Sahara. Une suite logique et non un target: de quoi le passage de la Minurso à la Mansaso sera le nom

A gauche, Mohammed Loulichki, ancien ambassadeur du Maroc auprès de l'ONU. Au centre, des éléments de la Minurso.(W. Belfkih/Le360).

A gauche, Mohammed Loulichki, ancien ambassadeur du Maroc auprès de l'ONU. Au centre, des éléments de la Minurso. (W. Belfkih/Le360).

À l’approche du 50ème anniversaire du conflit du Sahara, une thèse audacieuse gagne du terrain: transformer la Minurso en une nouvelle mission onusienne, la Mansaso, chargée non pas d’un impossible référendum, mais d’accompagner le plan d’autonomie sous souveraineté marocaine. Mais vu de Rabat, ce changement est à considérer comme une conséquence, et non une fin en soi, dans le cadre de la perspective plus large de la prochaine résolution du Conseil de Sécurité, attendue en octobre. Le véritable tournant sera la consécration du plan marocain comme base exclusive des négociations. Le reste suivra. Décryptage.

Le 29/08/2025 à 07h54

C’est une thèse audacieuse et solidement étayée que porte Mohammed Loulichki, figure chevronnée de la diplomatie marocaine. Ancien ambassadeur du Royaume auprès des Nations unies à Genève (2006-2008) et à New York (2001-2003 et 2008-2014), mais aussi ex-ambassadeur-coordonnateur du gouvernement auprès de la Minurso (1999-2001), il s’exprime aujourd’hui en qualité de Senior fellow au Policy Center for the New South (PCNS), fort d’une expertise reconnue en diplomatie et en résolution des conflits.

Dans un policy paper de référence publié en avril 2025 et sobrement intitulé «Cap sur l’autonomie pour le Sahara, une dynamique en marche», Loulichki n’hésite pas à jeter un pavé dans la mare. Son analyse débouche sur une proposition de rupture: transformer non seulement les attributions, mais aussi l’appellation même de la Minurso (Mission des Nations Unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental). Celle-ci, selon lui, est appelée à devenir dès octobre prochain la Mission d’assistance pour la négociation d’un statut d’autonomie au Sahara occidental (Mansaso). Une telle mutation s’inscrirait dans le sillage d’une nouvelle résolution du Conseil de sécurité sur le Sahara, qui introduit une inflexion majeure: «L’autonomie constitue à la fois le point de départ et l’aboutissement du nouveau processus de négociation». Ce glissement paradigmatique confirmera l’approche de Rabat en consacrant l’autonomie comme unique horizon de règlement.

À mesure que la date de la résolution approche, l’idée a pris de l’ampleur, jusqu’à devenir une véritable lame de fond. Les commentaires se multiplient, les soutiens se renforcent, et la proposition s’impose désormais comme l’une des mesures phares du texte attendu. La presse internationale s’en fait l’écho, preuve que le basculement dépasse le cercle diplomatique. «Cette année, et pour la première fois depuis trente ans, les grandes puissances veulent modifier le mandat onusien lui-même et remplacer la Minurso par la Mansaso, une mission chargée non plus d’organiser un vote, mais d’accompagner l’autonomie sous souveraineté marocaine», souligne notamment le quotidien français Le Figaro.

Le fond prime sur l’instrument

Derrière ce tournant se dessine une rupture historique. Alors que le conflit marque son cinquantième anniversaire, l’ONU s’apprêterait à solder trois décennies d’impasse référendaire. Pour la première fois, le Conseil de sécurité ne mettrait plus en balance deux options contradictoires, mais consacrerait l’autonomie comme unique solution politique, validant ainsi le choix stratégique porté de longue date par le Maroc.

Vu de Rabat, l’effervescence suscitée par ce possible changement de statut appelle nuance et mise en perspective. Le Royaume se garde d’un triomphalisme prématuré et préfère replacer la séquence dans son ordre logique. Comme le souligne une source diplomatique, «il ne faut pas se tromper d’objectif. L’enjeu premier et principal, c’est la résolution et la solution à laquelle elle devrait aboutir. Ce qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est la perspective globale, la Mission qu’elle soit dissoute, réduite ou renommée serait la conséquence naturelle d’un changement de fond».

Autrement dit, la révision de l’organisation et des attributions de la mission onusienne au Sahara ne constitue pas une fin en soi. Elle ne serait que le corollaire d’une décision politique plus large, l’orientation que le Conseil de sécurité choisira d’imprimer au processus. C’est donc le fond qui prime sur l’instrument. Ce que Rabat attend, ou du moins espère, c’est un véritable basculement, soit l’officialisation du plan d’autonomie marocain comme unique socle des futures négociations.

Cette orientation trouve un appui décisif dans un facteur clé. Le penholder des résolutions du Conseil de sécurité sur le Sahara n’est autre que Washington. Et les États-Unis n’ont de cesse de réaffirmer un soutien ferme et irréversible à la souveraineté du Maroc sur son Sahara ainsi qu’au plan d’autonomie. La séquence diplomatique récente en témoigne avec force.

