives qui permet à l’époque aux îles de se ravitailler en certains produits. Cependant, Camille Douls réalise la traversée plutôt sur un bateau de pêche pour accoster plus au sud, «déguisé en musulman, à bord de la goélette Adelaïda, montée par trente-trois pêcheurs» (p.4). Son périple bien documenté commence dès lors, en premier lieu dans le Sud, bourlinguant dans toute la région de Oued Edahab (Rio de Oro) depuis Tarfaya, Boujdour, Cap Garnet (150 km au sud de Boujdour), région bien marocaine selon cette énième source historique, Cap Blanc (Nouadhibou, Mauritanie) et jusqu’au Tropique du Cancer dont il use pour constater l’étendue de l’autorité du sultanat du Maroc. Pendant cinq mois, le jeune homme, qui se fait passer pour un Turc musulman, vit parmi des populations du Sud avant de continuer son voyage vers Tindouf.

L’Empire du Maroc jadis exclusivement traversé par le Tropique du Cancer

Il écrit sur l’autorité du Sultan Moulay Hassan 1er ben Mohammed, qui s’exerce dans le Sud jusqu’au Tropique du Cancer: «Le Tropique sous lequel nous étions en ce moment-là peut servir de limite entre les populations maures, nomades et sédentaires. Au sud s’étendent l’Adrar et les territoires dépendants de Ould-Aïdda (Mauritanie du Sud, NDLR). Au nord se développent les steppes ou parcours de nomades qui n’ont de limites que les ramifications de l’Anti-Atlas du Sud marocain» (p.13). Cette frontière du Sud perdue il y a environ 120 ans, est reproduite par l’auteur dans une carte géographique avec les populations et tribus locales (Voir galerie photos). Il s’agit d’«émigrés du Maroc», note-t-il dans cette carte. Comme les Oulad Bou Sbah qui vivent à présent entre le Maroc et la Mauritanie et ont longtemps pratiqué le commerce avec le Sénégal. Ils se revendiquent d’une généalogie de Chérif (du Maroc). Ou comme les Oulad Mohammed ou les Oulad Delim (d’où sortira le général Dlimi), des tribus semi-nomades dans la grande région du Sahara occidental originaires du Maroc. Durant son séjour dans les contrées du Sud, Camille Douls vivra dans «la tribu des Oulad-Delim», dont il devint «l’hôte» (p.18). Ce Tropique du Cancer qui traversait exclusivement le Maroc, passe dormais aussi par la Mauritanie et l’Algérie.

À l’est, son voyage le conduit à travers les régions sahariennes spoliées aujourd’hui par l’Algérie comme la sebkha d’Ijil, la sebkha de Zemmour et Tindouf, cette dernière ville étant le véritable objectif de son expédition au Maroc. Il cherche via Tindouf la mythique Route de Tombouctou de l’Empire chérifien. «Nous étions parvenus aux confins du Djouf (couvre le nord-est de la Mauritanie et une partie du nord-ouest du Mali, NDLR), cette partie du Grand-Désert qui est en dépression et s’étend jusqu’à la route de Tindouf à Timbouktou (p.13). Il dira: «Ce nom de Tindouf exerçait sur mon esprit l’effet d’un véritable mirage. Les nomades ne m’en parlaient qu’en termes d’admiration, et puis je savais qu’elle n’avait été visitée encore que par un seul Européen, le docteur Lenz.» (p.20-21) Camille Douls va parcourir la «rive droite du cours du Saguiat-al-Hamra, pour continuer à suivre directement vers l’est la route» traversant «des plaines fertiles et très favorables à la culture. Les Maures y sèment de l’orge et y font en quelques mois une magnifique récolte. La végétation y est plus dense et les troupeaux y trouvent d’abondants pâturages» (p.21).

