Malheur aux vaincus!

Rachid Achachi.

ChroniqueEn géopolitique, il n’y a ni bon ni mauvais, ni méchant ni gentil, ni juste ni injuste. Mais il y a des forts, des moins forts et des faibles. Et vaut mieux pour chaque nation de ne point se trouver parmi les plus faibles.

Le 19/10/2023 à 11h00

Vers la fin du IVème siècle avant JC, les tribus gauloises menées par Brennos envahissent Rome, puis assiègent le Capitole où s’étaient réfugiés les habitants. Après un long siège, les Gaulois acceptent de se retirer de la ville en échange d’une rançon. Cependant, au moment de peser le tribut que devaient payer les Romains, les Gaulois firent usage de poids truqués, largement supérieurs à ce qui a été décidé. Face à la supercherie, les Romains protestèrent et s’indignèrent tout naturellement. Ce à quoi Brennos répondit «vae victis!», soit «malheur aux vaincus!», en posant son épée sur la balance, en guise de surpoids supplémentaire.

La morale élémentaire, celle de tout individu un minimum empathique, serait de dire qu’il s’agit là d’une grave injustice, que les Romains sont pleinement victimes, et qu’il s’agit là d’une injustice qu’il s’agit de réparer. Peut-être même, faudrait-il lancer un hashtag du genre #Brennos_Imposteur ou encore #Nous_sommes_tous_Romains, en changeant au passage les photos de profil, mettant à la place un écusson avec S.P.Q.R, en guise de solidarité avec les Romains. Certains iraient même jusqu’à manifester devant l’ambassade gauloise à Rome.

Les Romains optèrent pour un tout autre choix. Celui de la posture virile face à la tragédie, tel que leur ont enseigné les pères fondateurs de cette petite ville qui, quelques siècles plus tard, devint un empire, dont cette même Gaule ne sera qu’une province.

Car s’il y a une morale à déduire de cette histoire, c’est qu’en géopolitique, il n’y a ni bon ni mauvais, ni méchant ni gentil, ni juste ni injuste. Mais il y a des forts, des moins forts et des faibles. Et vaut mieux pour chaque nation de ne point se trouver parmi les plus faibles.

Mais, me direz-vous, le monde a changé, et désormais, nous avons un droit international qui régit les relations inter-étatiques sur une base civilisationnelle.

Je répondrais que oui, mais en ajoutant toutefois qu’il s’agit du droit international des puissants, imposé aux faibles. Car l’architecture de l’ordre international actuel a été soigneusement conçue de manière à situer les puissants, autrement dit les 5 membres permanents du Conseil de sécurité et leurs alliés, hors de portée de ce même droit. Le véto est par conséquent le privilège des seigneurs, devant une assemblée de manants.

Si l’on devait ainsi trouver un adage pour l’ordre actuel, ce serait «faites ce qu’on vous dit, et ne faites pas ce qu’on fait».

Les puissants n’écrivent pas que le passé. Ils écrivent aussi le présent.

Ainsi, les guerres morales sont celles que l’on mène. Quant aux vôtres, elles seront tantôt qualifiées d’invasions, tantôt de droit à la légitime défense, selon nos intérêts du moment.

Par conséquent, deux postures s’offrent à nous. La posture victimaire, qui consiste à décrire le monde comme injuste et justifier notre retard en termes de développement et de puissance par le passé colonial ou par l’ingérence étrangère.

Ou bien, intégrer cette donne, comme l’ont fait les Romains, et travailler durement et avec patience, pour quitter définitivement le statut d’objet géopolitique, en accédant à celui de sujet géopolitique.

Et pour conclure avec l’actualité, ni les hashtags, ni les manifestations, ni les dou’aa sur Facebook n’arrêteront d’aucune manière les missiles et chars israéliens. Par contre, un monde arabe développé économiquement, technologiquement et militairement serait incontestablement de nature à dissuader tout pays de faire un usage illégitime de la violence à l’égard de nos populations.

Vous voulez aider efficacement les Palestiniens et tous les opprimés sur cette Terre? Dans ce cas, faites tout votre possible pour développer votre pays en le dotant des facteurs de puissance nécessaires.

Car, malheureusement, l’histoire ne connaît aucun raccourci.

Par Rachid Achachi
Le 19/10/2023 à 11h00