En sciences politiques, c’est b.a.-ba. Peu importent les convictions, l’idéologie ou les motivations, le propre de tout homme et de toute action politique qui se respectent est la cohérence. Ne serait-ce qu’un minimum et c’est d’autant plus valable s’agissant de dossiers aussi tranchés que les droits de l’Homme. Mais que dire de ceux qui, sur ce même sujet, sont capables de défendre la chose et son contraire dépendamment du «client» en face. C’est de cette honteuse ambivalence que cinq eurodéputés ont fait preuve lors du vote, le 11 mai 2023, de la résolution condamnant le mauvais traitement réservé par le régime algérien à la presse et les graves atteintes aux droits des journalistes et à la liberté d’expression chez le voisin.
Si le désaveu de la junte et d’un président Abdelmadjid Tebboune a été formel lors de l’adoption de la «résolution commune sur la liberté des médias et la liberté d’expression en Algérie, le cas du journaliste Ihsane El-Kadi», votée par 536 voix pour (96%), 4 voix ont néanmoins voté contre et 18 abstentions ont été enregistrées. Il se trouve que cinq parlementaires européens qui ont évité le vote sur l’Algérie s’étaient déjà exprimés pour la résolution contre le Maroc et portant sur… la situation des journalistes marocains, notamment le cas d’Omar Radi. C’était le jeudi 19 janvier lorsque, menés par les députés de la Macronie, 356 élus européens, soit un nombre largement inférieur à celui ayant concerné le voisin de l’Est, ont frontalement attaqué le Royaume.
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Les cinq députés européens en question ne sont autres que l’Espagnol Manu Pineda, vice-président de l’Intergroupe GUE (Gauche unitaire européenne) qui a voté contre l’orientation même de son propre groupe politique. Sur ses 29 parlementaires présents, 26 ont voté pour la résolution. Tout comme il n’a pas suivi la délégation de son pays puisque sur 46 eurodéputés espagnols présents, 44 ont voté pour la résolution.
Membres du même intergroupe GUE, les Portugais Sandra Pereira et João Pimenta Lopes ont également fait partie du lot. Ils ont ainsi fait bande à part vis-à-vis de la délégation de leur pays, puisque sur 19 eurodéputés portugais présents, 17 ont voté pour la résolution. À ceux-là s’ajoutent les deux Grecs Lefteris Nikolaou-Alavanos et Kostas Papadakis, des non-inscrits (NI, n’appartenant à aucun groupe) qui ont fait exception de la tendance générale du vote NI (sur 20 présents, 12 ont voté pour la résolution) et de celui de leur pays (sur 12 eurodéputés grecs, 9 ont voté pour la résolution).
«Deux poids, deux mesures»
Tous les cinq ont donc, et sur un même sujet devant susciter la même réaction, préféré voter contre le Maroc, mais regarder ailleurs s’agissant de l’Algérie. Ceci, en total décalage tant avec l’orientation générale au sein du Parlement européen qu’avec les «valeurs» qu’ils sont censés défendre. Un choix qui confirme que, loin des principes affichés et des discours bien rodés, ces eurodéputés agissent au sein du Parlement européen dans le seul objectif de traduire des agendas politiques qui, en l’espèce, servent l’Algérie. La preuve, s’il en faut, que les droits de l’Homme, comme bien d’autres sujets, sont plus des leviers de pression que des causes nobles ne devant souffrir aucune concession et qui, dans les faits, sont otages d’approches sélectives et biaisées. Tout est de savoir à quelles fins et à qui profite le «deux poids, deux mesures» de certains élus européens.
On notera par ailleurs que l’eurodéputé espagnol Miguel Urban Crespo, du même intergroupe GUE, a préféré s’éclipser au moment du vote, alors qu’il était le Pen holder du projet de résolution pour son groupe politique et donc engagé dans l’élaboration de la proposition de résolution commune. Pour l’impératif d’avoir le courage de ses idées, il faudra repasser.
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Cela ne change rien aux faits. Pour l’Algérie, il s’agit de la quatrième résolution du genre, après celle du 28 novembre 2019 sur la situation des libertés en Algérie, celle du 26 novembre 2020 sur la détérioration de la situation des droits de l’Homme en Algérie, en particulier le cas du journaliste Khaled Drareni, et celle du 3 mai 2022 sur la persécution des minorités fondée sur les convictions ou la religion.
Faux-semblants
La résolution contre l’Algérie a ce mérite qu’elle s’inscrit en faux et aux antipodes du discours d’un chef de l’État algérien qui multiple les appels du pied aux médias locaux. C’était le cas notamment à l’occasion de la Journée internationale de la liberté de la presse, célébrée le 3 mai à Alger, où il s’est affiché aux côtés de plusieurs journalistes, dont le même Khaled Drareni, aujourd’hui correspondant de Reporters sans frontières en Afrique du Nord. Quelques jours plus tard, soit le samedi 6 mai, le président algérien a poussé le ridicule un peu plus loin lors de sa rencontre périodique avec des représentants de la presse algérienne, en recevant non pas un, ou deux, ou trois, mais 20 journalistes. Histoire de donner l’impression, sans tromper personne, d’une proximité entre le pouvoir et les médias.