Figure de l’opposition algérienne en exil et référence incontournable lorsqu’il s’agit d’aborder les zones d’ombre du régime voisin, Anouar Malek revient avec une nouvelle enquête qui risque de raviver de nombreuses questions, notamment sur le caractère terroriste du Polisario. Ancien officier de l’armée algérienne, écrivain et observateur de la scène géopolitique, il apporte des documents et des témoignages inédits établissant une implication profonde du Polisario dans des réseaux armés liés à l’Iran et au régime syrien.
Dans cet entretien, il raconte comment il a mis la main sur des archives du renseignement syrien, pourquoi il accuse le Polisario de vendre des armes fournies par l’armée algérienne à des groupes terroristes sahéliens et comment certains de ses membres auraient combattu à la fois en Syrie et dans les groupes islamistes algériens. Il revient également sur les menaces qu’il dit avoir reçues après avoir révélé ces informations.
Vous venez de publier «Le Polisario et l’Iran: les secrets du terrorisme de Téhéran à Tindouf». Pourquoi un tel livre?
J’ai commencé ce livre il y a un certain temps. C’est l’un des ouvrages que j’ai publiés dans le cadre du dossier iranien et du projet iranien dans la région. J’avais déjà écrit Les secrets du chiisme et du terrorisme en Algérie, puis Révolution d’une nation: les secrets de la mission de la Ligue arabe en Syrie. Ce nouveau livre est donc le troisième dans cette continuité.
En faisant mes recherches, j’ai compris qu’il fallait absolument publier ce travail. Il contient des informations très sensibles sur la transformation du Polisario en l’un des bras de l’Iran dans la région maghrébine, plus précisément en Algérie qui l’abrite. L’Iran avait auparavant tenté d’infiltrer ou de manipuler d’autres acteurs, comme le GIA (Groupe islamique armé), en cherchant à recruter des éléments chiites formés par les Gardiens de la révolution. Cela a échoué, tout comme la tentative de créer un «Hezbollah maghrébin».
Finalement, l’Iran a trouvé dans le Polisario une organisation déjà structurée, opérationnelle, et dont l’Algérie ne se méfiait pas. Au contraire, l’Algérie a facilité cette connexion. C’est pourquoi j’ai jugé indispensable d’écrire ce livre, afin d’informer l’opinion publique arabe, islamique et internationale des dangers que représente cette milice, devenue un véritable prolongement du Corps des Gardiens de la Révolution et de la Force Al-Qods.
Quelles sont les éléments qui prouvent le recrutement d’éléments du Polisario par des milices iraniennes?
Fin 2012, j’ai obtenu le disque dur d’un ordinateur appartenant au service de renseignement extérieur syrien, avec tous ses documents et notes internes. En les consultant, j’ai découvert de nombreux éléments compromettants. D’abord, ils confirment une coopération politique, diplomatique et militaire officielle entre l’Algérie et le régime de Bachar al-Assad. Ensuite, j’ai trouvé des documents décrivant des réunions entre des cadres du Polisario, notamment des proches de Mohamed Abdelaziz (ancien chef du Polisario, NDLR), Brahim Ghali (son actuel dirigeant, NDLR) et Mohamed Yeslem Beissat, qui sert de «ministre des Affaires étrangères» au front et des responsables syriens ou iraniens.
Parmi ces documents figurent des demandes formelles visant à engager des combattants du Polisario aux côtés des forces d’Assad. J’ai également trouvé pour la première fois la preuve de la mort de membres du Polisario lors de la bataille de Qassir en 2012, aux côtés du Hezbollah contre les rebelles syriens. Ces décès ont même été signalés et «honorés».
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Après la publication du livre, j’ai reçu une nouvelle information. Le Polisario a présenté ces combattants morts en Syrie comme des victimes tombées «sur le front» contre l’armée marocaine afin de masquer leur présence en Syrie. Toutes ces pièces figurent dans le livre, notamment dans un appendice qui reproduit les documents originaux. Elles démontrent clairement que le Polisario n’est plus seulement un allié idéologique de l’Iran, mais un bras militaire, sécuritaire et de renseignement dépendant de la Force Al-Qods.
