Officiellement, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais il y a pourtant bel et bien crise entre le Maroc et l’Arabie saoudite. Nous vous l’apprenions ce vendredi matin: l’ambassadeur du Maroc a été rappelé pour consultation à Rabat. L’information nous a été confirmée par l’ambassadeur du Royaume du Maroc à Riyad lui-même, Mustapha Mansouri. Même si les départements des Affaires étrangères des deux pays restent, pour le moment, muets sur la question.
Ce rappel est la conséquence d’une longue période de mésentente, jalonnée par nombre de provocations de la part de Riyad, depuis que le prince héritier Mohammed ben Salmane est aux commandes au royaume wahhabite. Le dernier acte en a été la diffusion, au début de ce mois de février, par la chaîne Al Arabia, véritable organe du pouvoir saoudien, d’un reportage sur le «Sahara occidental», au demeurant très mal documenté. Dans cet exercice, non seulement la marocanité du Sahara a été mise en doute, mais le Polisario y est présenté comme le «représentant exclusif» du peuple sahraoui. Au risque d’insulter jusqu’à la position officielle de l’Arabie saoudite laquelle, publiquement, prend pourtant fait et cause pour l’intégrité territoriale du Maroc.
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Ce n’est pourtant là que la goutte qui a fait déborder le vase. Pays "frères", rattachés tant par des liens spirituels que par une solide coopération diplomatique, économique et sécuritaire, les deux royaumes ont vu leurs relations se détériorer au fil des crises et des positions des uns, jugées hostiles par les autres.
Côté saoudien, Riyad semble mal digérer le retrait des forces armées royales du Yémen. Le Maroc était en effet engagé, depuis 2015, aux côtés de la coalition menée par l'Arabie Saoudite dans ce pays "pour préserver la légalité" et lutter contre les rebelles chiites houthis. Les autorités marocaines avaient alors annoncé apporter toutes les formes d'appui (politique, renseignement, militaire) au royaume wahhabite.
Sauf qu'en avril dernier, le Maroc a décidé, en toute discrétion, de ne plus prendre part à cette guerre, qui a entraîné l'un des plus graves drames humanitaires de notre temps. C'est ainsi que les chasseurs F-16 engagés par le Maroc sur le terrain du conflit ont été rapatriés. Un des ces six appareils s'était d'ailleurs écrasé au Yémen et son pilote en avait perdu la vie.
Par ailleurs, la neutralité observée par le Maroc dans le conflit qui oppose, cette fois-ci, l’Arabie saoudite au Qatar et ses alliés dans la région du Golfe, n’a pas, là non plus, été du goût de Riyad. En juin 2018, la crise entre le Qatar et les autres pays du Golfe, sur fond de soutien de Doha au terrorisme, battait alors son plein. Mais alors que des pays comme l'Egypte ont nettement choisi leur camp, le Maroc, quant à lui, s'est maintenu à distance égale avec les parties en conflit. Rabat s'était même déclaré "disposé à offrir ses bons offices en vue de favoriser un dialogue serein, franc et global" pour "dépasser cette crise et régler définitivement les causes qui l’ont conduites".
Les réactions saoudiennes à ces décisions souveraines du Maroc se sont, au fil du temps, multipliées, devenant de plus en plus "corsées".
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Les exemples sont nombreux. Alors que le Royaume du Maroc comptait ses alliés pour défendre sa candidature à l'organisation de la Coupe du monde 2026, ce pays "frère" qu'est l'Arabie saoudite n’a pas hésité à lui asséner un véritable coup de poignard dans le dos. Ce pays a en effet décidé de plaider la cause de United 2026 avec une ferveur et un dévouement qui ont dépassé l’engagement des candidats victorieux. Ceci porte un nom: la trahison.
Autre illustration, non moins édifiante: tous les étés, et comme à l’accoutumée, le somptueux palais du roi Salmane à Tanger ne désemplissait pas. Lieu de vacances, c'était également un point vers lequel convergeaient nombre de chefs d'Etat et de hauts responsables pour des entretiens privés avec le souverain saoudien. Mais en cet été 2018, le palais est resté vide et les vacances de la famille régnante en Arabie saoudite au Maroc ont été purement et simplement annulées.