Tindouf, un jardin marocain et carrefour des caravanes africaines

De ces Maures («Marocains») installés dans les oasis clairsemées du Sahara, il écrira: «L’exercice de l’hospitalité est la plus grande vertu des Maures nomades et une telle vertu les relève beaucoup à mes yeux» (p.21). Il décrit ainsi la population marocaine du désert: «Les Maures venaient alors vers nous et, nous serrant la main, nous souhaitaient la paix de Dieu (…) Nous étions introduits dans la tente du plus riche d’entre eux, on nous offrait la meilleure place, le premier lait de la traite était pour nous (…) et tout cela sans question indiscrète, sans nous connaitre, sans demander qui nous étions, où nous allions, d’où nous venions.» (p.22) Au bout de plusieurs jours de marche ponctués d’arrêts dans des oasis accueillantes et toutes belles et prospères, l’équipée atteint enfin «le plateau de Hamâda (aujourd’hui algérien, NDLR) le plus étendu et le plus élevé plateau du Sahara occidental (…) C’est à l’est d’El Hamâda qu’est située l’oasis de Tindouf» (p.23). La ville de «Tindouf n’est qu’un bourg (…) je dois avouer qu’à la vue de l’oasis, je subis l’impression des nomades, et ces quelques petites maisons que j’apercevais là-bas aux pieds d’une colline, ce minaret encadré par la cime de quelques palmiers qui se détachait sur le fond sablonneux de la plaine, me transportèrent de joie.» (p.23)

On y lit que la ville a été «fondée en 1857 par un marabout de la tribu des Tadkjaants, nommé Bel Hamedj (Cheikh Mohamed El Mokhtar Bellaméche, chérif du Maroc, NDLR), et l’oasis de Tindouf ne tarda pas à prendre un grand développement et une importance commerciale» (p.24). La petite cité qui a l’air bien sympathique sous la plume de l’auteur est bâtie au pied d’une colline et «possède quelques jardins et un puits remarquable par sa fraicheur» (p.24). Ses maisons sont construites avec de l’argile séchée au soleil, sans poutres ni solives. «Comme monument, elle ne possède qu’une mosquée dont le minaret domine l’oasis et se voit de fort loin sur la route de Timbouktou» (p.24), dit l’explorateur qui la considère comme une voie essentielle pour atteindre l’Afrique, située également sur la route des caravanes du Soudan: «Pendant mon court séjour dans l’oasis de Tindouf, j’y ai croisé une caravane qui venait aussi du Soudan.» (p.24) La route du Maroc qui mène de Tindouf à l’Afrique «est mieux qu’In-Calah dans le Touat» (p.24) affirme-il au sujet de ces régions.

Dans cette partie du monde enclavée, l’unique accès à Tindouf était les routes intérieures du Maroc: «La route du Ouad Noun et de Guelmim qui se prolonge jusqu’à Mogador; celle d’Akka et de Marrakech, celle de Tafilelt, une autre du Touat, et enfin celle des nomades de l’ouest par le Saguiat-el-Amra. Les caravanes qui viennent de Timbouktou laissent une partie des marchandises à Tindouf.» (p.24) Les caravanes qui transitent par Tindouf comprennent parfois, selon l’auteur, plusieurs milliers de chameaux qui se déplacent entre le Maroc et l’Afrique.

Outre des pages précieuses sur la botanique et la géologie du Sahara, Camille Douls laisse des descriptions sur les traditions sociales et la vie quotidienne du Sahara «occidental». Ainsi, il assiste à un baptême, puis à un enterrement, décrit les coutumes des femmes, notamment leurs danses durant les festivités. Il fut lui-même sollicité par son ami, le ould Dlim Ibrahim, pour prendre une épouse marocaine. Il finira par quitter le Sahara après une année de voyage, empruntant cette fois-ci la route terrestre jusqu’à Tafilelt, Marrakech, Rabat, Tanger.

On le voit, la pérégrination de Camille Douls ne l’a jamais fait quitter le Royaume chérifien, vaste territoire encore en 1888 que l’auteur qualifie à maintes reprises d’«empire du Maroc». Il parle également, toujours, des Marocains en les nommant les Maures sur l’ensemble du territoire, suivant en cela la tradition des livres occidentaux d’entre le 15ème et le 19ème siècle sur le Maroc. Camille Douls se révèle un remarquable témoin du «fait historique», de la marocanité du Sahara. Personnage romanesque incontournable, sur lequel J. M. G. Le Clézio a écrit un texte, considéré par les historiens comme le premier voyageur français à pénétrer à Tindouf, il sera reçu avec les honneurs membre de la «Société géographique de Paris», quelques mois avant sa mort prématurée en 1889 dans le désert en Algérie, tué lors d’une rixe à Akabli.

Par Karim Serraj
Le 04/08/2024 à 10h59