L’éclairage de Adnan Debbarh. Le PJD, une très présente logique rentière

Adnan Debbarh.

Adnan Debbarh. . khalil Essalak / Le360

Les économistes définissent la rente comme un revenu perçu sans fournir un effort équivalent en travail. La notion de rente, économique au départ, s’est élargie à d’autres sphères pour désigner tout avantage tiré d’un acquis ou d'une situation particulière.

Le 24/09/2022 à 11h32

L’analyse des discours prononcés par Abdelilah Benkirane depuis sa réélection à la tête du Parti de la justice et du développement (PJD) frappe par la redondance des mêmes sujets: «Nous avons sauvé le Maroc d’un problème majeur en 2011», «nous avons fait adopter, sans troubles sociaux, d’importantes mesures impopulaires», «nous sommes les seuls défenseurs du référentiel islamique»... Avec toujours la même chute teintée de menaces: «Nous regrettons que l’Etat n’ait pas "reconnu" la valeur des services rendus par le parti.»

Avant de discuter «les services rendus», arrêtons-nous sur la forme, voire les formes, que pourrait prendre cette reconnaissance. L’attribution au secrétaire général d’une retraite personnelle plus que confortable n’a apparemment pas suffi. Le secrétaire général, au parler abondant et familier qui frôle quelques fois l’irrespect des institutions, veut plus. Plus de sièges au Parlement pour son parti qu’il demande cette fois-ci directement à l’Etat, traitant par-dessus la jambe l’électeur.

Oui à l’Etat et non aux électeurs, une façon bien à lui de marquer le respect qu’il porte au choix des électeurs et à l’ensemble du processus démocratique dans ce pays, et qui renseigne aussi sur la conception de la démocratie dont ce parti est porteur. Bien sûr, il n’était pas du même avis quand ces mêmes électeurs lui ont accordé la majorité relative qui lui a permis de devenir chef de gouvernement.

En fait, le PJD n’a que faire de la compétition démocratique, il est demandeur d’un arrangement qui lui assure une rente, des rentes pour le parti et ses cadres. D’autant qu’il estime être détenteur d’un autre atout en sus des services rendus: l’utilisation exclusive du référentiel islamique.

Abordons maintenant la lecture plus qu’optimiste du bilan. Les dix années où le PJD a assumé la direction de l’exécutif n’ont pas été caractérisées par un taux de croissance économique exceptionnel. Bien au contraire, c’était moins bon que la décennie précédente, les chiffres le confirment. Les mesures sur la compensation et les retraites dont Abdelilah Benkirane semble faire grand cas ne sont pas le fruit de son génie politique ou d’une formation économique qu’il reconnaît ne pas avoir. Elles ont été conçues et soumises à validation par les directeurs du ministère des Finances. C’est de notoriété publique. Quant au sauvetage du Maroc d’un éventuel cataclysme en 2011 du fait de la nomination d’un chef de gouvernement issu du PJD, il faut relativiser et mettre les choses en perspective.

L’adoption d’une nouvelle Constitution et l’entrée de nouvelles têtes au gouvernement a certes calmé la situation. Toutefois, celle-ci était loin d’être aussi désespérée ou analogue à d’autres pays arabes. Il faut une bonne dose d’ignorance de l’histoire et de la géopolitique pour comparer la stabilité politique du Maroc à celles de la Libye ou du Soudan, avec tout le respect dû à ces deux pays.

Pourquoi alors consacrer un éclairage à un parti qui n’a même pas un groupe parlementaire, qui souhaite vivre de rente et rechigne à s’engager dans la compétition démocratique?

La vitalité de notre démocratie est un facteur important de notre développement politique, économique, social et culturel. Cette vitalité est d’autant plus forte si l’opportunité est offerte à l’ensemble des courants d’opinion qui traversent notre société de s’exprimer et de participer à la décision politique. Parmi ces courants il y a le conservatisme. Présent dans la société et l’Etat. Un nombre important de nos concitoyens sont en faveur des valeurs traditionnelles, prônent leur préservation dans les domaines sociaux, moraux, culturels et politiques. Ils sont en droit d’avoir un parti qui soit leur portevoix.

C’est le cas dans la plupart des démocraties où il y a un parti conservateur qui contribue à encadrer ses sympathisants, leur inculque à travers ses programmes politiques et économiques le sens de l’effort et du travail, le désir de la compétition, l’éloignement de l’esprit de rente et la quête d’un profit mérité, la légitimité de l’impôt et le souci d’améliorer le service public. Un citoyen doté de ces qualités, surtout faisant partie de la classe moyenne, réserve de voix des partis conservateurs, est un facteur de développement économique. Le comportement politique et les programmes économiques du PJD, malheureusement, ne mettent pas en avant ces valeurs.

Autre exemple de l’esprit rentier: lors de son mandat, le PJD a fait preuve sans hésitations d’un clientélisme politiquement orienté dans les nominations aux postes de responsabilités étatiques, ignorant le mérite. D’ailleurs, les électeurs, excédés par ces pratiques, l’ont lourdement sanctionné le moment venu.

Lors de son premier discours après son élection devant le Conseil national du PJD, Abdelilah Benkirane avait laissé l’impression qu’il voulait s’orienter vers l’avenir en invitant les militants de son parti à préparer une nouvelle offre politique complète. Certains analystes ont cru qu’il y avait là les prémices du parti véritablement conservateur dont a besoin notre champ politique. On ne peut que regretter, tout en considérant qu’il n’est pas trop tard pour bien faire, que le PJD soit retourné rapidement vers l’esprit de rente et les lamentations.

Par Adnan Debbarh
Le 24/09/2022 à 11h32