Qu’ils ne viennent plus nous donner des leçons de démocratie

Fouad Laroui.

ChroniqueTout cela, les plus lucides d’entre nous le comprenaient; mais ce n’est que récemment que l’imposture a éclaté au grand jour.

Le 11/06/2025 à 11h00

Vous avez vu ce qui se passe ces jours-ci en Californie?

Analysons.

Il fut un temps où les choses étaient claires (en apparence…). Il y avait d’un côté les démocraties (en gros l’Europe, les États-Unis, le Canada et le Japon) et de l’autre, un conglomérat de dictatures, d’autocraties ridicules (ô Bokassa…), de régimes militaires (gaaaarde à vous!), de terrae nullius ou de fausses démocraties: tout ce qui n’était pas l’Occident, c’était ça.

Ce devisement du monde, comme dirait Marco Polo, autorisait des tas de freluquets du genre Robert Ménard et de harengères du genre Oriana Fallacci à venir nous faire la leçon –et sur quel ton!

– «Vous êtes nuls. Admirez-nous, nous autres Européens, et inclinez-vous bien bas: nous sommes des démocraties. Nous avons une Constitution…»

– «Euh…, nous aussi

– «…un Parlement…»

– «Nous aussi.»

– «…des élections…»

– «Idem chez nous

– «Ah ouais? Peu importe. Vous êtes nuls et c’est nous qu’on est les meilleurs. La démocratie, c’est chez nous et nulle part ailleurs.»

Et puis, on s’est aperçu que les choses n’étaient pas si simples. Déjà, en 1964, Mitterrand avait dénoncé dans son pamphlet Le Coup d’État permanent la dérive du régime gaullien: le président de la République française était, dans les faits, tout-puissant. Ayant marginalisé le gouvernement –de simples collaborateurs– et le Parlement –des godillots–, de Gaulle était un monarque absolu, disposant même du droit de grâce hérité des Capétiens. Où était la démocratie?

«Certes, nous avons encore du chemin à faire dans la construction de la démocratie et de l’État de droit. Mais ce chemin, nous pouvons le faire seuls, comme des grands. »

—  Fouad Laroui

Nos bons vieux marxistes-léninistes ne cessaient de nous le seriner: la démocratie, en Occident, n’était que formelle: elle masquait la domination de la classe possédante sur les classes laborieuses.

Tout cela, les plus lucides d’entre nous le comprenaient; mais ce n’est que récemment que l’imposture a éclaté au grand jour.

Dans l’affaire russo-ukrainienne, quelques chefs d’États européens ont immédiatement déclaré la guerre à la Russie (comment appeler autrement la livraison massive d’armes à Kiev et l’envoi d’instructeurs sur le champ de bataille?) –et cela sans consulter leur peuple et en l’empêchant d’avoir accès au récit de l’un des deux belligérants: Russia Today fut immédiatement interdite en Europe– et vive la liberté d’expression!

Quelques mois plus tard, dans l’affaire de Gaza, ces mêmes chefs d’États européens oublièrent leurs beaux discours ‘ukrainiens’ sur les droits de l’homme et la protection des civils. Admirez la palinodie: Poutine est un monstre, le Diable, Hitler réincarné; mais Ben Gvir et Smotrich, qui appellent tous les jours à l’expulsion, voire à l’annihilation des Palestiniens, ne sont que deux enfants turbulents qu’il convient de gronder un peu– mollement. Et qui dit le contraire, en Europe, risque la prison– ce n’est pas une blague: le secrétaire général de la CGT du Nord a écopé d’un an de prison pour cela. Et il n’est pas le seul à avoir été condamné, dans l’Europe des Lumières, pour avoir dit ce qu’il pensait– et vive la liberté d’expression! (bis)

Bravo, la démocratie. Frêle Ménard, feue Fallacci, qu’en dites-vous?

Et ça ne s’arrête pas là. De son propre aveu, Elon Musk a dépensé 300 millions de dollars de sa fortune personnelle pour faire élire Donald Trump l’an dernier. C’est ça, la démocratie? L’homme le plus riche du monde peut tout simplement acheter la présidence des États-Unis et l’offrir à son ami– ou ex-ami, entretemps. Et on nous regarde de haut parce que, chez nous, le maquignon Bouderbala a acheté la présidence de la commune de Oulad F’lane?

En France, la puissante presse du milliardaire Bolloré est en ordre de marche pour faire élire qui elle veut Président de la République en 2027. Bolloré prétend acheter la France et on vient nous emmieller parce que Bouazza veut s’offrir T’nine Ch’touka?

Et voici le pompon. Notre ami Trump vient de déployer la Garde nationale et les marines en Californie, sans même demander l’avis du gouverneur, et alors qu’il n’y a ni rébellion, ni invasion dans cet État, le plus peuplé et le plus riche des States. Il viole donc la Constitution. Va-t-il être destitué pour abus de pouvoir? Absolument pas.

Bref, qu’on ne vienne pas nous chanter pouilles de contrées qui sont loin d’être irréprochables. Certes, nous avons encore du chemin à faire dans la construction de la démocratie et de l’État de droit– mais ce chemin, nous pouvons le faire seuls, comme des grands, sans qu’aboient à nos mollets des roquets discrédités par Kiev/Moscou, Gaza et, aujourd’hui, Los Angeles.

Par Fouad Laroui
Le 11/06/2025 à 11h00