C’est officiel, et l’annonce en a été faite le 26 mars dernier par le secrétaire général adjoint de la Ligue arabe, chargé des Affaires de son Conseil, Houssam Zaki: le 32ème Sommet arabe devrait se tenir le 19 mai en Arabie saoudite. Plusieurs réunions préparatoires au niveau de hauts responsables et ministres sont en gestation et les émissaires de Riyad s’apprêtent à entamer, dès la semaine prochaine, leurs tournées respectives auprès des chefs d’État arabes en vue de leur remettre les invitations.
Mais au fait, que devient la présidence du siècle, annoncée tambour battant par le régime algérien et saupoudrée de superlatifs par Abdelmadjid Tebboune? Depuis novembre dernier, date de la tenue du Sommet de la Ligue arabe à Alger, à l’issue duquel la présidence de l’instance panarabe est revenue à l’Algérie, que s’est-il passé? Très peu de choses pour ne pas dire rien du tout. «On vient de vivre la plus courte histoire d’une présidence de Sommet de la Ligue arabe. Courte aura été la durée et vide aura été le contenu», nous confie une source bien informée.
Le bilan? Mais quel bilan? «C’est une présidence sous laquelle s’est tenue une seule réunion, à savoir le Sommet arabe proprement dit. Et son action a duré seulement quatre jours, soit les deux jours des réunions au niveau des ministres et les deux jours du sommet à proprement parler. Personne n’en a plus entendu parler après la fin de l’organisation du sommet d’Alger (les 1er et 2 novembre 2022, NDLR)», explique notre source.
Quid alors des annonces «révolutionnaires» faites à cor et à cri par la junte et ses relais, promettant un avant et un après la prise de par Alger de cette présidence? À l’évidence, il n’y a rien eu. Oubliée la «grande initiative», censée solutionner la question palestinienne pour les siècles à venir. C’est à peine si le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, a réussi à réunir les factions palestiniennes rivales. De là à amorcer une solution au conflit avec Israël… La Syrie, qu’Alger voulait remettre en orbite dans la galaxie arabe, n’a pas pris part au sommet. Côté représentation, c’est à peine si l’émir du Qatar, le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi et le leader palestinien Mahmoud Abbas ont fait le déplacement. Tous les autres grands dirigeants, notamment ceux des pays du Golfe (Arabie saoudite, Bahreïn, Koweït, Oman et Émirats arabes unis) et le roi de Jordanie ont boudé l’événement. De là à ce qu’il y ait des décisions fortes, une unité dans les prises de position ou une harmonie dans l’action, on est plus proche du fantasme que de la réalité.
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Abdelmadjid Tebboune, quant à lui, voit les choses sous le prisme du ridicule. Dans un podcast, plus extensif et diffusé ce jeudi 6 avril, de l’interview qu’il a donnée à la chaîne Al Jazeera, le président algérien veut coûte que coûte que le sommet ait été un franc succès, «d’abord par le nombre des chefs d’État arabes présents, ensuite par la large couverture médiatique étrangère et l’intérêt populaire qu’il a suscité, ainsi que par le suivi dont il a bénéficié de par le monde, notamment en Europe. Quand l’Algérie intervient, elle est écoutée».
Ces propos auto-dithyrambiques sur Al Jazeera ont été tenus par le président algérien avant que le Secrétaire général de la Ligue arabe n’annonce la tenue du prochain sommet à Riyad le 19 mai. Ils dénotent de l’aire hors-jeu où évolue le régime algérien et laissent supposer qu’à la date de l’enregistrement de l’entretien avec la chaîne qatarie, vers le 18 mars, le président algérien n’était même pas au courant que la présidence algérienne allait être raccourcie de la période minimale d’un an de façon aussi brutale. Quelle gifle pour la force de frappe planétaire!
Pour Tebboune comme pour la junte qui se cache derrière, l’enjeu est ailleurs. «L’organisation du sommet arabe était une fin en soi pour les dirigeants algériens. Pour eux, le but était de se convaincre qu’ils avaient encore un rôle diplomatique à jouer, notamment sur les scènes arabe et africaine. Cette organisation effectuée, les enjeux stratégiques et importants liés à cette présidence sont passés au second plan, la finalité première étant le show et la grande médiatisation. Et Alger sait que le travail de fond capte moins l’attention», explique Khalid Chiat, professeur de relations internationales à l’Université Mohammed 1er d’Oujda.
Même pour faire semblant et animer des happenings diplomatiques, le régime algérien a échoué. Le Sommet Chine-États arabes? Il a eu lieu le 9 décembre 2022, au plus fort de la présidence algérienne, mais… en Arabie saoudite. En présence du président chinois Xi Jinping et en l’absence d’Abdelmadjid Tebboune. Ceci alors que les dirigeants de 21 États de la Ligue arabe y étaient bel et bien présents, qu’il s’agissait de l’événement diplomatique le plus important et du plus haut niveau entre la Chine et le monde arabe… et que c’était à l’Algérie de prendre les devants pour l’organiser. Visiblement, la junte a été mise volontairement hors-jeu et a dû jouer les seconds rôles en dépêchant le très effacé Premier ministre Aïmene Benabderrahmane.
