Soft power: le couscous et le football ne suffisent pas

Rachid Achachi.

Rachid Achachi. LE360

ChroniqueAlors que le Maroc déploie des efforts pour affirmer son influence à l’international, son classement modeste dans le Global Soft Power Index 2025 révèle une réalité moins flatteuse: le patrimoine, la gastronomie et les exploits sportifs ne suffisent plus. À l’ère du numérique, le soft power se construit aussi — et surtout — en ligne. Encore faut-il en avoir la vision et les moyens.

Le 29/05/2025 à 11h19

Selon le dernier rapport publié par le Global Soft Power Index pour l’année 2025, le Maroc se classe 50ème sur 193 pays avec un score de 40,6, derrière des pays comme Oman (49ème), l’Afrique du Sud (41ème) et la Thaïlande (39ème), mais tout de même devant le Bahreïn (51ème) ou encore, le Vietnam (52ème). Un résultat qui peut sembler étonnant, au vu du potentiel culturel et patrimonial du pays, de sa sublime trajectoire sportive au Mondial du Qatar en 2022 et des différentes politiques mises en place pour accroître son rayonnement dans le monde.

Mais le fait est que la discipline et la rigueur finissent toujours par l’emporter sur les éclats de génie et les potentiels sous-exploités. Le génie, c’est de durer, comme dit l’adage. Et cela réclame une vision, une stratégie et quelques moyens. En témoigne l’exemple émirati, qui a réussi à gagner huit places depuis 2020 et à se maintenir à la 10ème position pour la deuxième année consécutive. Pas mal pour un pays de 10 millions d’habitants.

Le secret d’une telle réussite ne réside pas seulement, ou du moins pas intégralement, dans les moyens financiers mis en avant, mais aussi dans la mobilisation des moyens disponibles. Sur le terrain du digital, les Émirats arabes unis ont multiplié les stratégies d’influence à travers la création de médias digitaux, de campagnes de branding national sur les réseaux (X, Instagram…), et surtout l’accueil d’influenceurs de tous bords sur leur propre territoire, en leur offrant un cadre idoine, autant au niveau fiscal qu’au niveau des infrastructures numériques et digitales, ainsi que des moyens de financement (PayPal, Stripe, crypto-monnaies…).

Le but est de conquérir les cœurs tous azimuts, autant en Occident qu’en Orient.

Et là, on ne parle pas d’une stratégie sectorielle quelconque dirigée par un simple ministère, mais d’une stratégie géopolitique de rayonnement, d’influence politique et d’attraction économique. D’autant plus que des voisins comme le Qatar ou l’Arabie saoudite ne sont pas en reste sur le terrain de l’influence et du soft power digital.

Au Maroc, nous avons, en plus de notre patrimoine historique, culturel, culinaire, et j’en passe, un réservoir de jeunes talents qui, malgré les différentes contraintes fiscales, d’infrastructures (cherté et lenteur de l’Internet) et financières (Stripe, PayPal et plusieurs autres plateformes inexistantes ou interdites), réussissent malgré tout à briller autant sur YouTube que sur Instagram. À tel point que bon nombre d’entre eux ont été recrutés par des médias digitaux qataris pour servir LEUR soft power!

Et au lieu de penser une vraie stratégie d’influence digitale en aidant ces jeunes créateurs à s’épanouir et à mettre leur créativité au service de leur nation, notre gouvernement s’évertue à vouloir les étouffer fiscalement en les imposant à hauteur de 30% de leurs revenus. Sans parler d’un certain conservatisme de Bank Al-Maghrib, qui les prive de certains mécanismes de financement pourtant largement admis dans les pays développés et aux Émirats, entre autres.

Le résultat est naturellement soit le découragement, soit la fuite de ces jeunes talents au profit de puissances étrangères.

Sans oublier que, durant les dernières années, certains de nos jeunes talents ont contribué, à travers des chaînes YouTube, à réconcilier les Marocains avec leur histoire en leur révélant des étapes glorieuses et méconnues de notre passé, avec un fort engouement du public pour ce genre de contenu. Car qui a dit que le soft power devait uniquement être orienté vers l’étranger?

Ainsi, au lieu de voir nos créateurs de contenu comme des vaches qu’il s’agit à tout prix de traire, pourquoi ne pas leur proposer un nouveau statut d’auto-entrepreneur 2.0? Un régime fiscal favorable qui leur permettrait, tout en travaillant dans la légalité, de gagner de l’argent et de le réinvestir pour fonder, pourquoi pas, des médias digitaux d’influence avec des équipes (monteurs, cadreurs…) et une professionnalisation accrue de leur production de contenu.

Certes, on pourra toujours trouver ici et là des brebis galeuses et des producteurs de bêtises et de débilités de tout genre qui pullulent sur le Net. Mais il ne faut surtout pas oublier que le secteur de la création de contenu est un marché comme un autre, avec une offre et une demande, et surtout une offre qui reflète le niveau de la demande. Et le règlement de ce problème ne pourra aucunement passer par une logique coercitive, mais par une éducation nationale de qualité, une politique culturelle à la hauteur de notre Royaume, et l’encouragement de l’esprit critique à tous les niveaux (médias, éducation…). Car au fond, le miroir n’est pas responsable de la laideur qu’il reflète.

Par Rachid Achachi
Le 29/05/2025 à 11h19