Définir les composantes de l’identité marocaine, en tirer un projet de société à fibre sociale, replacer la centralité de la montagne et de l’Atlantique dans l’imaginaire des Marocains, remporter à force de persévérance (cinq candidatures infructueuses) l’organisation de la Coupe du monde de football, veiller à la mise en place d’un système de protection sociale, trouver le bon financement aux projets structurants lancés (voyage aux Émirats arabes unis), marquer un retour aussi historique qu’intéressant au Sahel, améliorer la gouvernance et l’efficacité des ministères de souveraineté… Si ce n’était cette terrible épreuve, voulue par la Providence, du séisme d’Al Haouz, on aurait pu écrire que la monarchie a connu une annus mirabilis (merveilleuse année).
Peut-on en dire de même du gouvernement, de ses réalisations? En tenant pour dit que la Constitution du Royaume accorde à l’exécutif des marges de manœuvre appréciables en termes de production d’idées, de propositions et de latitudes pour élaborer les stratégies et les plans d’action et régler les problèmes des citoyens, c’est à la réponse à cette question que je souhaite consacrer le reste de cette chronique.
Depuis plusieurs mois, le gouvernement ne fait que confirmer le sentiment qui est en train de muer en conviction chez nombre d’observateurs, à savoir son incapacité à se doter d’une gouvernance apte à décliner convenablement, en contenu et en temps, les projets royaux, et à proposer des voies nouvelles pour le développement du pays. L’image d’une équipe ne sachant pas comment s’en sortir des difficultés, bien réelles, personne n’en disconvient, s’installe dans l’opinion publique.
Comment un gouvernement disposant d’une majorité confortable, composée de partis aux convictions proches, dirigé par un Chef de gouvernement, pouvant se prévaloir d’expériences dans le public et le privé et jouissant de la confiance en haut lieu, n’a-t-il pu atteindre des résultats convaincants? Deux explications principales peuvent être avancées: la première a trait à la forme de gouvernance pratiquée par le Chef du gouvernement, et la deuxième à une évaluation erronée des capacités de nuisance des forces sociales présentes dans la société.
On peut affirmer, sans risque de se tromper, que l’actuel Chef de gouvernement a réussi à cumuler le plus de pouvoirs parmi les chefs de gouvernements qui se sont succédé au Maroc depuis le gouvernement Filali, pour ne pas remonter plus loin. Il pratique la verticalité pratiquement sur tous les départements dont il a la charge, c’est-à-dire en dehors des ministères de souveraineté. En plus d’interpeller les ministres sur leurs attributions, ce qui pourrait être acceptable, il en change quelques-unes. Changement de tutelle de l’AMDIE, confier le programme Forsa au ministère du Tourisme… En dehors du gouvernement, son parti et ses alliés ont la haute main sur pratiquement tout ce qui compte en instances élues locales, provinciales et régionales dans le pays. Ajoutons à cela de solides amitiés nouées avec plusieurs dirigeants de partis politiques, syndicats ouvriers et professionnels.
Doit-on s’en offusquer? La ligne suivie par votre serviteur depuis le début de ses contributions privilégie ce qui peut être bénéfique d’abord au Maroc. Aussi, la verticalité pratiquée par le Chef du gouvernement comme mode de gouvernance doit être interrogée sur son efficacité et ses résultats. Et, côté résultats, reconnaissons que c’est un peu court. Au niveau national, jaugés en termes de croissance économique, de lutte contre le chômage, de lutte contre la cherté de la vie, de préservation des équilibres macro-économiques, de rythme de réalisation des réformes et dans les instances élues décentralisées où le retard est aussi inquiétant, seulement 23% du budget d’investissement annuel est engagé selon les dernières données.
Arrêtons-nous sur le rythme des réformes et la capacité du gouvernement à les réaliser. «Normalement», un Chef de gouvernement doté d’une feuille de route, avec ces pouvoirs et cette majorité, ne devrait pas rencontrer de difficultés à imposer le tempo. Or, on ne peut que constater les hésitations du gouvernement devant nombre de chantiers, au lieu de la fermeté requise pour avancer: Code de la famille, élargissement de l’assiette fiscale, négociation avec les enseignants, réforme de l’administration… Est-ce par souci de ne pas faire de vagues, par une crainte disproportionnée de la capacité de nuisance de certaines catégories sociales, comme cela a été le cas face aux avocats, aux médecins du privé et dernièrement aux enseignants? Ce manque de fermeté encourage les égoïsmes et retarde les réformes.
Ce qui se profile à l’horizon 2024 n’est guère reluisant dans le domaine social. Allons-nous nous permettre de dépenser sans compter, au risque de déséquilibrer les finances publiques, accepter que la rue soit l’endroit où on commence les négociations? Un surcroît de fermeté est requis de la part du gouvernement, sans exclure la négociation avec les partenaires ayant le souci de l’intérêt général.
Le chemin de la réforme n’est pas un long fleuve tranquille. Plusieurs d’entre nous se sont réjouis que le Maroc puisse disposer ces dernières années d’une vision claire, d’une feuille de route et d’un gouvernement cohérent, disposant d’une majorité confortable pour l’appliquer. Reconnaissant que nous rencontrons des difficultés. Que l’on me permette d’en rappeler quelques-unes. La verticalité pratiquée par le Chef du gouvernement, en sus de ne pas être appréciée par les partis de la majorité, a démontré son inefficacité. Un nouveau pacte de majorité s’impose, avec un changement de gouvernance basé sur la possibilité donnée aux compétences multiples d’exprimer leurs talents. Par ailleurs, ce qui fait la force d’un gouvernement politique est sa capacité à engager des relations équilibrées avec les forces de la société pour les convaincre d’adhérer à la dynamique des réformes et, en cas d’oppositions, ne pas hésiter à aller de l’avant quitte à…déplaire. Un gouvernement politique ayant le souci de faire avancer la société ne doit pas avoir dans le viseur uniquement les échéances électorales et la phobie de les perdre, car cela tétanise l’action efficace.
Le Maroc ne manque pas d’idées, de vision. Ce qui lui manque est une action gouvernementale capable de les traduire en stratégies et plans d’action. Les objectifs sont atteignables, il suffit que le gouvernement se mette au travail autrement.