Le point de départ de l’actuelle guerre qui embrase le Mali, le Burkina Faso et le Niger n’est pas l’islamisme, mais la question de l’irrédentisme des Touareg. Le conflit a en effet éclaté au mois de janvier 2012 dans le nord du Mali quand des combattants touareg mirent en déroute les forces armées maliennes. Les insurgés se réclamaient alors du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad), qui avait été fondé au mois d’octobre 2011, deux ans donc après la fin de la quatrième guerre touareg. Le MNLA engerbait plusieurs mouvements touareg et son ossature était composée de membres de la tribu des Ifora qui avaient servi dans l’armée du colonel Kadhafi.
Avec le MNLA, en plus de la résurgence d’un conflit séculaire entre Touareg et sédentaires sudistes, c’était une nouvelle forme de revendication qui était formulée. Lors des quatre précédentes guerres, les Touareg s’étaient en effet battus pour obtenir plus de justice de la part de l’État malien dirigé par les sudistes. Au mois de janvier 2012, ils exigeaient toute autre chose, à savoir la partition du Mali et la création d’un État touareg, l’Azawad.
Or, pour des raisons classiques et plus qu’habituelles de rivalité entre sous-clans touareg, Iyad Ag Ghali, lui-même Ifora et chef des précédents soulèvements, avait été tenu à l’écart de la fondation du MNLA. N’acceptant pas cette éviction, il créa alors un mouvement rival dont les buts ethno-nationaux étaient les mêmes que ceux du MNLA. Mais, pour pouvoir exister, il le déclara islamiste.
Début janvier 2013, Iyad Ag Ghali doubla le MNLA en lançant une offensive vers le sud, en direction de Mopti puis de Bamako. Le 8 janvier 2013, la ville de Konna fut prise et, le 11 janvier 2013, plusieurs colonnes se dirigeant vers le sud furent «traitées» par des hélicoptères français. Le régime sudiste de Bamako fut alors sauvé d’une défaite annoncée, ce que les membres de la junte malienne semblent avoir oublié…
Dès ce moment, l’analyse française fut erronée. En effet, les «décideurs» français ne virent pas -ou refusèrent de voir- que l’islamisme n’était ici que l’habillage de la revendication touareg, qu’il n’était en quelque sorte que la surinfection d’une plaie ethno-raciale millénaire. Ceci fit que pour l’Élysée, Iyad Ag Ghali fut l’ennemi, alors qu’en réalité, il était une des solutions du problème et qu’il fallait donc prendre langue avec lui. Or, durant les années qui suivirent, la France refusa de voir cette réalité, le président Macron ordonnant même l’élimination de Iyad ag Ghali…
Avec le départ du Mali des forces françaises et de celles de l’ONU, le cœur du problème est réapparu au grand jour, à savoir que ce n’est pas l’islamisme, mais l’irrédentisme touareg. Je ne parle évidemment ici que du seul nord du Mali, non de la région des Trois frontières, où la situation est différente, car s’y superposent ou s’emboîtent islamisme et problème peul.
En effet, Iyad Ag Ghali, qui est le chef historique des combattants touareg des précédents conflits, a constamment cherché à refaire l’unité des clans touareg autour de son leadership. Et il semble avoir réussi. Les groupes armés touareg se sont en effet regroupés dans le CSP-PSD (Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement), qui inclut la CMA (Coordination des mouvements de l’Azawad), afin d’offrir un front commun face à l’armée malienne qui, avec l’appui jusque-là peu concluant du groupe Wagner, tente de reprendre pied dans un Azawad dont elle avait été chassée en 2012.
Résultat, le 12 septembre dernier, les forces armées maliennes ont subi une attaque meurtrière à Bourem, là même où, au mois de janvier 2012, débuta la guerre du Mali qui est à l’origine de l’embrasement actuel de toute la région. Quant à la ville de Tombouctou, elle est quasiment encerclée.
Or, comme cette fois, les forces françaises ne viendront pas les sauver, les sudistes pourraient bientôt regretter d’avoir demandé le départ de Barkhane…