Rififi chez LFI, dans les sables mouvants du Sahara

Mouna Hachim.

ChroniqueLa reconnaissance par la France de la souveraineté marocaine sur le Sahara a mis La France Insoumise face à ses propres contradictions. Les contorsions s’accélèrent, les tweets s’enchaînent, les masques tombent.

Le 12/07/2025 à 11h00

Feuilleton en trois actes.

Acte I: Le grand écart

Le député insoumis Sébastien Delogu effectue une visite controversée en Algérie, sur fond de tensions persistantes entre Alger et Paris. Le 30 juin, sur le plateau de la télévision publique Canal Algérie, il passe sous silence l’emprisonnement de l’écrivain Boualem Sansal et du journaliste Christophe Gleizes, mais se montre volubile avec un alignement docile sur la doxa algérienne concernant le Sahara.

Acte II: Rectificatif en studio

Quatre jours plus tard, changement de ton et de décor. Aurélie Trouvé, autre voix de La France insoumise, tente de recoller les morceaux sur France Info.

Pressée par la journaliste sur la question du Sahara, elle assure que la position de LFI reste conforme à celle de Jean-Luc Mélenchon.

Le même Mélenchon qui, en visite au Maroc en octobre 2023, avait appelé la France à considérer les «propositions intéressantes» formulées par Rabat, soulignant que «la prise de position des États-Unis d’Amérique, d’Israël et de l’Espagne a modifié le regard que le monde porte sur cette question», avant d’exprimer un soutien explicite à l’intégrité territoriale du Royaume, dans une formule devenue virale: «Aimer le Maroc, c’est s’inscrire dans la continuité de la Marche Verte.»

Il n’en fallait pas plus pour qu’Infos Minutes relaie l’extrait de l’interview sur X, assorti d’un commentaire lapidaire: «(…) le parti de Jean-Luc Mélenchon soutient le plan d’autonomie du Maroc sur le Sahara Occidental.»

Acte III: La posture du funambule

Le jour même, le tribun en chef insoumis surgit, tweet au poing. Jean-Luc Mélenchon fustige le traitement médiatique, récuse les interprétations, tacle la journaliste.

Pourtant, une mère n’y reconnaîtrait pas ses petits.

«La journaliste de France Info ce matin et les divers appointés des réseaux veulent faire de la question du Sahara une cause de division populaire et obliger les diverses communautés françaises à s’aligner pour mieux les opposer. J’interdis à des journalistes de parler en mon nom. La position du mouvement insoumis et la mienne est la suivante depuis TOUJOURS: celle de l’ONU, ni plus, ni moins. Pas d’ingérence de la France! Point final.»

«La posture de LFI sur ce dossier ne relève pas seulement d’un logiciel idéologique périmé. Elle répond aussi à une stratégie de racolage électoral à peine dissimulée»

Point final ? Plutôt point d’interrogation.

Que signifie cette modulation du discours au gré des circonstances, des interlocuteurs et des latitudes? Qu’est cette prétendue «neutralité», sinon l’art de ne fâcher personne, voire de ne jamais prendre clairement position?

Derrière l’invocation incantatoire à la neutralité onusienne, n’est-ce pas là l’une des plus vieilles ficelles de la rhétorique: la neutralité comme paravent de l’esquive.

En vérité, ce funambulisme diplomatique, avec ses pirouettes et volte-face, ne clarifie rien mais révèle tout.

Alors que la France a reconnu la souveraineté marocaine sur le Sahara, invoquer la «non-ingérence» n’a plus rien d’une neutralité: c’est un déni masqué.

Rien d’étonnant. La posture de LFI sur ce dossier ne relève pas seulement d’un logiciel idéologique périmé. Elle répond aussi à une stratégie de racolage électoral à peine dissimulée. Il s’agit de séduire simultanément les diverses composantes de l’électorat franco-maghrébin. De jongler avec les symboles, les causes et les récits. De flatter certains segments de l’électorat franco-algérien, quitte à instrumentaliser le dossier du Sahara au service d’un agenda strictement hexagonal.

