Rapport de HRW sur les techniques de répression au Maroc: quand les faits cèdent à la dystopie

Une pancarte de l'ONG Human Rights Watch. Photographie d'illustration.

Une pancarte de l'ONG Human Rights Watch. Photographie d'illustration. . DR

«"D’une manière ou d’une autre, ils t’auront": Manuel des techniques de répression au Maroc»: tel est l’intitulé du dernier rapport de Human Rights Watch, publié ce jeudi 28 juillet 2022. La forme y est soignée, la construction plaisante, mais le fond manque affreusement de rigueur et des séquences narratives se veulent preuves irréfutables.

Le 28/07/2022 à 12h00

Un rapport digne des meilleurs best-sellers de Mark Manson, quand il ne va pas chercher du côté de Dan Brown ou de José Rodrigues dos Santos... Une lecture facile, plaisante, et un récit, bien qu’à rebondissements, bien tenu avec fil conducteur en béton armé. Le lecteur novice est en droit de se sentir plus intelligent et mieux informé sur l’état du Maroc au sortir des 143 pages de ce document qui se lit avec facilité. De plus, le timing de sa sortie est parfait: nous sommes à la veille de la Fête du Trône, LA fête nationale, que le Maroc tout entier célèbre le 30 juillet. D'ailleurs, pour cette ONG de défense des droits humains qu'est Human Rights Watch (HRW), c’est devenu une véritable tradition que de publier des rapports sur le Maroc en pareilles occasions.

Dans le fond, c'est une lecture qui ressemble à s'y méprendre à un roman à lire en été, et donc dont la principale caractéristique doit être la légèreté. Et c’est bien cette légèreté qui caractérise le dernier rapport de HRW sur le Maroc, «"D’une manière ou d’une autre, ils t’auront": Manuel des techniques de répression au Maroc», publié ce jeudi 28 juillet 2022. Accordons-nous aussi sur le fait que ce titre est, techniquement, des plus réussis.

D’après ses initiateurs, le document est une compilation de la «série de techniques qui, lorsqu'elles sont employées en combinaison, forment un écosystème de répression visant non seulement à museler les voix critiques, mais aussi à effrayer tous les détracteurs potentiels de l’Etat». Tous les ingrédients du polar à succès y sont réunis: procès inéquitables, accusations criminelles sans rapport avec le travail ou les positions politiques des individus ciblés, campagnes de harcèlement et de diffamation dans des médias alignés sur l'Etat, ciblage de membres des familles des opposants, surveillance vidéo et numérique, intimidations physiques, agressions... Et une police qui regarde ailleurs... Plus que des faits, c’est à un univers que le document nous invite. Sauf que nous nous trouvons là à la limite de la dystopie, alors que ce rapport de l'ONG américaine se réclame d’un genre sérieux, crédible et reposant sur des faits, pour présenter la manière selon laquelle, selon eux, «les autorités marocaines ont développé́ et affiné tout un manuel de techniques pour museler les opposants».

La formule est toute trouvée. En tout, il y a là huit personnages, toujours les mêmes d'ailleurs (Hicham Mansouri, Fouad Abdelmoumni, Hajar Raïssouni, Maâti Monjib, Mohamed Ziane, Taoufik Bouachrine, Soulaiman Raissouni et Omar Radi). Et les voici présentés comme étant non seulement des citoyens modèles, des journalistes honnêtes, de fervents militants des droits de l’Homme mais aussi, et surtout, les victimes d’une machine de répression aux rouages insondables et à la puissance inégalable. Fait curieux: leur seule version des faits est prise à témoin, dans un document aux allures de Livre Sacré. En face, tout un système de grands méchants loups, secondés par des relais médiatiques à leur solde (dont Le360, mais on y reviendra), sont présentés. Il y a là tout pour plaire. Mais est-ce assez pour convaincre? Le doute est permis.

