Aziz Akhannouch a su capitaliser sur le crédit de confiance et de sympathie personnel dont il jouit auprès du patronat, la CGEM ne faisant pas mystère de ses amitiés avec le RNI, et auprès des trois syndicats représentatifs: UMT, UGTM et CDT, pour parvenir à la signature d’un accord important dans des délais relativement courts.
Rappelons brièvement le contenu de l’accord avant de le soumettre à une lecture multidimensionnelle (politique, sociale et économique) pour finir par des questionnements sur son utilisation la plus optimale pour le Maroc.
C’est à une vieille revendication syndicale à laquelle il a été répondu favorablement à travers l’institutionnalisation de l’année sociale, débutant en mai et se terminant au mois d'avril suivant, avec son corollaire: la régularité du dialogue entre les partenaires sociaux. Au niveau national, en avril et septembre, et au niveau régional. Ce dialogue encadré par une charte sociale portera sur l’évolution des engagements des uns et des autres et la résolution d’éventuels conflits sociaux.
En matière d’engagements l’accord en comporte un bon nombre: l'augmentation du SMIG de 10% en deux temps, 5% en septembre prochain et 5% en septembre 2023, avec une clause suspensive accompagnant la deuxième augmentation; la sortie des textes sur le droit de grève et la flexibilité du travail, deux vieilles revendications du patronat cette fois. Citons aussi parmi les engagements: l’alignement du SMAG sur le SMIG, la jouissance d’une retraite au prorata à partir de 1.320 jours de cotisations, 15 jours de congé paternité, l'augmentation de la valeur de l’indemnisation familiale pour le quatrième, cinquième et sixième enfant dans les deux secteurs (privé et public), l'aide aux travailleurs domestiques, l'augmentation du salaire minimum public de 3.000 à 3.500 DH.
La signature de l’accord est intervenue dans une conjoncture nationale et internationale plutôt difficile. Le Maroc sort d’une pandémie qui a mis à rude épreuve son économie, ses finances publiques et le moral des citoyens. Certes sa gestion de la pandémie a été citée en exemple, mais il n’en demeure pas moins qu’elle a laissé des séquelles. Le monde rural, quant à lui, a connu cette année une sécheresse difficile et peine, malgré les soutiens publics, à retrouver son appoint. L’inflation mondiale induite de la crise en Ukraine a eu des répercussions au Maroc, entraînant le renchérissement de plusieurs produits de base malgré les efforts compensatoires de l’Etat.
La charte sociale avec son train de mesures est venue à point pour rassurer et donner de la visibilité sociale. A la fois au monde du travail et de l’entreprise. En parvenant à un accord satisfaisant pour les deux parties, le gouvernement a rendu service. Il a aussi eu l’intelligence de ne pas trop «chipoter» sur le coût direct que doit supporter l’Etat en cette conjoncture difficile: 3.5 milliards de DH. On peut envisager, si les bonnes volontés sont toujours là, deux prochaines années de paix sociale.
Dans son premier test social, en réussissant à emporter l’adhésion des partenaires sociaux et à faire signer une charte d’envergure, le gouvernement a transformé l’essai.
Maintenant, reste le volet économique, une fois le volet social rasséréné. L’augmentation de salaires est de nature à booster la demande à moyen terme entraînant un surcroît de croissance, bien que pour le court terme, il est à craindre une légère tension inflationniste. Ce qui au vu des taux d’inflation au Maroc demeure gérable. Toujours la dite augmentation situe notre pays, parmi les économies à bas salaires au vu de la productivité du travail et de la qualité des infrastructures. Aussi, il est tout à fait envisageable de tabler sur une augmentation substantielle des investissements privés nationaux et étrangers. Les conditions favorables sont désormais mises à disposition.
Le gouvernement qui est engagé dans un effort de dépense important a besoin de croissance, de recettes fiscales pour soutenir les besoins d’un Etat social en construction. Deux options sont maintenant mûres: l’encouragement de l’investissement privé porteur de croissance et une véritable réforme fiscale élargissant la population éligible à l’impôt. L’Etat social que nous avons tous appelé de nos vœux, car répondant à nos valeurs de solidarité, a un coût que l’activité économique doit pouvoir financer. Autre défi majeur pour le gouvernement.