Peine de mort: le Maroc vote pour un moratoire universel

Mustapha Sehimi.

Mustapha Sehimi.

ChroniqueLe Maroc a voté pour un moratoire universel sur la peine de mort, lors de l’Assemblée générale des Nations unies, le 15 décembre courant. Un vote qui reflète la réalité nationale: la peine capitale reste dans la législation marocaine, mais elle sera l’objet d’un moratoire. Une «troisième voie» entre le maintien et l’abolition, tant le sujet divise la société marocaine pour des raisons morales, culturelles ou religieuses.

Le 19/12/2024 à 16h05

L’année judiciaire finit sous les meilleurs auspices. Le Maroc a en effet voté pour un moratoire universel de deux ans sur la peine de mort, lors de l’Assemblée générale des Nations unies, le 15 décembre courant. Le vote donne 123 voix favorables, 31 contre et 20 abstentions. Parmi les pays opposés à ce texte, il faut citer notamment les États-Unis, la Chine, l’Iran, l’Inde, le Japon, l’Arabie saoudite, l’Irak ou le Yémen... Une vingtaine d’autres pays n’ont pas participé à ce vote, dont l’Algérie…

Il faut rappeler que l’abolition de la peine de mort fait l’objet depuis des années d’une forte mobilisation de la société civile. Ainsi, l’on peut citer la «Coalition marocaine», créée en 2003, qui rassemble pas moins de sept ONG: l’Observatoire marocain des prisons, l’Association marocaine des droits humains, le Forum marocain pour la vérité et la justice, l′Organisation marocaine des droits humains, l’Association des barreaux au Maroc, Amnesty International -section marocaine- et le Centre pour les droits des citoyens. Les objectifs poursuivis sont les suivants: l’abrogation définitive de la peine de mort de la législation marocaine, la cessation immédiate de la prononciation de condamnations à mort par les tribunaux nationaux, la révision de toutes les condamnations à mort en les commuant en peines privatives de liberté, la ratification du 2ème Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques de l’ONU, daté de 1966 et ratifié par le Maroc en 1979, et enfin la ratification des statuts de Rome sur la Cour pénale internationale (CPI). Dans la même ligne, l’Instance équité et réconciliation (IER) avait elle aussi débattu de cette problématique dès 2004, l′une de ses recommandations portant sur la ratification du 2ème Protocole facultatif précité. À mentionner également l’action du Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) dans ce domaine. Le 28 octobre 2019, il avait ainsi présenté au Parlement un mémorandum sur le projet de loi n° 10.16, modifiant et complétant le Code pénal, dans lequel il a recommandé l’abolition de la peine de mort, un texte législatif encore en instance.

Dans la législation marocaine, le Code pénal place la peine de mort au sommet de la hiérarchie des peines. Pour autant, le tribunal peut accorder à l’accusé des circonstances atténuantes et appliquer ainsi une peine de prison à perpétuité ou une incarcération de 20 à 30 ans, sauf dispositions législatives contraires. Quels sont les actes criminels punis par la peine de mort? Trois catégories doivent être distinguées. La première concerne les crimes terroristes, les crimes attentatoires au droit à la vie et à l’intégrité physique des personnes, la commission des actes barbares pour l’accomplissement d’un crime, la provocation d’incendie, les crimes commis par les fonctionnaires contre l’ordre public, les crimes contre la sûreté intérieure ou extérieure de l’État… La deuxième catégorie regarde les crimes regroupés dans la loi et réprimant les crimes contre la santé: «Seront punis de mort ceux qui sciemment ont fabriqué ou détenu, en vue d’en faire commerce, mis en vente ou distribué des produits ou denrées destinés à l’alimentation humaine dangereuse pour la santé publique». Quant à la dernière, elle vise l’ensemble des crimes définis dans le Code de justice militaire, entré en vigueur le 1er juillet 2015. Ce texte a réduit la peine de mort à 5 articles en lieu et place de 16 auparavant.

«Les grandes démocraties occidentales -sauf les États-Unis- vivent sans la peine de mort. Et aucune corrélation n’a été établie entre sa présence ou son absence dans une législation pénale et la courbe de la criminalité.»

Cette même démarche se retrouve d’ailleurs dans le projet de réforme du Code pénal, lequel a limité à 11 articles les cas de peine de mort, alors qu’ils sont au nombre de 31 dans le Code pénal actuel. L’on peut ajouter le projet de révision du Code de procédure pénale (CPP) avec certaines modifications: la règle de l’unanimité de la décision de la juridiction de jugement et des dispositifs pour éviter l’erreur judiciaire. Voilà bien une évolution notable, substantielle même, qui traduit globalement la volonté du législateur de réduire le périmètre couvert par les différents cas criminels encourant la peine de mort. Au titre des limites et des garanties fondamentales offertes dans le droit interne marocain, il faut mentionner le statut des mineurs de moins de 18 ans qui ne peuvent être condamnés à la peine de mort ou même à une peine de perpétuité, ou encore celui des femmes enceintes, la peine de mort ne pouvant être exécutée que deux ans après leur accouchement.

Cela dit, dans quels termes se pose aujourd’hui la question de la peine de mort? Le Maroc applique de facto un moratoire: l’exécution des peines capitales prononcées par les autorités judiciaires est suspendue depuis 1993, et durant la décennie précédente (1981 à 1992), il n’y avait eu qu’une seule exécution. Le débat national a rebondi depuis l’adoption de la nouvelle Constitution du 29 juillet 2011. Celle-ci consacre expressément en son article 20 que «le droit à la vie est le droit premier de tout être humain. La loi protège ce droit». De même, à l’occasion du 2ème Forum mondial des droits de l’Homme, tenu à Marrakech en novembre 2014, SM le Roi avait encouragé la poursuite des débats autour de la question de la peine de mort, saluant par ailleurs, l’action des parlementaires, des juristes et de la société civile. À Genève, en 2017, le Maroc a fait part devant le Conseil des droits de l’homme de «sa volonté de poursuivre le débat sous l’angle de la promotion et de la protection des droits de l’homme». Il a aussi abrité, à Rabat, le 18 mars 2022, la Conférence nationale et maghrébine sous le thème: «Mécanismes législatifs et perspectives d’abolition de la peine de mort au Maroc et au Maghreb».

Une grande avancée donc que le vote par le Maroc sur un moratoire universel sur la peine de mort. Mais par la voix du ministre de la Justice, voici quelques jours seulement, il a été précisé que cela ne signifie pas «l’abolition automatique de la peine de mort». Une position qui a été présentée, ici et là, comme ambiguë: la peine de mort va donc rester dans la législation marocaine, mais elle va être éligible à un moratoire… Sans doute une «troisième voie» entre le maintien et l’abolition de la peine de mort. Il est vrai que cette réforme divise la société pour de multiples raisons morales, culturelles et même religieuses. En attendant, 88 condamnés -dont une femme- sont dans «le couloir de la mort». Un débat de conscience. Les grandes démocraties occidentales -sauf les États-Unis- vivent sans la peine de mort. Et il n’a jamais été établi une quelconque corrélation entre la présence ou l’absence de la peine de mort dans une législation pénale et la courbe de la criminalité sanglante. La justice marocaine doit appréhender toutes ces données. C’est un projet de société qui est en cause…

Par Mustapha Sehimi
Le 19/12/2024 à 16h05