Au tout début du mois d’août, dans un message adressé au roi Mohammed VI à l’occasion de la Fête du Trône, le président Donald Trump a rappelé sans ambiguïté la reconnaissance américaine de la souveraineté du Maroc et a qualifié l’initiative d’autonomie de «seule base pour un règlement juste et durable de ce différend». Quelques semaines plus tôt, le 8 avril 2025 à Washington, le secrétaire d’État Marco Rubio avait tenu le même cap lors de sa rencontre avec Nasser Bourita, affirmant que «les États-Unis contribueraient à tout progrès en vue d’atteindre cet objectif».

Dans ce contexte, la résolution attendue en octobre apparaît comme l’aboutissement logique de cette ligne stratégique. Quant à la récente tournée régionale de l’émissaire américain Massad Boulos, avec une escale remarquée et prolongée à Alger, elle a valeur de signal. Le changement de paradigme n’est plus hypothétique, il est en préparation.

«Le Maroc, de son côté, œuvre pour que la résolution du 7 octobre prochain constitue un véritable point de rupture, mais sur le fond», analyse une source diplomatique. Car si les résolutions récentes du Conseil de sécurité mettent déjà en avant la solution marocaine, elles restent marquées par une certaine prudence, mêlant formulations nouvelles et références héritées d’un passé révolu. «Il faudra procéder à un véritable nettoyage conceptuel, poursuit la même source. Une fois ce travail effectué, la question de la Minurso se posera d’elle-même».

Coupes budgétaires

Or, cette remise en question de la mission onusienne se situe à la croisée de plusieurs paramètres. Le premier, déterminant, tient à la doctrine de l’administration républicaine américaine, foncièrement hostile aux opérations de maintien de la paix qu’elle considère comme inefficaces et coûteuses. En avril dernier, le Bureau de la gestion et du budget (OMB) de la Maison Blanche a même proposé la suppression pure et simple du financement américain aux missions onusiennes, dénonçant les «échecs» des Casques bleus au Liban, au Mali ou encore en République démocratique du Congo, selon une dépêche de l’agence Reuters.

Deuxième paramètre, l’aspect financier, véritable talon d’Achille des missions onusiennes. Aux yeux de Washington, leur coût est devenu exorbitant. Les États-Unis, premiers contributeurs de l’ONU, assurent à eux seuls 22 % du budget régulier de base (3,7 milliards de dollars) et 27 % du budget des opérations de maintien de la paix (5,6 milliards de dollars). Mais l’administration Trump a établi une ligne claire. Soit mettre un terme au financement de ces missions, soit les réévaluer une à une avant de débloquer le moindre dollar. Tous les secteurs onusiens sont concernés par cette approche restrictive.

La Minurso, sous pression, n’échappe pas à cette logique. Ses bureaux de Laâyoune ont déjà anticipé en suspendant tout recrutement de personnel local, conformément aux directives transmises par le siège new-yorkais, apprend Le360. Plus largement, le secrétaire général de l’ONU a convoqué des réunions de crise pour tenter de sauver le programme général de l’organisation. Le constat, brutal, s’impose: sans argent, pas d’action.

Comme le rappelle un observateur averti, «l’entourage immédiat de Donald Trump a, à plusieurs reprises, annoncé son intention de réduire drastiquement les budgets alloués à l’ONU, surtout après l’adoption de résolutions jugées contraires aux intérêts américains. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre le retrait des États-Unis de l’OMS et de l’UNESCO». Les missions de maintien de la paix pourraient bien être les prochaines sur la liste.

Le troisième paramètre est spécifiquement lié à la question du Sahara. Pour les États-Unis, la Minurso a trop duré et a montré ses limites. Au lieu de favoriser une solution, elle a entretenu le statu quo. Comme le résume notre source, «s’il y a changement de paradigme dans le sens d’une résolution consacrant uniquement le plan d’autonomie et adoptée par le Conseil de sécurité, il est normal que tous les instruments des Nations unies soient reparamétrés ou supprimés purement et simplement».

La couleur est d’ores et déjà annoncée. Dans son dernier rapport annuel sur la situation au Sahara occidental, le secrétaire général de l’ONU relève qu’en 2025, le Haut-Commissariat pour les réfugiés, le Fonds des Nations unies pour l’enfance, le Programme alimentaire mondial, l’OMS et plusieurs ONG ont réduit leur aide aux camps de Tindouf en Algérie, conséquence directe des coupes budgétaires décidées par les donateurs.

Le momentum diplomatique est indéniable. Le vote de la nouvelle résolution coïncide avec le 50ème anniversaire de l’éclatement du conflit. Mais pour notre observateur, la date symbolique importe peu. «Ce n’est pas l’anniversaire qui fixe l’objectif ou l’urgence. Ce qu’il faut regarder, c’est le contexte complètement nouveau, largement favorable, et qu’il faudra exploiter à fond. Mais nous ne sommes pas les seuls à agir. En face, l’adversaire– nommons l’Algérie– se mobilise. Il est prêt à tout pour le Sahara».

Avec le soutien international massif au plan d’autonomie, le moment est historique: jamais le dossier du Sahara n’a été aussi proche d’un règlement définitif. Mais cette fenêtre s’accompagne de contraintes et de résistances. Même si la vigilance reste impérative, notre source souligne une opportunité réelle pour faire évoluer au mois d’octobre la teneur de la résolution du Conseil de Sécurité. Et de s’exclamer: «Si on le fait pas aujourd’hui, on le fera quand!»

Par Tarik Qattab
Le 29/08/2025 à 07h54