Le lundi 25 mars marque un grand tournant dans la courte carrière politique de Fatiha El Moudni, désormais la nouvelle maire de la capitale. Dans les locaux du Conseil de la ville de Rabat, à quelques heures du début du vote qui devait la porter à sa présidence, elle ne s’affairait pas en coulisse pour tenter de convaincre les indécis parmi les élus ou pour barrer la route à un rival. De rival, il n’y en avait simplement pas.
Candidate unique, Fatiha El Moudni était installée dans la salle, posture droite et regard sérieux, comme une jeune diplômée qui s’apprêterait à passer devant le jury d’un entretien d’embauche. Sauf que le jury du jour était déjà acquis à sa cause, faisant de l’épreuve une simple formalité.
Merci qui? Le soutien inconditionnel de Aziz Akhannouch himself, chef de gouvernement, patron du RNI et, accessoirement, ami de longue date de Ali El Moudni, père de la «candidate». Au fil des tractations avec les chefs de la majorité RNI-PAM-Istiqlal qui contrôle le Conseil communal rbati, il avait déjà verrouillé les résultats d’un scrutin pour la forme. Avec, à la sortie, un score de 66 voix sur les 81 que compte le conseil, et, cerise sur le gâteau, les élus locaux de l’USFP qui rejoignent la majorité, en remplacement de ceux du Mouvement populaire (MP), passés dans l’opposition.
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On a connu vote moins confortable que celui de la nouvelle maire de Rabat, pourtant une quasi-inconnue de la scène politique. Mais qui est donc Fatiha El Moudni?
La «Tafraout connection»
Pour en savoir plus sur son parcours, il faut remonter aux origines de la nouvelle maire et de sa famille. Ali, le père, est né à Agharrabou, petit douar de la commune rurale Aït Wafka, dans la province de Tiznit, célèbre pour son souk hebdomadaire qui s’y tient les jeudis. Tafraout, fief des Akhannouch, n’est pas très loin et, depuis des générations, des liens d’amitié unissent les deux familles.
Autodidacte, Ali El Moudni quitte son douar pour poser ses valises à Khouribga, où il s’installe comme commerçant, vendant tout ce qui peut l’être, avec une prédilection pour la peinture de bâtiment. Il ne coupe pas pour autant les ponts avec son douar d’origine, dont il devient même l’un des mécènes attitrés, dépensant sans compter au bénéfice notamment des écoles coraniques et de leurs pensionnaires. Le tout dans une discrétion exemplaire, comme le veut la tradition des authentiques «mouhssinine» marocains.
Après Khouribga, Lhaj Ali met le cap sur Rabat, où ses affaires prospèrent, encore et toujours dans le négoce. La suite relève presque du long fleuve tranquille: l’homme fonde une famille, qui comptera quatre enfants, deux filles et deux garçons, Fatiha étant la troisième de la fratrie.
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Contrairement à ses frères et sœurs, qui ont fini par créer leurs propres entreprises, elle choisit d’épauler son père dans la gestion du groupe familial General Trade and Distribution (Gestradis), créé en 1988, alors que Fatiha n’a que 7 ans.
À Souissi, une vie sans soucis
C’est au quartier chic de Souissi que Fatiha El Moudni passe son enfance et sa jeunesse. Après un baccalauréat obtenu au lycée Dar Essalam, elle poursuit ses études supérieures à l’Institut international des hautes études au Maroc (IIHEM), avant de s’envoler pour l’Angleterre, où elle entame un cursus en finances et commerce international. Pour la jeune femme, c’est le début d’un long périple professionnel à l’étranger, entamé à la fin de ses études par un poste de directrice marketing au cabinet londonien Steel Business Briefing. Véritable globetrotteuse, elle enchaînera avec des expatriations dans différents pays du monde, dont la Turquie, l’Irlande, les Émirats arabes unis, les États-Unis et la Corée.
Pour autant, Fatiha El Moudni n’a jamais rompu les liens avec le groupe familial, dont elle prend finalement les rênes une fois de retour au bercail, en 2010. Rien ne la destine alors à une éventuelle carrière en politique, bien qu’elle s’active sur le terrain associatif et caritatif. Inconnue au bataillon des femmes et hommes politiques, elle franchit pourtant sans mal les portes du Conseil communal de Rabat, lors des municipales de 2015.
«Même en tant qu’actrice associative, on n’avait jamais entendu parler d’elle avant ces élections», commente un ancien élu local de la capitale. «C’est peut-être dû à sa nature de femme discrète et réservée qui n’apprécie pas spécialement les feux de la rampe», explique une de ses connaissances. On veut bien le croire: depuis son arrivée au Conseil de la ville, elle n’a pris que rarement la parole en public, et fuit les médias et les journalistes comme la peste.
