Un célèbre proverbe marocain dit en substance: la personne qui se contente d’une seule issue pour sa demeure mérite l’enfermement. Ceux qui ont cru se positionner, de par une histoire désormais révolue, en partenaires incontournables du Maroc devraient se le rappeler. Même «conseil» pour nombre de nos compatriotes qui, pour des raisons intellectuelles, d’intérêts ou tout simplement de manque d’imagination, ont milité et militent encore pour des alliances exclusives, des horizons restreints. Les deux camps pèchent par ignorance des traits profonds de la personnalité marocaine, jalouse de son autonomie de décision et abhorrant la servilité.
Il aura fallu un peu plus de deux décennies, le temps du règne du Roi Mohamed VI, pour que le Maroc réussisse une sérieuse révision de ses alliances traditionnelles, à en nouer de nouvelles aussi solides si ce n’est plus, à entamer de nouveaux rapports avec une grande partie des frères africains et à donner du contenu à ceux qui se limitaient aux échanges d’amabilités. Il a pu ainsi édifier les bases d’une nouvelle dynamique -d’aucuns diraient doctrine- diplomatique qui, tout en ayant le souci de la sauvegarde de la souveraineté et le respect des fondamentaux, n’hésite plus à diversifier et élargir ses partenariats. Les résultats positifs ne se sont pas fait attendre: nous avons intégré le processus de mondialisation en engrangeant plus de soutiens à notre cause nationale et plus de réalisations économiques.
La récente visite du Roi Mohamed VI aux Émirats arabes unis (EAU) pourrait très certainement s’inscrire dans la nouvelle dynamique de la diplomatie marocaine, capable de capitaliser sur les gains politiques et économiques. Arrêtons-nous sur le politique. En consolidant l’alliance avec les EAU, le Maroc confirme sa capacité à nouer de nouvelles alliances de qualité avec des partenaires de premier plan, afin de se prémunir des tentations hégémoniques de ses partenaires historiques, voire des «caprices» de l’allié unique. Après les USA et leurs alliés atlantistes, qui ont apporté un précieux appui à notre intégrité territoriale, voici venu le tour des EAU. Dirigés par une élite politique et économique désinhibée, voire sans complexes, fraîchement cooptés au sein des BRICS, investisseurs majeurs en Russie, amis de la Chine et de l’Inde, acteurs de poids au Moyen-Orient et dans le monde arabe, détenteurs du 4ème fonds d’investissement souverain dans le monde, d’équipements militaires importants et modernes, les EAU comptent déjà et compteront plus dans la construction d’un monde multipolaire.
Les relations du Maroc avec les EAU ne sont pas nouvelles et elles peuvent être qualifiées d’excellentes politiquement (Consulat général des EAU à Laayoune) et économiquement (2ème investisseur au Maroc après la France). De quelles nouveautés la visite royale a-t-elle été porteuse? Il y a d’abord la consolidation du partenariat politique stratégique au niveau arabe et la volonté, inédite, d’ouvrir de nouvelles perspectives africaines et de placer la coopération économique et l’investissement émiratis en qualité et en quantité sur des paliers très significatifs pour l’économie du Maroc. Les investissements émiratis au Maroc ont été, jusqu’à présent, orientés vers les projets immobiliers, l’énergie électrique, le tourisme et les achats d’actions de sociétés diverses. Dans les mémorandums signés il y a quelques jours, les centres d’intérêt se sont nettement élargis pour comprendre les infrastructures, le tourisme balnéaire, la valorisation des phosphates, le ferroviaire, les énergies renouvelables, l’aménagement du territoire (Al Haouz), la flotte maritime, certains domaines sociaux et les investissements en Afrique.
Les inquiétudes exprimées par votre serviteur dans une récente chronique, quant à la disponibilité des moyens financiers pour réaliser les chantiers royaux, se sont en grande partie apaisées après la visite royale aux EAU. L’apport financier des EAU sera conséquent, avec un plus. Il ne s’agirait pas d’emprunts, mais bien d’une participation au capital des divers projets, signe de confiance par excellence dans l’économie du pays et ses institutions. Par ailleurs, la contribution des frères émiratis jouit de plusieurs avantages de taille: elle est créatrice d’emplois locaux, et par dizaines de milliers à la vue de la diversité des projets et de leur nature, et elle contribuera à la création de nouveaux écosystèmes dans plusieurs secteurs au bénéfice de l’entreprise marocaine (PME) et du capital national. Nous pensons notamment à un écosystème ferroviaire, maritime et énergétique, et des groupements d’intérêt économique (GIE) orientés vers le marché africain, pour ne citer que quelques-uns. Sans omettre aussi de rappeler que les fonds d’investissement émiratis sont très regardants sur la qualité du management de leurs participations et du niveau des résultats.
Le nouveau partenariat sera bénéfique aux entreprises émiraties, aux entreprises marocaines, aux banques marocaines installées en Afrique et aussi, un élément à ne pas négliger, renforcera les capacités de négociation du Maroc vis-à-vis d’éventuels fournisseurs étrangers de produits que ne fabriquent pas les deux pays partenaires. Citons un seul exemple, celui de l’acquisition d’une ligne ferroviaire à grande vitesse. La disponibilité du financement rendra les négociations autrement plus intéressantes pour la partie marocaine. Le choix du fournisseur se fera en fonction du rapport qualité-prix, du degré d’implication dans l’écosystème local, de l’utilisation de l’expertise nationale, et non pas selon qui fournira les meilleurs financements d’abord.
Nul doute que, piloté convenablement dans ses applications, le partenariat entre nos deux pays sera bénéfique et, disons-le franchement, fera gagner un temps précieux à notre économie et créera des emplois et des points de croissance.
En ouvrant ces nouvelles perspectives politiques et économiques, on peut d’ores et déjà qualifier la visite royale aux EAU de franc succès pour le Maroc.