Dans une nouvelle démonstration du basculement du rapport de force autour du dossier du Sahara, le Maroc confirme sa centralité et sa pleine maîtrise du tempo diplomatique, politique et institutionnel. Tandis que les autres parties hésitent, tergiversent ou s’enferment dans des postures dépassées, le Royaume se distingue par une mobilisation exemplaire, guidée par les directives fermes et stratégiques du roi Mohammed VI. L’autonomie, proposition marocaine depuis 2007 et aujourd’hui consacrée par le Conseil de sécurité des Nations Unies, n’est plus une simple offre politique mais la colonne vertébrale d’une relance inédite du processus de règlement du conflit.
L’accélération opérée ces dernières semaines en est la preuve éclatante. Dès l’adoption de la résolution 2797 par le Conseil de sécurité, le 31 octobre 2025, le Maroc a enclenché sans délai l’opérationnalisation de son initiative. Le discours royal prononcé ce même jour en est la charte fondatrice. «Le Maroc procédera à l’actualisation et à la formulation détaillée de la proposition d’autonomie en vue d’une soumission ultérieure aux Nations Unies. En tant que solution réaliste et applicable, elle devra constituer la seule base de négociation», y annonçait le Souverain. Ce passage marque l’entrée dans une phase d’exécution, où les mots se font actes et où les institutions nationales sont mises à contribution dans un large exercice inclusif.
Dès le 10 novembre, les conseillers du Roi convoquaient les chefs de tous les partis politiques représentés au Parlement, mais aussi les ministres de l’Intérieur et des Affaires étrangères, pour engager le processus de concrétisation du projet d’autonomie. Cette réunion, révélée par un communiqué du Cabinet royal, inscrit définitivement le dossier dans une logique de gouvernance multisectorielle, où institutions et forces politiques sont associées à la maturation d’un texte destiné à devenir la charpente juridique d’une solution durable. «Les chefs de partis ont affirmé leur engagement à soumettre des mémorandums à ce sujet dans les meilleurs délais», indique le même communiqué, confirmant l’existence d’un délai impératif fixé par le Palais. Renseignement pris, il a séance tenante été établi entre une semaine et un maximum de dix jours. Entre-temps, même les partis non représentés au Parlement ont également été associés avec la même directive. C’était lors d’une réunion présidée dans la foulée par le ministre de l’Intérieur Abdelouafi Laftit.
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Les partis politiques devront soumettre leurs propositions cette semaine au ministère de l’Intérieur et ce, dans la plus stricte confidentialité, apprend Le360. Le département de Laftit centralisera et analysera les contributions avant leur examen par les conseillers royaux et le ministère des Affaires étrangères.
Touches successives
Cette mobilisation exemplaire n’est pas un épisode isolé, mais l’aboutissement d’une stratégie de longue haleine menée avec méthode et fermeté. Dans un policy paper dédié, Mohammed Loulichki, ancien ambassadeur du Royaume auprès des Nations unies à Genève et à New York, ex-ambassadeur-coordonnateur du gouvernement auprès de la Minurso et Senior fellow au Policy Center for the New South (PCNS), note que le Maroc «a réussi, par touches successives, à faire valoir auprès des Nations Unies et de ses partenaires influents la justesse de son approche de compromis». L’adoption de la résolution 2797 témoigne de cette influence. Le Conseil de sécurité y entérine non seulement l’autonomie comme unique base de négociation, mais y appelle tous les parties à s’y engager de bonne foi, en ciblant nommément l’Algérie comme partie au conflit, et non plus comme simple observateur.
Pour Loulichki, une nouvelle étape s’ouvre. Celle où, sous l’œil vigilant du Conseil de sécurité et du parrain américain, sera testée «la bonne foi et le sens des responsabilités de chacune des parties». Cette formulation sous-entend la position inconfortable d’Alger et du Polisario. Il ne s’agit plus pour eux de reposer sur des slogans ou de bloquer le processus. La résolution crée une obligation de résultat. Plus encore, la Charte des Nations Unies les y contraint. «Les décisions du Conseil de sécurité sont contraignantes pour les États membres, et a fortiori pour les membres du Conseil», rappelle Loulichki.