Plus sérieusement, s’il brille par sa narration, à fortes doses de témoignages et de dramaturgie, le rapport pèche par l'excès de crédit qu’il accorde au récit des acteurs (tiens!) qui s’estiment faire l’objet de violations des droits de l’Homme. Non seulement le document restitue leur narration telle quelle, mais leur accorde aussi le crédit d'être d’une «histoire vraie». Or, si même Descartes doute, que dire quand HRW «sait»?

Un extrait du rapport suffit à en déconstruire la teneur. On y lit la chose suivante: «le 14 juillet 2014, raconte Monjib, un inconnu qui marchait derrière lui dans une rue de Rabat l’a attrapé par l'épaule et lui a dit: "tu pues de la bouche, tu devrais la fermer." Le 22 septembre 2014, un autre inconnu l'a abordé dans une rue de Rabat et lui a dit: "si tu ne te tais pas, Daech va s'occuper de toi", avant de s'éloigner rapidement». Avouons que c’est très cinématographique, voire frappant. Dans le genre romanesque, ça fonctionne bien, mais dans l'exercice d'un «rapport» qui se veut de défense des droits humains, et qui donc devrait se tenir méticuleusement aux faits et vérifier les récits, tout s’écroule.

Quelles sont, en effet, les preuves de la véracité du récit de Monjib? Les auteurs du rapport ne les fournissent pas, ne les cherchent même pas. Résultat: le projet de dénoncer la situation des droits de l’Homme au Maroc devient celui de l’outrance, de l’excès et d’un manque de discernement, bien assumé mais cédant à la facilité de décrire une situation selon un seul point de vue, celui de personnes «amies», prétendument persécutées.

Vous en voulez encore? Il y a aussi, dans ce document, la mise en examen de Taoufik Bouachrine pour de multiples affaires de viols et agressions sexuelles, qui étaient en partie fondées sur plusieurs enregistrements vidéo, montrant ce patron de presse dans des situations sexuelles plus ou moins explicites avec plusieurs femmes, dans son propre bureau, à Casablanca.

La police a déclaré avoir trouvé deux caméras dans le bureau de Bouachrine et affirmé qu'il avait lui-même enregistré les vidéos. «Bouachrine a nié que les caméras lui appartenaient ou qu'il les avait installées. Il a affirmé que des inconnus avaient, à son insu, placé les caméras dans le faux plafond de son bureau. Des agents de la police les ont récupérées le jour de son arrestation», lit-on. Mais une phrase plus tard, c’est le même rapport qui affirme que Bouachrine ne les a pas vus le faire, «car, à ce moment-là, il était détenu dans un autre bureau, dans les locaux du journal». N’y a-t-il pas là une flagrante contradiction, au demeurant avouée, entre le récit et les «faits»?

Des recommandations «sur-mesure»Chemin faisant, en guise de recommandations, HRW, faute de changer le monde, veut changer le Maroc. Toutes ses institutions, forces vives et jusqu’aux médias «pro-Makhzen» en prennent d’ailleurs pour leur grade. HRW veut un exécutif, un Parlement et une justice «sur mesure». Sans apporter la moindre preuve de leur existence, l’ONG veut que les autorités mettent fin «à l'utilisation systématique d'une série de pratiques visant à museler et à intimider les dissidents, tout en déguisant le fait qu'il s'agit en fait de représailles pour leurs propos ou leurs activités d’opposants».

HRW veut également modifier l'article 191 du Code pénal, qui interdit «de porter atteinte à la sûreté extérieure de l'Etat en entretenant avec les agents d'une autorité étrangère des intelligences ayant pour objet ou ayant eu pour effet de nuire à la situation militaire ou diplomatique du Maroc».

HRW demande aussi au Parlement marocain de faire du Royaume une auberge espagnole où tout un chacun pourrait entrer et sortir à sa guise, voire espionner avec l’assurance de ne jamais être inquiété, et, pour couronner le tout, obtenir un sauf-conduit pour toutes les manœuvres visant à nuire à l’armée marocaine et à d’autres institutions du Royaume.