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«Elle n’a souvent rien à dire et son entourage lui a conseillé d’être vigilante avec les journalistes, dont elle a tendance à se méfier», affirme une autre source de l’intérieur dudit conseil. D’ailleurs, le jour de son élection à la présidence, elle refuse de donner la moindre déclaration en one-on-one aux médias, se limitant à une déclaration de circonstance, pour le moins formatée, face à une forêt de micros. Voilà qui est inusité chez un élu du Rassemblement national des indépendants…
Transfuge du PAM
En réalité, c’est au Parti authenticité et modernité (PAM) que la nouvelle maire de Rabat doit ses premiers pas dans l’arène politique. En 2015, le parti du Tracteur est à la recherche de profils capables de capter des sièges aux municipales. De préférence des notables ambitieux, dont les capacités financières sont aptes à supporter une solide campagne électorale.
Fatiha El Moudni est approchée par Adil El Atrassi, véritable ovni de la scène politique rbatie, qui lui propose de partager la tête de liste du PAM dans l’arrondissement Souissi. La liste recueille 1.575 voix et obtient 9 sièges au conseil dudit arrondissement. Un score suffisant pour que Fatiha El Moudni fasse son entrée au Conseil communal de la capitale, présidé pour cinq ans par le PJDiste Mohamed Sadiki.
Le 8 septembre 2021, Adil El Atrassi et Fatiha El Moudni tentent à nouveau leur chance, toujours dans la circonscription de Souissi. Bis repetita, à un détail près: le duo se présente cette fois-ci sous les couleurs du RNI, avec la bénédiction de Aziz Akhannouch. La liste recueille à peine 1.998 voix, mais arrache 8 sièges, dont 4 reviennent aux membres de la famille El Atrassi (Adil, Chaïbia, Jalal et Sidi Mohammed).
La majorité au Conseil de la ville est désormais conduite par le RNI, et sa présidence échoit logiquement à sa candidate, Asmaa Rhlalou. Ayant conservé son siège, Fatiha El Moudni est quant à elle désignée secrétaire du conseil après les élections du bureau. Un poste peu exposé, mais stratégique, qui permet à sa titulaire d’être au fait de tous les grands projets et autres chantiers portés par la commune de la capitale.
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Si on la dit très proche de la maire sortante, Fatiha El Moudni a su rester, comme à son habitude, particulièrement discrète durant les remous qu’a connus des mois durant le Conseil de la ville. Observant une étrange réserve dans le bras de fer opposant les élus et la présidente, elle mit un point d’honneur à éviter toute prise de parole publique lors de cet épisode.
«Elle a été échaudée, pour ne pas dire effrayée, par la virulence des débats entre les divers protagonistes du conseil, les joutes politiques et les coups bas en coulisse. C’est très habile de la part de quelqu’un qui a choisi de faire son apprentissage politique dans une violente arène comme le Conseil de la ville de Rabat», affirme un ancien élu de la capitale.
Un combat perdu d’avance?
Plutôt que de la handicaper, son apparente neutralité pourrait bien avantager la nouvelle maire dans une mission qui s’annonce titanesque. À en croire les déclarations de plusieurs élus, les forces en présence voient d’un bon œil sa nomination à la tête du conseil, la voyant comme le signe d’un nouveau départ. «Tous les protagonistes sont décidés à dépasser les crises à répétition qui ont émaillé le mandat d’Asmaa Rhlalou, mais à condition que la nouvelle maire y mette du sien», assure un membre du Conseil de la ville.
Avec Aziz Akhannouch, la veille du scrutin du 8 septembre 2024.
Avec une majorité confortable et un bureau composé sur mesure, Fatiha El Moudni devrait à coup sûr se démarquer de sa devancière et éviter d’agir comme seule maîtresse à bord. Les présidents des arrondissements attendent que leur voix soit entendue, que leurs budgets soient affectés à temps et que leur maire ne prenne plus de décisions unilatérales, comme cela a été reproché à celle qu’elle a remplacée. «Ce qui lui est demandé, c’est simplement de respecter la lettre de la loi, de faire la différence entre ses prérogatives et celles des autres intervenants», ajoute la même source, qui explique que les représentants de l’autorité de tutelle (le ministère de l’Intérieur) sont disposés à apporter tout le soutien nécessaire pour la bonne marche de la gestion des affaires de la capitale.
Il est également attendu de Fatiha El Moudni qu’elle «quitte son bureau et le quartier Souissi. Rabat, c’est aussi des quartiers populaires et d’immenses attentes de la part de la population», commente un élu de l’opposition.
La nouvelle maire de Rabat dispose d’un peu plus de deux ans et demi pour faire ses preuves et, peut-être, asseoir sa légitimité politique au-delà d’une discrimination positive ou d’une supposée proximité du chef du gouvernement qui l’aurait portée à son poste.
«J’espère qu’elle fera en sorte qu’on se souvienne d’elle à Rabat comme beaucoup se souviennent d’Anne Hidalgo à Paris, de Boris Johnson à Londres et de Rudy Giuliani à New York», affirme un ancien élu de Rabat, non sans une pointe d’ironie.
Fatiha El Moudni (RNI), depuis le 25 mars 2024.