Sauf que la stratégie patine.

À force de vouloir plaire à tous, on finit par ne convaincre personne.

Cette pseudo-neutralité est inacceptable pour les Marocains, qui y voient —à juste titre— une hypocrisie diplomatique: un refus poli drapé dans une prudence onusienne.

Inacceptable aussi pour les Algériens, qui feignent de ne pas être concernés, tout en finançant, armant et encadrant depuis plus d’un demi-siècle un mouvement séparatiste sous leur houlette.

Il faut dire que le cafouillage manifeste fait office d’épilogue à une série d’aveuglements stratégiques.

Le soutien tardif à Boualem Sansal —après avoir pourtant rejeté, au Parlement européen, une résolution appelant à sa libération— sonne comme un rattrapage maladroit. Un geste qui a suscité les foudres d’une partie de l’électorat franco-algérien et déclenché une vague de critiques en Algérie même, y compris chez des militants jusque-là bienveillants.

Pour couronner le tout, la réprimande adressée à Sébastien Delogu n’a servi qu’à sauver les apparences: un pansement posé sur une jambe de bois, pour masquer des dissonances internes devenues trop voyantes.

Ces gestes correctifs ne font qu’accentuer une fracture mal contenue: celle qui oppose le discours affiché à ses contradictions, ses non-dits et ses faux-fuyants.

Or, puisque l’ONU est si souvent invoquée dans les discours, encore faut-il écouter ce qu’elle dit.

Le Maroc prend acte sans équivoque de chaque résolution votée au Conseil de sécurité: il y participe, en assume les exigences et en respecte les termes. Il demande par ailleurs que l’Algérie soit désignée comme partie prenante, au nom de la rigueur juridique et de la cohérence.

Contrairement à ce qu’affirme Sébastien Delogu, l’ONU ne cherche pas à ressusciter l’option référendaire, devenue juridiquement caduque et concrètement inapplicable.

Depuis 2007, toutes les résolutions du Conseil de sécurité convergent vers une solution politique, pragmatique, réaliste et durable – autrement dit, en phase avec le plan marocain d’autonomie.

La résolution 2654, adoptée en octobre 2022, l’a clairement réaffirmé. En 2024, dans un contexte marqué par l’accélération des reconnaissances internationales de la souveraineté du Royaume, la résolution 2756 entérine une approche fondée sur le réalisme et le respect du compromis, en cohérence avec la proposition marocaine de 2007, désormais point de référence.

L’Algérie, alors membre non permanent du Conseil de sécurité, échoue à faire adopter ses amendements au projet de résolution final. Elle peine à rallier des soutiens, puis, dépitée par la teneur d’un texte qui pulvérise son discours de façade, se retire du vote après deux longues interventions virulentes devant le Conseil.

Un paradoxe révélateur pour qui se dit simple observateur.

Qui, sinon l’Algérie, tente d’entraver le processus onusien en contestant les résolutions du Conseil de sécurité, en s’abstenant lors des votes clés, et en refusant de reconnaître son propre rôle de partie prenante au conflit?

Qui boycotte les tables rondes, s’acharne à brandir l’illusion obsolète d’un référendum, cherche à dénaturer le mandat de la MINURSO?

Qui impose sur le terrain, par l’intermédiaire de son rejeton polisarien, un confinement des ONG et des observateurs onusiens, tout en restreignant l’accès aux camps où se multiplient les violations du droit international et les atteintes aux droits des réfugiés?

Derrière ces manœuvres d’obstruction, c’est aussi une certaine vision du Maghreb qui vacille.

Pour certains, il reste figé dans un théâtre idéologique saturé de dogmes hérités d’un autre siècle.

Pendant que le Maroc avance à découvert, propose, dialogue, construit, d’autres s’accrochent à la stérilité du statu quo.

Une manière de figer l’Histoire pour ne pas avoir à la rejoindre.

Mais l’Histoire avance.

Dans les sables mouvants, ceux qui refusent d’avancer finissent par s’enfoncer.

Par Mouna Hachim
Le 12/07/2025 à 11h00