La Conférence de haut niveau sur la protection et le soutien d’Al-Qods du 12 février dernier, abritée par la même Ligue arabe pendant le mandat algérien? C’est au Caire qu’elle a eu lieu. Exit donc Alger, au même titre que la présidence algérienne. L’événement a été présidé par le roi de Jordanie, Abdallah II, et par le président égyptien Abdelfattah Al-Sissi. Le président algérien, qui clame à qui veut l’entendre que la cause palestinienne est «son» affaire et qu’elle figure en tête des priorités de la diplomatie algérienne, a brillé par son absence.
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L’événement a été par ailleurs l’occasion de donner lecture d’un message du roi Mohammed VI, président du Comité Al-Qods, aux participants, lecture faite par le chef du gouvernement Aziz Akhannouch. La Conférence n’a d’ailleurs pas manqué de saluer le rôle du Comité Al-Qods et les actions de l’Agence Bayt Mal Al-Qods Acharif visant la préservation du caractère sacré de la Ville Sainte et de son patrimoine culturel et humain.
Et ce n’est pas fini. Quid du très attendu sommet arabo-africain? Le régime algérien fondait de grands espoirs sur ce sommet pour y distiller son agenda anti-marocain. Vaines attentes et cruel rappel à l’ordre: le sommet arabo-africain se tiendra sous présidence saoudienne.
Nombre de pays arabes se sont fort bien accommodés de cette présidence éclair et peu effective, poussant même dans ce sens pour se positionner sur certains dossiers ou événements. L’Algérie, elle, s’est décidément engluée dans le peu d’ambition nourrie autour d’une présidence dont la seule finalité aura été de tresser des lauriers aux représentants de «la nouvelle Algérie». Le pouvoir algérien a mal calculé et n’a tenu compte que de son propre agenda. La junte voulait faire la loi, notamment en forçant le passage de la Syrie au sein d’une enceinte dont elle avait été suspendue et en faisant condamner des pays arabes ayant normalisé ou repris leurs relations diplomatiques avec Israël. Non seulement il n’en fut rien, mais la seule conséquence a été que le sommet a été retardé de plusieurs mois. D’aucuns se souviennent de toute la gymnastique opérée par la junte pour faire coïncider l’organisation de «son» sommet (les 1er et 2 novembre 2022) avec la célébration du 68ème anniversaire du déclenchement de la Guerre de libération (1er novembre 1954).
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Elle s’est en cela permis de chambouler toutes les règles régissant la Ligue arabe et les autres dates afin de faire coïncider les deux événements, pour la seule et unique gloire des caporaux. Et c’est ainsi que sur un plan strictement rhétorique, «l’unification des rangs» arabes promise par Tebboune n’allait faire qu’un avec la littérature révolutionnaire du régime. Là encore, le calcul algérien s’est avéré faux, la junte ayant tablé sur une présidence qui allait s’étaler de novembre 2022 à novembre 2023. C’était oublier que sitôt le «dîner au Sheraton» achevé, il allait falloir revenir aux choses sérieuses, et compter sans la récente annonce de Ligue arabe: le sommet aura lieu bien avant le terme rêvé par les caporaux, le 19 mai prochain.
«Au lieu de focaliser toute son énergie et son arsenal diplomatique pour faire coïncider une logique interne avec un événement d’une aussi grande ampleur et impliquant tous les pays arabes, Alger aurait dû capitaliser sur cette présidence pour rayonner, au nom du monde arabe, notamment auprès des pays dont elle se dit alliée, comme la Russie ou la Chine. Dans les faits, rien de tel», poursuit notre source informée.
Au lieu de cela, ce qui est remonté à la surface, ce sont plutôt les velléités hégémoniques de l’Algérie qui écrase une Tunisie affaiblie et veut s’imposer dans une Libye fragilisée ou encore dans un Mali exposé à tous les dangers. «Le but n’est pas d’agir en faveur d’un compromis ou d’une solution dans tel ou tel contexte, mais de forcer le passage et de peser sur le destin d’autres pays. La logique est celle de prendre le contrôle, ce qui risque fort de lui attirer plus d’animosités que d’amitiés à l’avenir», souligne Khalid Chiat.
Alger a également perdu quand elle a cru qu’en organisant le sommet, elle allait contrôler l’agenda arabe et dicter sa loi tout en isolant le Maroc dans un cadre qui constitue sa zone de confort, notamment sur la question du Sahara, objet d’un large consensus au sein des pays arabes. Là encore, le pouvoir algérien n’a absolument rien obtenu. «Pire, le pouvoir algérien a montré toute l’étendue de ses propres contradictions, prônant sur le papier l’unité arabe et l’action commune, mais agissant activement, politiquement, militairement et financièrement pour diviser un pays voisin qu’est le Maroc», observe l’universitaire.
Autant dire qu’à la fin d’une présidence qui aura duré quatre mois, l’action n’a pas tenu plus de quatre jours. Pour qu’à l’arrivée, la junte affiche un zéro pointé comme résultat. En termes d’initiatives ou d’actions, ou ne serait-ce que de réunions, le bilan est nul. Mais que dire quand les tenants du pouvoir en Algérie nous ont habitués à célébrer des (non)réalisations?