Les choses prennent une dimension beaucoup plus importante au vu des sommes en jeu et le profil des acteurs.
Les trois cas auxquels nous allons nous intéresser concernent: la commune de Ouled Taieb, proche de Fès, au riche patrimoine foncier, une administration du ministère de la Santé et enfin une grande banque privée de la place. Trois institutions appartenant à trois univers différents, encadrées par des procédures écrites, soumises à contrôle interne et/ou externe.
Le président de la commune de Ouled Taieb n’est pas un nouveau venu dans la vie politique locale. Il connaît son monde, sa commune et ses dossiers. Il a commencé comme adjoint technique dans «sa» commune, ensuite élu communal, président de commune, député et responsable de son parti de la région. Sous d’autres cieux, on appelle ça un baron local.
Un fait d’armes qui l’avait fait connaître, le différend avec le maire Chabat sur la délimitation du territoire de sa commune, ce dernier voulait en «modifier les frontières». Le président de Ouled Taieb avait opposé un niet catégorique. C’était une affaire de gros sous. La suite est connue, l’adjoint technique, natif de sa commune, s’enrichit grâce au trafic dans les autorisations et la spéculation sur les terrains que lui permettent ses mandats d’élus dans lesquels il est reconduit à plusieurs reprises, jusqu’à la déchéance.
Le deuxième cas concerne la mise en examen de fonctionnaires du ministère de la Santé et de chefs d’entreprises qui seraient coupables d’ententes sur des marchés. Ce cas fournit l’occasion de soulever une pratique qui devient de plus en plus courante dans les appels d’offres publics et même privés: avantager certains fournisseurs en exigeant dans le cahier des charges certaines conditions spécifiques dont disposent seulement un soumissionnaire ou un nombre limité de soumissionnaires, avec l’entente en amont sur les caractéristiques et les quantités réelles nécessaires à la réalisation d’un projet afin d’être le moins disant. Ces pratiques empêchent l’optimisation des moyens financiers dont disposent les administrations et sont source d’un énorme gâchis qui impacte le PIB. D’ailleurs, ces pratiques font l’objet d’un intérêt croissant de la part des auditeurs dans le public et le privé.
On croyait que le système bancaire était à l’abri de la corruption, du moins parmi ses organes dirigeants. La transparence qui devrait caractériser sa gestion, la collégialité de la décision, la multiplication des contrôles internes et externes, des audits internes et externes et l’obligation de deux commissaires aux comptes sont autant de pare-feux contre les tentations. Apparemment cela ne suffit pas ou les organismes de contrôle ne font pas correctement leur travail, ou bien encore la chaîne de décision est à revoir.
C’est à dessein que nous avons mis l’accent sur les corrompus et non les corrupteurs dans ces trois cas afin de tirer quelques enseignements des profils des acteurs, des défaillances de la gouvernance des organismes dans lesquels ils travaillent pour enfin proposer quelques conclusions à caractère général.
Il fut un temps où la corruption, surtout la petite, était considérée comme une forme de redistribution destinée à assurer un revenu acceptable aux petites mains de l’administration.
Dans les cas exposés plus haut, il s’agit d’universitaires, même l’adjoint technique est un Bac+2, touchant un salaire ou disposant d’un revenu qui les placent dans la tranche supérieure de la classe moyenne, voire parmi les riches pour certains. Ce sont des gens instruits et relativement aisés. Dans ce cas de figure l’explication sociale ne tient pas la route. Que reste-t-il comme motivation autres que l’appât du gain? On peut avancer des explications historiques et culturelles. Elles ne sauraient justifier le passage à l’acte.
A supposer que nous sommes en face de gens de peu de vertus, ils en existent dans tous les coins du monde. Ce qui pose problème, c’est qu’ils ont pu commettre leurs méfaits au sein d’organismes structurés soumis à contrôle, nous sommes loin du secteur informel.
Si nous écartons quelques tentatives de réponses économiques au phénomène de la corruption, vite balayées par les trois exemples cités, ils restent deux principales solutions: la révision de la gouvernance des institutions et des sanctions pénales dissuasives. Plus de transparence dans la prise de décision, un contrôle renforcé et responsable sont les piliers d’une bonne gouvernance. Pour le volet juridique, un pays comme les Etats-Unis a fait de la lutte contre la corruption une cause de sécurité nationale, les formes de luttes sont plus actives et les sanctions extrêmement sévères. Quand on évalue les pertes que cela entraîne pour l’économie et l’efficacité du fonctionnement de la société, on ne peut que comprendre.