En 1975, la diplomatie algérienne était au sommet de sa gloire, jouissant d’une position influente sur la scène internationale, en particulier au sein du Mouvement des non-alignés et auprès des pays récemment décolonisés. Pour ses dirigeants, le statut de leader régional, voire africain, de l’Algérie était une évidence. Aucun doute non plus sur la solidité de ses alliances stratégiques et le soutien du camp socialiste, censé triompher de «l’Occident décadent» grâce à ses performances technologiques et économiques.
Sur le plan économique, les ressources en hydrocarbures de l’Algérie lui assuraient une confortable marge de manœuvre. En 1975, selon la Banque mondiale, le PIB de l’Algérie était de 15,56 milliards de dollars, pour une population de 15,72 millions d’habitants, tandis que celui du Maroc était de 8,98 milliards de dollars, pour une population de 17,33 millions d’habitants. Bref, le Maroc était moins bien loti, et sa population était plus pauvre.
Que s’est-il passé durant ces cinquante dernières années pour que l’Algérie se retrouve aujourd’hui dans une posture peu enviable, alors que le Maroc enregistre des succès sur plusieurs fronts, se plaçant naturellement comme le leader régional?
Ce n’est pas faute de moyens financiers et économiques. Entre 1975 et 2022, l’économie algérienne, grâce notamment aux hydrocarbures, a accumulé une richesse totale de 4.701 milliards de dollars (somme des PIB annuels), tandis que le Maroc, dépourvu de richesses naturelles significatives, a produit 2.886 milliards de dollars, fruits de son travail et de sa diversification économique. En Algérie, les ressources ont souvent été utilisées pour distribuer des rentes, tandis qu’au Maroc, elles ont servi à construire des infrastructures et à développer l’économie. Il suffit de comparer les infrastructures et les exportations des deux pays pour s’en convaincre.
En appliquant la grille de lecture de l’économiste français Thomas Piketty, qui considère les richesses du sous-sol comme faisant partie du patrimoine national, l’Algérie s’est appauvrie en dilapidant ses ressources, alors que le Maroc s’est enrichi en créant des richesses renouvelables dans les secteurs agricole, industriel et des services.
Le Maroc s’est engagé dans un effort diplomatique de longue haleine, surtout au cours des dernières décennies, concrétisé par un renforcement des alliances internationales (ALE), une approche multilatérale, le retour à l’Union africaine, la reconnaissance de sa souveraineté sur le Sahara par les États-Unis, un soft power éthique et respectueux et une diplomatie économique naissante. À l’inverse, l’Algérie s’est enfermée depuis des décennies dans une posture diplomatique rigide et inflexible concernant le Sahara, ce qui lui a fait perdre ses acquis antérieurs et a permis au Maroc de prendre l’avantage. Le déni des droits historiques du Maroc sur le Sahara s’est révélé être une stratégie d’affaiblissement inefficace, renforçant au contraire la résilience du Maroc.
Sur le plan géostratégique, les dirigeants algériens sont restés figés dans une logique de confrontation héritée de la Guerre froide. Plutôt que de s’adapter aux réalités actuelles, ils continuent de miser sur des alliances fragiles et anachroniques, défendant des positions qui n’ont plus de résonance ni au sein de la communauté internationale ni parmi les grandes puissances. En soutenant le Polisario, un acteur non étatique et passablement mercenaire, et en refusant tout dialogue constructif avec le Maroc, l’Algérie se prive de l’opportunité de stabiliser la région et de progresser économiquement. Cette obstination a fini par isoler l’Algérie sur la scène diplomatique, alors que la majorité des États reconnaissent désormais le plan d’autonomie proposé par le Maroc comme une solution réaliste et viable.
La théorie des jeux offre un cadre analytique utile pour comprendre les dynamiques stratégiques entre le Maroc et l’Algérie. Le Maroc, malgré une position initiale plus faible, a mis en œuvre une stratégie à long terme efficace, renforçant ses positions par la diplomatie et le développement économique, ce qui lui a permis de «remporter la mise» dans cette confrontation prolongée. L’approche algérienne dans l’affaire du Sahara est devenue non seulement inefficace, mais aussi contre-productive. Alors que le monde évolue vers plus de pragmatisme et de coopération, l’Algérie continue de s’accrocher à des schémas dépassés, minant ainsi ses propres intérêts stratégiques, et perdant au passage son rang au Maghreb, en Afrique et sur l’ensemble de la scène internationale.