HRW demande d’abolir ou modifier l'article 206 du Code pénal, qui interdit «de porter atteinte à la sûreté intérieure de l'Etat en recevant une rémunération d'une entité étrangère pour une activité ou une propagande de nature à ébranler la fidélité que les citoyens doivent à l'Etat et aux institutions du peuple marocain». Si l’on suit la logique des auteurs de ce rapport, les mercenaires n’auront même plus besoin de cacher les sommes reçues pour «porter atteinte à la sûreté intérieure de l'Etat».

Prenons aussi la clause sur l’outrage à un agent de l'Etat dans l'exercice de ses fonctions (article 263 du Code pénal et article 72 du Code de la presse). «Les législateurs devraient soit abolir cette infraction, soit la redéfinir», demande HRW. En somme, l’ONG demande de réécrire le Code pénal et d’exposer les personnes dépositaires de l’autorité de l’Etat aux violences et outrages sans qu’elles ne soient protégées par la loi. Les exemples participant de cet esprit sont nombreux, et démontrent le caractère irréaliste et périlleux de la nature du régime que les auteurs de ce rapport souhaitent voir exercé dans notre pays.

Les tribunaux marocains, eux, sont «complices de ces abus en violant les droits à une procédure régulière des accusés pris dans ce réseau de répression et en les condamnant à l'issue de procès inéquitables», prétend HRW. Circulez donc, il n’y a rien à réformer et les recommandations de HRW sur ce volet se limitent à de simples slogans et à des propositions irréalistes. Et c’est en l’occurrence très léger.

Dans leur thèse, les auteurs du rapport, trahissant un métier un temps exercé, s’intéressent aussi, et largement, aux médias. Le360 est d’ailleurs abondamment cité et tout un chapitre lui est consacré, le qualifiant tantôt de «site pro-Makhzen », tantôt de «site de la diffamation». Qui avons-nous donc diffamé? Dans le rapport, HRW se garde bien de nous le dire et encore moins de fournir les preuves de cette qualification insultante envers des journalistes professionnels qui fournissent aux lecteurs des informations vérifiées et revêtant un intérêt général. Le seul exemple cité par les auteurs du rapport est: «l’une des cibles récurrentes du site Le360 est le prince Moulay Hicham, un cousin du roi Mohammed VI considéré comme un membre “rebelle“ de la famille royale en raison de ses critiques fréquentes de la gestion des affaires marocaines par le roi, et des appels du prince à une ouverture démocratique au Maroc et au-delà. Une recherche de l’expression “Moulay Hicham“ dans le moteur de recherche de Le360 révèle environ 130 articles sur le prince, qui le dépeignent tous sous un jour peu flatteur».

Moulay Hicham serait donc victime d'une diffamation ourdie par Le360. On appréciera au passage que l’auteur de cet extrait sur Moulay Hicham lui a tressé des lauriers pour louer son engagement pour «une ouverture démocratique au Maroc et au-delà». Qui donc dans l’équipe de HRW a bénéficié des largesses de Moulay Hicham? Qui est le panégyriste décomplexé du prince Moulay Hicham? Le directeur de la communication de HRW pour la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord), bien évidemment. Un certain Ahmed Reda Benchemsi, qui continue visiblement de servir avec dévouement et soumission l’agenda de son prince.

Ce ne sont pas les faits, détails et autres éléments qui manquent pour montrer que ce rapport de HRW manque affreusement de rigueur et de sérieux. Mais le fait est qu'au-delà des valeurs essentielles que l’ONG défend et que l’on ne peut que partager, celle-ci détient un grand pouvoir, celui de corriger des trajectoires et alerter sur des dépassements et des abus. Si seulement elle s’en montrait digne… Et responsable!

Par Tarik Qattab
Le 28/07/2022 à 12h00