L'éclairage de Adnan Debbarh. L’administration publique et les nouvelles missions de l’Etat

Adnan Debbarh. . khalil Essalak / Le360

La dynamique des réformes entamée depuis l’installation du nouveau gouvernement confirme la volonté de l’Etat d’assumer pleinement son rôle social et économique. La bonne conduite des chantiers publics, multiples et nouveaux, a besoin d’une administration moderne, à la culture et aux méthodes revisitées.

Le 05/09/2022 à 09h00

La volonté affichée par l’Etat de conduire des politiques capables de sortir une large partie de la population de la précarité, d’améliorer le système de santé et la qualité de l’enseignement, de combattre l’habitat insalubre, d’avantager les activités créatrices d’emplois, d’accroitre l’accès aux autres services publics (eau, routes, électricité, activités sportives et culturelles), de préserver l’environnement et de favoriser le développement durable va-t-elle trouver du répondant dans le corps de l’administration? Car c’est à celui-ci que revient la mission de mener à bon port ces chantiers.

Notre administration actuelle dispose-t-elle des moyens humains, techniques et financiers suffisants pour mettre en place et accompagner l’ensemble des chantiers de l’Etat présents et à venir? Peut-elle ambitionner, dans un futur proche, d’ajouter à la mise en place et l’accompagnement des réformes, le développement de capacités créatrices internes pour la production de stratégies innovantes, lui permettant de se passer des bureaux d’études externes?

Commençons par le quantitatif. Notre administration coûte en salaires 121 milliards de dirhams par an (2021) hors dépenses de retraites, soit 10% de notre richesse produite (PIB). C’est un taux relativement haut comparativement aux économies de même niveau de revenu et de développement. Un des plus hauts. Ce qui autorise certains analystes à dire qu’au Maroc, le coût de fonctionnement de l’administration est élevé, au vu de la quantité et de la qualité des prestations.

Au niveau qualitatif, les choses se compliquent. Avec le développement du pays, l’Etat voit ses missions s’accroître: implication plus importante dans la sphère économique, sociale et culturelle; services rendus variés et multiples. Ce qui entraîne une plus grande charge de travail pour l’administration et pose de manière récurrente la question des limites des compétences de celle-ci et de l’utilisation optimale des ressources mises à sa disposition.

L’administration doit-elle se limiter à la mise en œuvre de stratégies conçues par d’autres ou peut-elle être à la fois le concepteur et le maître d’œuvre d’un programme de développement? Quelle est la meilleure formule? Si formule il existe.

La littérature consacrée au sujet, mettant à contribution plusieurs disciplines, est fournie, mais la question n’est pas tranchée.

L’expérience coréenne (1960-2000) a montré qu’une «administration motivée» pouvait concevoir et mener à bien une stratégie de développement, allant jusqu’à réduire le rôle du gouvernement à l’appoint. D’autres expériences ont privilégié un mix composé d’une administration compétente qui s’implique et l’apport visionnaire/stratégique d’un exécutif averti.

Le cas marocain est relativement atypique en termes de délimitation des compétences. Dans certains secteurs, l’administration est à la fois conceptrice et exécutante, comme c'est le cas des ministères régaliens, du secteur agricole et de certains offices, tandis que pour le reste, elle fait appel le plus souvent à l’expertise internationale pour l’établissemens des stratégies.

Quel que soit le cas de figure, l’administration demeure un levier fondamental de développement. C’est sa compétence qui transforme l’essai.

Deux défis se posent à notre administration dans sa configuration actuelle: l’amélioration de sa productivité et la qualité de ses prestations, d’une part, et le développement de ses compétences en matière de mise en œuvre des stratégies nationales et leur territorialisation, d’autre part.

Au vu de notre niveau de développement, de notre culture, notre organisation administrative actuelle a encore de beaux jours devant elle. L’option alternative: le NMP, pour nouveau management public, qui consiste à s’inspirer fortement de l’organisation administrative du secteur privé et de certains de ses critères de performance (efficience, compétitivité et réactivité), requiert des conditions sociétales spécifiques qu’on retrouve seulement dans des pays développés anglophones. Il n’empêche, tendre au sein de l’organisation actuelle au bannissement des dérives bureaucratiques caractérisées par un formalisme porteur de lourdeurs et de rigidités, pouvant aller jusqu’au dévoiement de l’action administrative de l’intérêt général, est possible. Améliorer la productivité et la qualité des services administratifs est réalisable, à travers l’utilisation des méthodes de management et de leadership modernes qui bonifient l’environnement organisationnel, ouvrent la communication, profitent des avancées de l’économie des ressources humaines et ont un recours approprié et plus important au numérique.

Nous avons déjà eu l’occasion de rappeler les difficultés que rencontre l’administration dans l’opérationnalisation des stratégies adoptées par l’exécutif. Autant l’alignement, pour utiliser la jolie formule d’un ami, de la vision et des stratégies ne pose plus de problème, autant nous avons des difficultés à établir des plans d’action efficaces et à respecter leur ordonnancement. Ce qui cause gâchis, gabegie et déconvenues.

L’explication la plus plausible à cette situation est l’absence de relais permanents au sein des ministères capables d’assurer la traduction, la transmission, l’intégration et le suivi des stratégies proposées. Dans d’autres pays à systèmes de gouvernance plus performants, c’est le ministre et son cabinet, composé en grande partie de techniciens, qui remplissent ce rôle et sont comptables des résultats. Toutefois, et pour ne pas trop charger le ministre, on souffre encore au Maroc de la faiblesse des ressources humaines de l’administration, son insuffisante maîtrise technologique, sa faiblesse organisationnelle et la modicité des moyens.

L’implication positive de l’administration publique dans le processus des réformes contribuera à améliorer la qualité globale de son travail et à lui ouvrir l’horizon plus riche de la production de stratégies en interne.

Le sociologue allemand Max Weber, déjà au début du XXème siècle, avait démontré le rôle crucial joué par la bureaucratie allemande dans le développement de son pays. Ses idées ont revêtu un caractère universel.

Une administration compétente est un atout de valeur pour accélérer le développement. Sa réforme devient une nécessité.

Par Adnan Debbarh
Le 05/09/2022 à 09h00