Affaire Bouachrine: le «Me too» à géométrie variable de HRW

Taoufiq Bouachrine.

Taoufiq Bouachrine. . DR

Quand il s’agit de défendre les droits des femmes ailleurs dans le monde, l’ONG américaine Human rights watch est aux avant-postes. Mais pour le Maroc et l’Afrique en général, c’est là une autre histoire. Pour preuve, son dernier communiqué sur l’affaire Bouachrine, accusé de plusieurs viols.

Le 12/04/2019 à 17h05

Il est de ces ONG qui ne cesseront jamais de nous étonner. Non pas par leur détermination et engagement, mais par leur double discours, dépendamment des situations, des acteurs et des pays où ils se trouvent. Il en va ainsi de Human rights watch, l’ONG américaine de défense des droits humains.

Ailleurs dans le monde, cette association mobilise tous ses grands moyens pour défendre ardemment la cause des femmes et leurs droits. Mais quand il s’agit de l’Afrique, et tout particulièrement du Maroc, ce sont d’autres thèses qui sont brandies… Au nom des droits humains. Que penser, alors, du dernier communiqué de HRW, s’agissant de Taoufik Bouachrine? Il s’agit bien de ce tristement célèbre directeur du quotidien Akhbar Al Yaoum, condamné en novembre 2018 à 12 ans de prison ferme, entre autres pour viols et abus sexuels envers plusieurs victimes.

Alors que l’ONG fait sienne des combats comme «Me too», campagne lancée sous d’autres cieux pour dénoncer les abus et les harcèlements sexuels dans le milieu, notamment, du cinéma, ici, c’est le violeur qui est présenté comme une victime. A lui seul, le titre du communiqué vaut mille mots: «Maroc: un journaliste emprisonné en isolement abusif».

Dans ce communiqué, le coupable est présenté non comme le violeur en série qu’il est, mais comme un journaliste, le directeur «d’un des derniers journaux d’opposition du pays» et dont le procès a été «entaché de multiples violations de procédure». Par ce subtil jeu de manipulation par les mots, HRW donne ainsi le sentiment que Bouachrine a été poursuivi et condamné pour ses positions politiques ou pour d'autres opinions.

L'ONG feint d’oublier que ce n’est nullement le cas. Des années durant, dans son bureau, et vidéos à l’appui, Bouachrine a profité de la vulnérabilité de certaines de ses employées. Il est en prison pour cela. Ses collaboratrices, il leur forçait, au propre comme au figuré, la main pour s’adonner à ses fantasmes les plus libidineux.

HRW ne voit pas les choses de cette manière, pourtant claire. Pour l’ONG, depuis sa mise sous écrou à la prison de Ain El Borja à Casablanca en février 2018, «les autorités ne permettent pas à Bouachrine de rencontrer d’autres prisonniers ou d’interagir avec les gardiens, un traitement cruel et inhumain». «Le régime d’isolement draconien imposé à Taoufik Bouachrine est injustifié et doit être levé», déclare ainsi, en substance, d'un ton péremptoire, Sarah Leah Whitson, directrice Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.

Plus loin, ce même communiqué nous apprend que Bouachrine a droit à une visite familiale hebdomadaire, à des visites de ses avocats, à des appels téléphoniques, à deux heures de promenade, à une cellule individuelle (qu’il a lui-même choisie, en sachant qu’il aurait pu opter pour une cellule collective), à l'accès à un écran de télévision et à un poste de radio ainsi qu’à la presse quotidienne. Ce n'est pas tout: le violeur en série a aussi droit à des douches avec de l’eau chaude, et aux services postaux. Tous ces «privilèges» ne comptent cependant pas aux yeux de HRW. Bouachrine se sent «seul» et c’est «inadmissible». Que l'on nous permette cet écart de langage: c'est abusé…

Cette sortie de l'ONG se veut un moyen de faire pression sur la justice marocaine, le procès en appel de l’ancien patron de presse s'étant ouvert mardi dernier, 9 avril 2019, à Casablanca. Le procès en première instance de Taoufik Bouachrine s'est déroulé dans le respect de toutes les garanties de l'équité, comme ont pu le constater les observateurs présents. Et s’il a été condamné, c’est au regard des lourdes charges retenues contre lui. Reprenons les termes des principaux chefs d'accusation qui ont été retenus contre lui: «traite d’êtres humains, par l’exploitation d’une situation de vulnérabilité ou de besoin et le recours à l’abus d’autorité, de fonction ou de pouvoir à des fins d’exploitation sexuelle, ou le recours à d’autres formes de contrainte, commis à l’encontre de deux personnes en réunion, attentat à la pudeur avec violence et viol et tentative de viol».

Rappelons aussi que l’accusé a été également jugé pour des délits de harcèlement sexuel, du recrutement d’individus en vue de la prostitution dont une femme enceinte, de l’usage de moyens qui permettent de photographier, de filmer ou d'enregistrer ces actes, lesquels ont été commis sur 8 victimes et filmées à l’aide de séquences vidéo. Environ 50 films enregistrés sur CD et supports numériques ont été saisis lors de son arrestation.

Mais alors que beaucoup critiquent vertement la clémence de la peine à laquelle il a été condamné, Human Rights Watch préfère regarder ailleurs. Et à suivre ce raisonnement, on est bien tenté de croire que les crimes sexuels sont à géométrie variable. Fondamentalement injuste. Et surtout, oublieux de ce qui fonde les droits humains, justement. 

Par Youssef Bellarbi
Le 12/04/2019 à 17h05