Le principal partenaire économique du Maroc, à savoir l’Union européenne (UE), a pris ces derniers mois deux décisions importantes: opter pour un modèle économique décarboné à l’horizon 2050 et la réduction des liens d’interdépendance industrielle avec la Chine. Un vaste mouvement de réindustrialisation de l’Europe, visant à rapprocher plusieurs éléments composant les chaînes de valeurs précédemment produits en Chine et s’appuyant graduellement sur l’utilisation des énergies renouvelables, est entamé. Une des mesures phares du nouveau modèle est le remplacement progressif des véhicules à moteur thermique par l’électrique à l’horizon 2035.
Le Maroc est concerné à plus d’un titre par la décision de l’UE. Car l’ensemble européen, il est utile de le rappeler, est notre principal partenaire commercial, avec les deux tiers du volume de nos échanges extérieurs, et il occupe la place de principal investisseur étranger. Cet ensemble demeure aussi un marché essentiel sur lequel devrait s’appuyer l’internationalisation croissante de notre économie, clé de voute de nos ambitions d’émergence. Emergence vivement souhaitée par nous tous.
La portée de la décision d’aller vers une économie décarbonée ne peut échapper à n’importe quel observateur. Il s’agit de passer d’un modèle de production et de consommation basé sur l’utilisation des énergies fossiles à un modèle basé sur les énergies renouvelables et nucléaires. Tous les secteurs de la vie économique sont concernés (primaire, secondaire et tertiaire) avec comme corollaires un changement des habitudes de consommation des individus et de leurs rapports avec leur environnement. Sont concernés aussi les biens produits en dehors de l’espace européen, entre autres par le Maroc, et destinés à ce marché.
Les deux décisions de l’UE devraient avoir un impact positif sur notre pays et son système productif. La première nous oblige à accélérer notre transition énergétique pour garder à nos exportations destinées à l’UE leur caractère compétitif ; la seconde nous ouvre l’opportunité d’élaborer des offres alternatives et compétitives (si décarbonées) aux produits industriels asiatiques.
Notre pays est déjà engagé dans la transition énergétique. Quelques objectifs ambitieux ont été fixés qui, sans avoir été pleinement atteints, dénotent une prise en charge sérieuse du dossier. Le gouvernement et le monde de l’entreprise s’emploient à éviter à nos exportations d’être pénalisées par la taxe carbone que l’UE envisage d’appliquer aux produits utilisant les énergies fossiles et destinés à être commercialisés sur ses marchés. Toutefois, la décision de l’UE d’opter carrément pour un modèle économique décarboné et de se passer totalement des hydrocarbures, conflit en Ukraine oblige, d’ici 2050 nous oblige nous aussi à donner un coup d’accélérateur à nos projets dans le domaine. Le souhaitable est d’opter franchement pour un vaste projet de modèle décarboné similaire ou proche du modèle européen. Un mix composé d’énergies renouvelables et de nucléaire, couvrant les besoins de l’ensemble de la société et capable de nous donner une avancée déterminante sur nos concurrents régionaux dans tous les secteurs économiques. Car le maintien en vie de nos métiers mondiaux et la promotion de nouveaux secteurs n’est envisageable qu’avec un accompagnement énergétique suffisant et « propre ». Les nouvelles ambitions d’investissements, rappelées par le Chef du gouvernement lors de sa dernière sortie au parlement, manqueraient de réalisme, si elles ne prenaient pas en considération l’accélération de la transition énergétique en cours.
Nous n’ignorons pas les coûts exorbitants qu’exige un projet similaire pour le Maroc: investissement dans les énergies renouvelables, construction d’une ou deux centrales nucléaires, dédommagements des propriétaires des centrales thermiques détenteurs de contrats à long terme. Certaines voix, en Europe même, trouvent le projet trop ambitieux. Carlos Tavares, dirigeant de Stellantis, entreprise présente au Maroc, doute de sa faisabilité en une durée aussi courte. Mais tout retard est contreproductif pour tous au vu du caractère inexorable de la décision.
Un grand merci à la Providence de nous avoir dotés d’éléments naturels (soleil et vent) en quantité et de disposer de partenaires prêts à nous aider à construire une ou deux centrales nucléaires.
Comment transformer les ambitions décrites ci-dessus en réalisations? C’est là que la gouvernance intervient.
L’efficacité recommande de faire ressortir les priorités du gouvernement dans son architecture et d’apporter un soin particulier aux profils chargés des différents portefeuilles/grands projets. Le langage est emprunté peut-être à l’entreprise, mais au fond il s’agit bien de ça.
N’était-il pas souhaitable –maintenant que les grands chantiers sociaux, d’investissement et énergétiques sont plus lisibles et les priorités sont clairement définies– de revoir l’architecture du gouvernement et de changer les titulaires de quelques portefeuilles afin de gagner en cohérence et en qualité de gouvernance? Sans changer de majorité. Nous n’allons pas nous attarder sur les dysfonctionnements apparus dans plusieurs départements ministériels durant ces quinze premiers mois de vie du gouvernement et qui ont impacté le rendement général de l’équipe. Contentons-nous de quelques questionnements. Le dossier de l’investissement ne gagnerait-il pas en efficacité si les intervenants étaient bien identifiés avec leurs missions respectives, afin d’éviter les chevauchements? Une seule question: qui s’occupe de l’investissement en hydrogène vert? Le ministère de l’Investissement, de l’Industrie ou de l’Energie? A notre connaissance, les trois font le travail, courant le risque d’un manque de coordination. Enfin, évoquons le cas du ministère de l’Energie, ne mérite-t-il pas un surcroit d’importance dans l’architecture du gouvernement au vu du rôle crucial du secteur dans notre développement futur?
A suivre.