Dans le livre, vous dites que l’Algérie fournit des armes au Polisario, qui les revend ensuite à des organisations terroristes. Comment cela se passe-t-il?
C’est un point extrêmement grave. Beaucoup s’interrogent sur les milliers de communiqués de guerre publiés par le Polisario, prétendant bombarder quotidiennement telle ou telle base marocaine. En réalité, la majorité de ces déclarations sont totalement fictives. D’après des sources en Algérie, les armes que l’armée algérienne remet au Polisario, notamment des projectiles coûteux, ne sont pas tirées. Le Polisario n’utilise que quelques obus légers, juste pour donner l’illusion d’une activité militaire. Les armes lourdes, parfois d’une valeur de 800.000 dollars pièce, sont revendues à des réseaux mafieux et à des organisations terroristes dans la région sahélienne.
Les profits, en espèces, finissent entre les mains de certains généraux corrompus. Si le Polisario prétend avoir tiré ces munitions, c’est pour que les registres de l’armée algérienne ferment le dossier sans enquête. J’ai moi-même été témoin de la supercherie: lorsque je me trouvais à El-Mahbes pour un documentaire, le Polisario a publié un communiqué affirmant avoir bombardé la zone. Or, je n’ai rien entendu du tout.
Vous dites également que des membres du Polisario ont combattu au sein de groupes islamistes armés en Algérie. Comment l’avez-vous établi?
C’est effectivement documenté dans le livre. J’ai rencontré un général qui m’a transmis des informations importantes. J’y rapporte aussi mon propre témoignage. Lorsque j’ai été emprisonné, j’ai vu des détenus arrêtés pour appartenance au GIA, dont certains venaient des camps de Tindouf.
Cependant, au moment de leur passage devant le juge, ils disparaissaient mystérieusement. Ils étaient livrés au Polisario, qui parfois les exécutait et les enterrait dans des fosses communes à Tindouf. On sait que le Polisario dispose de plusieurs charniers, où sont enterrés des opposants, des Sahraouis voulant retourner au Maroc, ou encore des combattants impliqués dans des opérations terroristes devenus gênants.
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Certains membres du Polisario ont combattu aux côtés de groupes armés algériens. D’autres se sont rendus à l’armée algérienne, mais là encore, ils ont été remis au Polisario pour éviter que leur implication ne soit révélée.
Sur quelles sources et documents vous êtes-vous appuyé pour étayer votre analyse?
Je n’ai pas pu obtenir de documents écrits officiels, car tout cela relève du secret algérien. Mais j’ai recueilli énormément d’informations de sources fiables: anciens collègues, officiers supérieurs, amis encore dans les services. J’ai servi moi-même dans l’armée algérienne. Plusieurs membres de ma promotion sont aujourd’hui généraux.
J’ai servi à Tindouf, même si je n’y suis pas resté longtemps. Là-bas, il était courant pour les officiers de parler ouvertement du trafic du Polisario: armes, drogue, marchandises, collaboration avec des groupes terroristes. Les vivres distribués par les ONG (vêtements, couvertures, nourriture) étaient vendus par le Polisario avec la complicité de militaires algériens.
Après la sortie de votre livre, le Polisario a intenté une action en justice contre vous au Maroc. Que s’est-il passé?
Depuis ma conférence de presse du 31 mai 2025, j’ai reçu des menaces sérieuses et des tentatives d’intimidation contre ma famille. Ensuite, ils sont passés à la tentative d’achat. Ils m’ont proposé de «régler mes problèmes» si je renonçais à publier le livre. Après la parution du livre, des journalistes amis m’ont rapporté que des dirigeants du Polisario discutaient ouvertement d’intenter une action en justice contre moi. Mais en réalité, le Polisario a perdu toute influence. Il n’y a plus de véritable «conflit du Sahara» dans l’opinion marocaine, ce dossier est clos. Ce qui reste, c’est un Polisario devenu un instrument dangereux, un poignard planté dans le pied de l’Algérie elle-même.