Face à cette rigueur normative, l’Algérie, membre non permanent du Conseil de sécurité pour encore quelques semaines, rechigne. Sa réaction officielle à la résolution 2797 a été tardive, hésitante, traversée de justifications contradictoires. Le ministre des Affaires étrangères Ahmed Attaf parle faussement de «neutralisation des manœuvres marocaines» et croit se féliciter. Une posture d’apparat, loin du réalisme diplomatique que lui impose pourtant le rapport de force. «L’Algérie était à deux doigts de voter pour», n’était-ce la mention explicite de la souveraineté marocaine sur le Sahara dans la résolution, confesse Attaf, en reconnaissant implicitement l’isolement de son pays, le seul à s’être franchement opposé à l’adoption du texte au conseil et à ne pas participer au vote.
Côté Polisario, c’est la confusion. Quatre jours avant l’adoption de la résolution, le mouvement séparatiste rejetait «catégoriquement» toute solution autre que l’autodétermination classique et dénonçait la «promotion américaine» du plan d’autonomie. À présent, sous la pression internationale et face à un isolement croissant, il se dit prêt à engager «des négociations directes avec l’autre partie», moyennant des conditions procédurales et géographiques. Ces hésitations affichées tranchent avec l’action militaire inconséquente de ses milices, qui tentent encore de lancer des attaques à la frontière mauritanienne. Dernier épisode en date: une incursion avortée à Es-Smara dans une tentative grotesque de célébrer le cinquième anniversaire de la rupture du cessez-le-feu.
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Un mouvement pris en tenaille, en somme. L’agitation armée masque mal la crise interne qui le traverse. Des voix s’y élèvent déjà pour contester la logique jusqu’au-boutiste de la direction de la milice armée, alors que des rumeurs font état de possibles négociations pour un retour aux accords de cessez-le-feu de 1991. Certains réseaux sociaux évoquent même une décision de Brahim Ghali de déposer les armes. Rumeur vite démentie, mais significative du chaos qui règne au sein du front.
Garde-fous
À l’opposé, la stratégie marocaine n’a jamais été aussi claire, ni aussi cohérente. Dans un policy paper détaillé pour le même PCNS, Jamal Machrouh, professeur de relations internationales intervenant notamment au Collège royal des hautes études militaires de Kénitra et à l’université Södertörn de Stockholm, en Suède, souligne que la résolution du 31 octobre constitue «un tournant décisif dans l’histoire du Maroc moderne» mais qu’elle ne représente que «le commencement de la fin» du conflit. La bataille qui s’engage est désormais juridique, rédactionnelle, technique, sans perdre de vue la cohérence constitutionnelle interne. Le texte d’autonomie devra respecter un «équilibre global», et non un plan minimal susceptible d’amendements structurels. Il devra préciser la notion de «véritable autonomie» stipulée dans la dernière résolution du Conseil de sécurité et délimiter le rôle de l’Algérie, appelé à passer– pour de vrai– d’un statut de partie prenante à celui d’État tiers.
Machrouh insiste également sur un point de vigilance essentiel: préserver la cohérence entre le texte final de l’autonomie et le corpus juridique national, compte tenu des évolutions depuis 2007, notamment la Constitution de 2011 et la loi sur la régionalisation de 2015. À cela s’ajoute l’exigence de lier intégrité territoriale et unité nationale. «Tout schéma d’autonomie du Sahara devrait incorporer la préservation de l’unité nationale», écrit-il. Une colonne vertébrale de légitimité interne, autant qu’un signal externe. Une fois qu’un accord sera trouvé au Conseil de sécurité pour la mise en œuvre de l’autonomie comme solution définitive à ce conflit, une modification de la Constitution marocaine est inévitable, indiquent nos sources.
Dans cette équation mouvante, le Maroc donne le rythme et impose l’agenda. En face, les réactions oscillent entre crispation, renoncement et improvisation. Pour Alger et le Polisario, le piège se referme: soit ils adhèrent à un processus qu’ils ont longtemps refusé de reconnaître, soit ils s’exposent à une marginalisation totale, voire des sanctions internationales. Le Maroc, lui, «demeure attaché à la nécessité de parvenir à une solution qui sauve la face de toutes les parties», comme l’a rappelé le roi Mohammed VI dans son dernier discours du 31 octobre 2025. Un message empreint de lucidité politique. Mais aussi, désormais, de fermeté. Prenez place à la table, sinon l’histoire se fera sans vous.