En novembre et en décembre derniers, suite à l’affaire Jamal Khashoggi, qui a connu un retentissement mondial, Mohammed ben Salmane a décidé de se rendre dans plusieurs pays pour redorer le blason d'un royaume à l'image écornée depuis le meurtre en Turquie du journaliste saoudien. Dans ce périple, figurait aussi bien l'Egypte, la Tunisie, l'Algérie et la Mauritanie, soit tout notre entourage immédiat… Mais pas le Maroc qui n'aurait pas souhaité apporter un soutien au prince héritier saoudien dans ce dossier sordide. L'opinion publique marocaine en a d’ailleurs été grandement soulagée, les déplacements de MBS ayant été critiqués partout où il a mis les pieds.
Un autre fait, non moins révélateur: le 16 décembre 2018, la fédération saoudienne de football annonçait le tirage au sort des quarts de finale de la Coupe arabe des clubs champions, et avait affiché, à cette occasion, une carte du Maroc -représenté à cette compétition par le Raja de Casablanca- amputé de son Sahara! La même fédération avait fini par se rétracter en retirant cette carte.
Il n’est d’ailleurs pas à exclure qu’Al Arabia se rétracte à son tour, suite à sa diffusion de ce documentaire partial, remettant en doute l’intégrité territoriale du royaume du Maroc. Mais dans les deux cas, le mal est déjà fait, et le rappel par Rabat de son ambassadeur à Riyad est, de fait, et selon toute vraisemblance, une manière de marquer le coup.
Ce coup de froid est passager, nous rassure-t-on. "Les relations entre le Maroc et l’Arabie saoudite sont historiques et solides. Et entre les pays, il est normal que des divergences ou des différends éclatent de temps en temps. Je suis sûr qu’il ne s’agit pas plus que d’une crise passagère et que les relations entre nos deux pays retrouveront leur cours normal", nous a expliqué Mustapha Mansouri. "Si Rabat n’a pas officialisé ce rappel, c’est par volonté de ne pas entrer dans une dynamique d’escalade", indique par ailleurs un observateur averti. Reste encore que ce message implicite, voulu comme un signal pour mettre un terme à une série de dérapages, soit entendu par Riyad.
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Sur ce registre précis, le doute est permis. Le régime du prince héritier Mohammed ben Salmane s’est en effet distingué par des sorties et des réactions pour le moins surprenantes. L’affaire Khashoggi, soit l’assassinat spectaculaire du journaliste-opposant saoudien en Turquie et dans lequel la responsabilité du pouvoir à Riyad est de plus en plus avérée, en est l’illustration la plus éclatante.
Le résultat en est une image à l’international des plus négatives pour celui qui avait été présenté, au départ, comme un "réformateur", un "moderne". Le "Davos du désert" organisé par MBS pour refléter cette nouvelle image et attirer des hommes d’affaires et donc des investissements dans le royaume wahhabite avait d’ailleurs été un tonitruant échec. Et même dans son propre pays, le prince héritier saoudien est de plus en plus décrié. Un article édifiant du quotidien new-yorkais The Wall Street Journal, daté du 4 février, en dit d’ailleurs long sur la question.
Au sein même du pouvoir saoudien, on tente de freiner les "ardeurs" de MBS. Conséquence: presque tous les projets entrant dans le cadre de "sa" Vision 2030 sont actuellement bloqués. Annoncée depuis 2016, l’introduction en bourse du géant pétrolier Aramco se fait toujours attendre. Le retard annoncé de la mise sur le marché des 5% d’Aramco est en réalité destiné à annuler le projet, lit-on dans le Wall Street Journal.
Autre projet, autre échec non moins retentissant de MBS: celui de la plus grande centrale photovoltaïque au monde (200 gigawatts-crête (GWc) pour un investissement de 200 milliards de dollars) est également tombé à l’eau.
Autant dire que la politique-spectacle de MBS ne fonctionne plus... Et que la résistance à sa gouvernance s'organise désormais à l'intérieur de l'Arabie saoudite.