Alain Badiou n’est pas n’importe qui. Né à Rabat en 1937, il fit ses classes préparatoires au lycée Louis-le-Grand avant d’entrer à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm. Major de l’agrégation de philosophie en 1960, il enseigna à la faculté des lettres de Reims puis fut promu en 1999 professeur à l’université de Vincennes. Il a été directeur de programme au Collège international de philosophie et a longtemps co-dirigé la collection «L’ordre philosophique» aux éditions du Seuil. L’apport de sa pensée, en particulier ses travaux sur la logique et sur le lien entre individu et universalité, est incontestable.
Badiou vient de publier ses mémoires. Il y raconte surtout son parcours politique, depuis les années 50 jusqu’aux années 80. Le livre est passionnant. Le jeune Alain a vingt ans en 1957, en pleine guerre d’Algérie. Il est de gauche, voire d’extrême gauche, donc son engagement ne fait aucun doute: il militera pour l’indépendance de l’Algérie.
Mais, à la différence de la plupart de ceux qui s’engagèrent dans la même voie, Badiou ne fut jamais dupe du bla-bla pseudo-révolutionnaire du FLN.
Voici ce qu’il écrit page 143: «Devenu un des éditorialistes de ce bulletin (…), j’ai donc été engagé dans cette discussion politique. Et j’y ai fait valoir ma position: non à la guerre, soutien à toutes les forces qui travaillent pour l’indépendance de l’Algérie, mais pas de complaisance particulière à l’égard du FLN dans lequel je voyais une classique organisation armée de libération nationale, mais nullement le possible vecteur de quoi que ce soit de progressiste».
Dans la même page, quelques lignes plus bas, Badiou répète son diagnostic de jeune militant: «(…) le FLN n’était, stratégiquement, porteur de rien de vraiment progressiste en Algérie».
Au cours des années 60 et 70, le FLN essaya de tromper son monde avec, sur le plan intérieur, une politique dite «des industries industrialisantes», soi-disant progressiste, mais qui se révéla désastreuse. Sur le plan extérieur, le FLN invita Che Guevara et d’autres révolutionnaires à venir parader à Alger. Ça fait bien sur la photo; mais cela change quoi, concrètement, pour le peuple?
Aujourd’hui, le FLN n’est plus qu’un des faux-nez de la junte militaire qui dirige l’Algérie. L’intuition du jeune Badiou était donc parfaitement justifiée.
On imagine l’éclat de rire homérique qui résonnerait dans son salon s’il voyait à la télévision le duo comique Tebboune et Chengriha parler de «révolution» et de «socialisme», des mots dont ils ignorent le sens, mais qu’ils utilisent pour faire semblant d’avoir un projet autre que celui de détourner les revenus du pétrole et du gaz, au détriment de leur propre peuple.
La gauche française devrait lire ce livre, et en particulier la page 143. Contrairement à elle, le plus grand philosophe français vivant est lucide sur l’Algérie et ne réserve pas ses coups au seul pays calme et stable de la région: le Maroc.
Je le recommande en particulier à Emmanuel Macron, pour qu’il ouvre enfin les yeux sur la réalité de l’Algérie: une dictature militaire qui se cache sous les haillons de quelques pseudo-partis politiques comme le FLN, dont Badiou avait déjà flairé l’imposture il y a plus d’un demi-siècle…
«Mémoires d’outre-politique» (2023), par Alain Badiou, Flammarion.